Archives pour la catégorie Non classé

« L’Année des Anglais » sur la Côte-de-Beaupré

La « découverte » du rapport du major George Scott a permis de préciser comment les troupes de Wolfe ont ravagé la Côte-du-Sud au début de septembre 1759. Ce n’était pas leur seul coup de l’année. Deux semaines plus tôt, d’autres incendiaires avaient sévi sur la Côte-de-Beaupré. Le journal de Malcom Fraser, publié en 1868 par la Société historique et littéraire de Québec*, permet de voir à l’œuvre  les hommes du 78e Régiment (Fraser’s Highlanders) dirigés par le capitaine John McDonnell.

***

Québec était bombardée depuis un mois. La ville résistait et, derrière les lignes des assiégeants, des Canadiens, jeunes et vieux, ne cessaient de harceler les troupes campées à Pointe-Lévy et à la rivière Montmorency. Excédé, malade et un peu désespéré, Wolfe décide d’attaquer à la fois les biens et le moral des miliciens rassemblés à Québec pour protéger la capitale.

C’est dans ce contexte que, le 15 août 1759, le capitaine John McDonnell, sept sous-officiers (dont le lieutenant Malcom Fraser), huit sergents, huit caporaux et cent quarante-quatre hommes traversent de Pointe-Lévy à l’île d’Orléans et vont loger à l’église de Saint-Pierre. Le lendemain, le détachement se rend à l’extrémité est de l’île, en face de l’église de Saint-Joachim. Le 17, il traverse à Saint-Joachim et, en route vers l’église, il subit le tir des habitants caché derrière les maisons et les clôtures, puis à l’orée du bois. Les hommes de McDonnell prennent possession du presbytère, qu’ils essaient de fortifier.

Du 17 au 23, McDonnel et ses hommes demeurent à Saint-Joachim. Le 23, le capitaine Montgomery (que l’éditeur du journal confond avec le Montgomery mort devant Québec en 1775…) arrive en renfort avec environ cent quarante fantassins légers du 43e Régiment (Kennedy’s) et une compagnie de Rangers.

Montgomery prend le commandement de la troupe qui se heurte à un groupe d’environ deux cents Canadiens embusqués dans des maisons à l’ouest de Saint-Joachim. Devant l’attaque, les Canadiens retraitent dans les bois, poursuivis par les Britanniques.

« Il y eut, écrit Fraser, plusieurs ennemis tués et blessés, et quelques prisonniers, que le barbare capitaine Montgomery, qui nous commandait, ordonna de massacrer de la manière la plus inhumaine et la plus cruelle, dont deux, en particulier, que j’avais confiés à un sergent — après les avoir épargnés et m’être engagé à ne pas les tuer — qui furent l’un fusillé, l’autre abattu avec un tomahawk (une petite hache), et tous deux scalpés en mon absence, le coquin de sergent ayant négligé d’informer Montgomery que je voulais qu’ils soient sauvés, comme ce dernier l’a prétendu lorsque je l’ai interrogé à ce sujet ; mais ça ne pouvait pas excuser une barbarie sans précédent. Cependant, comme il n’y avait plus rien à faire, je fus obligé de laisser tomber ».

Côte-de-Beaupré par Montresor dans Knox

Extrait d’un fac-similé de la carte de Montresor publiée dans John Knox, An Historical Journal […], t. 1.

***

Fraser n’en fait pas mention, mais on sait que le curé de Saint-Joachim, Philippe-René Robinau de Portneuf, est mort dans un affrontement avec les troupes britanniques.
Le gouverneur lui avait répondu, le 20 août, de faire en sorte que les habitants soient « en état d’opposer la plus vive résistance aux anglais », ce qu’il fit, comme en témoigne son acte de sépulture, le 26 août 1759 : il a été « massacré par les Anglois le 23 etant à la tete de sa paroisse pour la déffendre des incursions et hostilités qu’y faisoit lennemis ».

