Corinth cruel, Shiloh sanguinaire

Corinth. Nom biblique d’une ville de 14 256 habitants située au cœur du « Bible Belt » des États-Unis, dans le