Capture d’écran 2024-02-13 133856

Le biographe du curé de Saint-Joachim dans le Dictionnaire biographique du Canada** ne semble pas très sympathique avec son sujet. Le curé, conclut-il, a donc « bel et bien participé à la résistance avec un groupe de paroissiens, justifiant [sic] ainsi l’action des Anglais », mais il conclut que cette affaire « se réduit en somme à un incident mineur comme il en arrive dans toutes les guerres » et que le geste du curé Portneuf, « bien que voué d’avance à l’échec, peut à la rigueur être envisagé comme une courageuse tentative d’opposer à l’envahisseur une digne résistance avant la défaite finale »…

Un curé mort les armes à la main, ce n’est quand même pas banal! Que faut-il pour devenir un héros?

***
Après cette escarmouche, la troupe de McDonnell met tout en feu jusqu’à ce qu’elle arrive à l’église de Sainte-Anne, où elle passe la nuit et obtient en renfort une compagnie d’environ cent vingt hommes dirigés par le capitaine Ross.

Le 24, on ravage les fermes jusqu’à Château-Richer (que Fraser identifie comme L’Ange-Gardien) où se fait la jonction avec le colonel Murray et trois compagnies de Grenadiers (22e, 40e et 45e régiments). La fin de semaine (25 et 26 août) est occupée à couper les arbres fruitiers et le blé pour dégager les alentours.

Il ne se passe rien de particulier le 27 août, mais l’ordre est donné de marcher le lendemain vers L’Ange-Gardien où le détachement prend position le 28. Le 29, le capitaine Ross et une centaine d’hommes partent en reconnaissance et reviennent avec un prisonnier canadien dont on ne peut tirer d’informations. Le 30 est consacré à fortifier une maison et l’église de L’Ange-Gardien.

Le 31, le détachement reçoit l’ordre de brûler les maisons de L’Ange-Gardien, mais pas l’église, et de se rendre à Montmorency le lendemain matin, ce qu’il fait en brûlant toutes les maisons jusqu’au camp.

————————

* Malcolm Fraser, « Extrait d’un journal manuscrit, relatif au siège de Québec en 1759, tenu par le colonel Malcolm Fraser, alors lieutenant du 78th (Fraser’s Highlanders) et servant dans cette campagne », Québec, Middletown et Dawson, 1868, 37 p. (« Manuscrits relatifs aux débuts de l’histoire du Canada », 2e série).

** Jean-Pierre Asselin, « Robinau de Portneuf, Philippe-René », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 févr. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/robinau_de_portneuf_philippe_rene_3F.html.

Julien Mercier (1734-1811), le rebelle devenu royaliste

Quand l’armée des Treize Colonies en rébellion contre l’Angleterre vient assiéger Québec en 1775, les habitants de la province de Québec (qu’on appelle toujours « Canadiens ») doivent choisir leur parti. L’étude du comportement des habitants de la Côte-du-Sud montre une grande sympathie, en général, pour les rebelles, mais aussi plusieurs cas d’ambivalence. Julien Mercier est du nombre : d’abord « zélé rebelle », il vire capot et finit soldat de l’armée britannique.

Le contexte
Réunies en Congrès en 1774 et 1775, les Treize Colonies font circuler des « adresses » qui invitent les Canadiens à les appuyer. Elles ont aussi des espions qui laissent entendre que les Canadiens leur sont sympathiques.
Pour défendre la province, le gouverneur Carleton décide de rétablir la milice (abolie après la Conquête) et de recruter des volontaires. Au printemps 1775, il demande à l’évêque de Québec, Mgr Briand, d’émettre un mandement à ce sujet, mais, malgré cette pressante invitation de l’évêque, l’opération de mobilisation échoue : les Canadiens refusent massivement de se mobiliser.
Le seigneur Taschereau, de Sainte-Marie-de-Beauce, veut recruter des hommes pour bloquer les envahisseurs, mais ceux qu’il a convoqués à une assemblée à Pointe-Lévy au début de septembre refusent et décident au contraire de faciliter l’arrivée de ceux qu’ils appellent les « Bostonnais ». À cette fin, on monte la garde au bord du fleuve dans les paroisses, souvent en armes, pour empêcher les Britanniques de venir sur la Côte-du-Sud, et on organise un système d’alerte au moyen de feux pour communiquer d’une paroisse à l’autre.
Les troupes d’Arnold arrivent à Pointe-Lévy au début de novembre 1775 et s’installent sans opposition. Celles de Montgomery, qui sont entrées par la Richelieu, arrivent à Québec au début de décembre. Montgomery décide d’attaquer dans la nuit du 31 décembre 1775. C’est un échec : Montgomery est tué et Arnold se heurte aux barricades de la basse-ville ; il est blessé et 400 de ses hommes sont tués ou blessés.
Les Bostonnais se retrouvent avec des forces réduites par les désertions et la petite vérole. Mais ils maintiennent le siège de Québec jusqu’en mai, sans que les habitants viennent les harceler comme c’était le cas pendant le siège de 1759.

Le rebelle
Les rebelles de la Côte-du-Sud, entre autres, ont le haut du pavé pendant tout l’hiver. Les habitants de plusieurs paroisses vont vendre leurs denrées au camp d’Arnold à Pointe-Lévy. Au besoin, ils vont chercher des vivres là où il s’en trouve, notamment dans quelques moulins seigneuriaux. Certains rebelles se permettent même d’arrêter des partisans royalistes.
C’est à ce chapitre que le nom de Julien Mercier est mentionné dans le « journal de Baby », le rapport d’une commission d’enquête chargée par Carleton d’enquêter sur le comportement des miliciens pendant le siège. On peut y lire que les « sieurs Blondin & Chasson ont été pris et arrêtés par Julien Mercier ». Il s’agirait en réalité de Blondeau et Chasseur, ce dernier ayant brisé le blocus en apportant de vivres à Québec et en se proposant d’y retourner.
Le même rapport nous apprend que les sympathisants rebelles de Saint-Vallier se sont réunis en mai pour élire de nouveaux officiers de milice, dont Julien Mercier qui est nommé enseigne.
Le « journal de Baby » cite Mercier parmi les « plus opiniâtres contre le parti du Roy et [les] plus zélés pour les rebels ». Avec trois autres Valliérois, il a d’ailleurs été mis aux fers à Québec en mai, mais, selon le même document, remis en liberté par Carleton, ce qui suppose une libération avant la rédaction du commentaire sur Saint-Vallier le 8 juillet 1776.
Avait-il assisté à l’assemblée séditieuse de septembre, participé à la garde au bord du fleuve, contribué à l’entretien des feux ? On ne sait pas. Son nom ne figure pas parmi les habitants de Saint-Vallier qui ont participé à la bataille opposant les rebelles aux royalistes à Saint-Pierre-du-Sud en mars 1776.
De l’été 1776 à l’été 1777, on ne sait rien du parcours de Mercier. Même les registres d’état civil sont muets. Lors de son interrogatoire devant Cramahé en mars 1780, il déclare avoir « 46 ans, une femme et huit enfants dont le plus vieux est dans sa 18e année », ce qui nous permet de confirmer qu’il s’agit du Julien Mercier né en 1734, marié à Marie-Marthe Roy en 1755 et père de quatorze enfants dont huit sont toujours vivants en 1776, le plus vieux ayant près de18 ans et le dernier venant de naître.
A-t-il fait seulement quelques semaines en prison, comme le suggère le « journal de Baby » ou y est-il resté plus longtemps ?
On retrouve la trace de Mercier à Saint-Jean (sur Richelieu) dans un document qui date du 9 février 1780. Un certificat rédigé par un officier de l’armée britannique vise à identifier deux hommes qui viennent d’arriver des États-Unis (au terme d’une odyssée racontée plus loin). Louis Corbin écrit : « Les deux hommes susnommés [Julien Mercier, de Saint-Vallier, et Ignace Ouellet, de Kamouraska] m’ont été livré [sic] par Mr Riverin le 5 juillet 1777, ils ont parti d’ici le 8 pour l’armée sous les ordres de Mr Noël » (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1737/1432).

Le sergent de l’armée britannique
Mercier s’est donc enrôlé dans l’armée britannique en 1777 pour aller combattre les rebelles au sud de la frontière. Volontairement ? En échange de sa libération ? Pour gagner sa vie et faire vivre sa famille ? On n’en sait rien.
À ce moment du conflit, le commandant des forces britanniques, John Burgoyne, a pour mission de prendre Albany et de mettre fin à la rébellion. Dans la vallée de l’Hudson, il est encerclé par l’armée américaine, battu à Saratoga (19 septembre et 7 octobre 1777) et contraint de capituler le 17 octobre 1777.
Julien Mercier était sergent dans l’armée de Burgoyne. Il surveillait le transport des biens et bagages de l’armée à Ticonderoga quand il est fait prisonnier par un détachement de l’armée rebelle. Il est mis à bord d’un bateau-prison. Quand le froid arrive, il est emprisonné sur la terre ferme puis déplacé à Albany, à Hartford et enfin, le 16 septembre 1778, à New York où il fait partie d’un échange de prisonniers. Avec 76 autres Canadiens, il passe l’hiver à Long Island où il coupe du bois pour le général Clinton.
Le 12 juin 1779, en compagnie de 27 autres Canadiens et d’un Écossais, il s’embarque à New York, en direction de Québec, dans un senau chargé de sel, de sucre et de café. Le 15, en soirée, le navire est attaqué par deux corsaires de Boston ; il tente de s’échapper, mais le corsaire le mitraille et Mercier est blessé gravement à la main droite. Débarqué à Boston environ cinq jours plus tard, il passe environ six semaines à l’hôpital.
Le 3 juillet 1779, le consul français au Massachusetts, Joseph de Vadnais, donne à Julien Mercier et aux autres Canadiens un laissez-passer permettant de travailler pour gagner leur vie et de retourner au Canada sans être molestés en passant par Cohoes (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1737/1424). Ils arrivent là, fin septembre ou début octobre, mais le colonel Hazen, à qui on les avait référés pour des provisions, leur enlève leurs laissez-passer et les met en prison. Parmi les Canadiens qui font partie du régiment de Hazen, Mercier voit les deux Gosselin, Clément et Louis, ainsi que Germain Dionne, tous de Sainte-Anne, qui font leurs meilleurs efforts pour l’engager au service des rebelles, sans succès.
Hazen était en train de construire une route vers la province de Québec, mais le projet est arrêté quand son régiment est envoyé en Géorgie. Mercier et les autres sont alors amenés à Fishkill.
Les prisonniers sont rationnés : seulement six onces de pain et six onces de bœuf frais par jour ; il leur est cependant permis de sortir de temps en temps pour acheter des patates et des navets avec l’argent reçu à New York, mais le papier-monnaie est discrédité et ils doivent donner 50 ou 60 dollars en papier pour un seul en argent.
Mercier est en prison avec vingt autres Canadiens et un Écossais d’octobre 1779 au 9 janvier 1780. Il décide de s’évader avec Ignace Ouellet, un jeune de 20 ans originaire de Kamouraska, en passant par fort Lydius, le lac George et le lac Champlain où il est intercepté par une patrouille britannique et amené à Saint-Jean. Le lieutenant-gouverneur Cramahé demande alors qu’on le fasse venir à Québec pour un interrogatoire le 5 mars 1780. C’est la transcription de ses réponses qui permet de retracer son parcours  (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1738/1428). Ignace Ouellet est interrogé le 12 et corrobore en substance le témoignage de Mercier (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1738/1435).
Trois ans après son premier emprisonnement, Mercier a vraisemblablement retrouvé sa famille à Saint-Vallier où il meurt en 1811. De son côté, Ignace Ouellet se marie à Kamouraska en 1785 et meurt au même endroit en 1827.

Beneva: l’horizon plus large, l’esprit mutualiste en moins

Le nom choisi pour désigner la société d’assurance issue de la fusion La Capitale-SSQ Assurance vise à séduire les anglophones, chez qui l’entreprise veut aller faire des gains. Pour les anglophones, les Italiens et les latinistes, « ça va bien aller » : ils diront évidemment « Bé-né-va ». On leur a épargné les accents. Les francophones, eux, s’accommoderont, comme d’habitude, et prononceront le nom à l’anglaise (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2021/10/12/beneva-sollio-avantis-et-les-autres/).
Rappelons que La Capitale, MA mutuelle d’assurance, était, à l’origine (1941), la « Mutuelle des employés civils, société de secours mutuels » et, plus tard, la « Mutuelle-vie des fonctionnaires du Québec » ; quant à la SSQ, elle a été baptisée « Coopérative de santé de Québec » (1944), mais a grandi sous le nom de « Services de santé de Québec, société de secours mutuels ». Ces deux institutions sont issues du mouvement mutualiste qui a débuté à la fin du XVIIIe siècle ; elles ont en commun d’avoir survécu au mouvement de « démutualisation » qui a marqué le secteur de l’assurance la seconde partie du XXe.
Rappelons aussi que c’est « tendance » d’évacuer les références à la coopération et à la mutualité dans les noms des grandes sociétés coopératives. La Coop fédérée (autrefois la Coopérative fédérée de Québec) a changé récemment son nom pour Sollio ; la Coopérative agricole de la Côte-du-Sud a pris récemment le nom Avantis ; les caisses ne sont plus « populaires » et on oublie souvent le « mouvement » quand on parle de Desjardins.

Beneva-feuillet
Ce n’est qu’un nom, dira-t-on, une image publique, du « branding », mais Beneva « va » plus loin, et pas très « bien ». Un feuillet distribué récemment nous souhaite « Bienvenue dans le monde de Beneva » :

« Nous sommes fiers de vous présenter notre nouvelle identité de marque, qui reflète ce que nous sommes : des gens qui protègent des gens. […]
Beneva rassemble 5000 personnes prêtes à s’occuper de vous et à vous faire vivre une expérience personnalisée, attentionnée et bienveillante. Notre monde s’occupe du vôtre pour que vous puissiez vous consacrer à ce qui compte vraiment pour vous ».

En résumé, il y a « nous », les employés, et vous, les assurés, « notre monde » et le « vôtre ». C’est l’esprit même du coopératisme et de la mutualité, un « monde » où « les gens » se prennent en main et se protègent eux-mêmes, qui est évacué.
L’essence des deux sociétés, poursuit le feuillet publicitaire, « a toujours été de se mobiliser pour mieux protéger les gens ». En fait, « les gens » qui ont fondé la « Mutuelle des employés civils » et la « Coopérative de santé de Québec » se sont plus précisément mobilisés pour SE PROTÉGER eux-mêmes et ont embauché du « monde » pour gérer ces entreprises au quotidien. C’est ce qui fait la distinction entre les sociétés coopératives ou mutuelles et les entreprises capitalistes où propriétaires et clients sont deux « espèces » différentes. Dans les coopératives et les mutuelles, les propriétaires sont les usagers.
Disons, pour être poli, que, chez Beneva, ce n’est pas évident. Chose certaine, la nouvelle entreprise recrutera probablement des clients, et leur offrira une « expérience », mais ne mobilisera pas de « gens » dans un mouvement de solidarité avec ce genre de message qui aurait pu être diffusé par Intact, Bélair ou Sun Life.

Joseph Dumais, monologuiste, fantaisiste et défenseur oublié de la langue française

Joseph Dumais est mort subitement le 13 mai 1937, alors qu’il montait dans le train qui devait le ramener de Montréal à Québec. Son nom et ses œuvres échappent à la plupart des ouvrages de référence sur la littérature québécoise*. Il ne manquait pourtant pas de couleur, et peut-être en avait-il trop.

Dumais dans Parlons français

Entre sa naissance à Trois-Pistoles en 1870 et les premières mentions de ses activités dans les journaux au début des années 1900, on ne sait trop ce qu’il a fait pour se préparer à donner des conférences sur la langue dans des institutions d’enseignement (en 1902), des chroniques dans La Presse (en 1904), un cours gratuit de phonétique à l’école Montcalm et un petit traité sur le même sujet (Parlons français, 1905, 71 p.). On ne lui connaît qu’un séjour d’études à Paris en 1903 avec l’abbé Rousselot. La Presse le présente en 1904 comme un « self made man » dont « les commencements ont été hérissés de difficultés ». Il a peut-être séjourné en Nouvelle-Angleterre.

En 1907, on le retrouve à Manchester (N.H.) où il dirige une revue mensuelle, Cœurs français, dont le principal objet est de défendre la langue française aux États-Unis. Il y publie des articles sur le « langage des States », c’est-à-dire le français rempli d’anglicismes des Franco-américains.

L’expérience semble brève. Il est de retour à Montréal (au plus tard en 1910) où il donne des conférences sur des sujets historiques, et en tire l’ouvrage Héros d’autrefois : Jacques Cartier et Samuel de Champlain (1913, 142 p.). Il est alors membre de la « Société coopérative des conférenciers projectionnistes canadiens », se produit avec des troupes de vaudeville et s’intéresse au cinéma muet. Sous le pseudonyme de « Du May d’Amour » (inspiré du nom de sa mère Artémise Damours), il livre sur scène et enregistre sur disque des pièces humoristiques (dont À bas la marine) et surtout une série de monologues mettant en vedette le père Ladébauche, personnage de BD créé plusieurs années plus tôt dans La Presse : Ladébauche au téléphone, Ladébauche et les sports, Ladébauche chez le chinois, Ladébauche aux States, La veillée du corps, L’pou’oer, Le rebouteux, et bien d’autres, comme Edgardina veut loafer, où, curieusement, le professeur-défenseur de la langue française utilise une langue populaire truffée d’anglicismes. Il faut dire qu’il enregistre aussi des textes sérieux, dont La leçon des érables (Groulx), Ô soldat de l’an deux (Hugo), L’éternelle chanson (Rostand) et Les coquelicots (Botrel).

Dumais-Dumais titres

En 1922, Dumais va s’établir à Québec où il fonde un Conservatoire et  enseigne la diction, la phonétique et le bon parler. En 1923, il crée La Fierté française qui sera brièvement un « bulletin bimensuel de propagande et d’éducation par le livre, l’image, la chanson, la musique et les meilleurs produits français » et plus durablement une boutique où sont offerts divers produits d’importation, parfums, savons, estampes, bibelots, lampes et abat-jours.

Dumais-Comptoir-texte

Dix ans plus tard, il lance L’Art de dire: à la portée de tous, périodique tout aussi éphémère, mais il laissera aussi quelques ouvrages dont Le Parler de chez nous (1922, 41 p.), Le Capitaine malouin Jacques Cartier, découvreur officiel du Canada (1934, 97 p.) et Vive le doux parler de France (1937, 64 p.).

En 1932, Dumais réunit plusieurs textes dans Ma boutique,comptoir aux coupons. Étamine, linon, coton ouaté, toile écrue, catalognes et « cheese cloth » : rimettes, chansonnettes et monologues.

Dumais-Comptoir1

Parmi ces textes, D’qui qui quien? enregistré en 1918 par Berliner Gram-O-Phone Co., sous étiquette His Master’s Voice.

—–

D’qui qui quien?

J’ai té mett’mon p’tit gas Nicole,
A Morrial dans ann’ grande école,
Pou qui h’apprenne’tout d’quoè c’qui faut.
Il a du talent sans émitte!
Y a d’la mémoér’ pis y apprend vite!
Nus aut’s, on gui trouv’point d’défauts.

J’yé dit: « Mon gas, faut qu’tu t’appliques
« Pou t’darder dans ha polétique,
« Quand qu’t’aras fini tout ton cours. »
Moê, vous savez, j’ai t’in caprice:
J’voudra qui seye premier minisse!…
Ca s’ra don fin pou mé vieux jours.

Moé pis Rose, on prendra nos aises,
Encantés, lé pieds su dé chaises,
Sans rien dépenser d’note argent.
On n’ara pou hann’ bonne escousse
À s’la couler trantile et douce.
Aux fra’ d’not bon gouvarnement.

Mé j’ai t’ann peur que mon désir
Me rapport’ pas ben gros’ d’ plaisir!
Para qu’ Nicole é paresseux!…
J’ me tue à dire: ─ « Mon beau, travaille,
« S’tu veux gangner ann’ bell’ médaille! »
Y m’répond: « P’pâ, j’fa tout d’quoè j’peux ».

Ses maît’s sav’ point pa queul’ bout l’prende.
Pourtant, yé t’aisé ha comprende,
C’é t’in enfant si ben él’vé!
Chu nous, y sava ben d’quoè faire!
Mé ha h’ècol’, c’é tout l’contraire,
Yé teujou l’dargné harrivé!…

Ouèh! vla c’qu’on nous a dit c’te s’maine!
Ben moé, j’créya pas çà pas n’graine,
Mé, j’ava t’in gros poids sus l’cœur!
Eyer’ matin, j’dis t’à ma vieille:
« Grèy’ toé pendant qu’j’attell’ Corneille,
« On va ‘ler ouèr le Directeur ».

En arrivant, on sonn’ la cloche.
In vieux qu’ava le cou tout croche,
Nous rouv’ la porte pis dans l’parloèr,
En attendant nous fa t’assire.
Moé j’ dis: « Sa mér’, c’qu’on va gui dire? »
À m’répond: « Quitt’ fer’, tu vas ouèr! »

Quand que l’maît’ r’souds, vla qu’ma bonn’ femme
S’lèv’ tout d’in coup’ en f’sant sa dame,
Pis qu’a le r’gâr dret’ dans hé z’yeux.
— « Para qu’Nicol fa h’insécrabe? »
Qu’a dit: « Si ça pal’ pas hau yâbe!
« On l’a pourtant élevé d’not mieux! »

— « Madam’ dit l’maît’, sans vous déplaire
« Nicole é grossier, volontaire,
« Pis y étudi pas ses leçons!
« Y pal pus mal que tout eul z’autes!
« Se deouèrs sont teujou, pleins d’fautes!
« J’vous dis qu’cé l’pus pir’ d’nos garçons! »

Roug’ comme in coq, ma vieill’ se monte:
« V’s ète’ in menteux! V’s avez pas d’honte!
« S’yéta comm çâ, hon l’sara ben!
« On pal’ tout’ ben dans not’ famille:
« Moé pis son pére et pis not’ fille!
« Pou’ez-vous m’dir’ de qui qui quien? »

18 mai 1918.

—————–

*Robert Thérien, chercheur en musique, a publié une notice biographique sur Dumais sur le site du Gramophone virtuel (http://www.collectionscanada.gc.ca/gramophone/028011-1069-f.html)

« Pour bien écrire »

Millicent était le pseudonyme d’Amélie Leclerc, née à Trois-Pistoles le 14 juin 1900. Initiée à la poésie pendant ses études chez les sœurs de Jésus-Marie, Millicent remporte le prix David en 1923 pour son recueil de poèmes intitulé Campanules (Québec, L’Action sociale, 1923, 122 p.). L’année suivante, elle entre chez les sœurs Adoratrices du Précieux-Sang sous le nom de sœur Marie-de-Loyola. Elle est décédée au monastère d’Ottawa le 10 septembre 1985.

Bien écrire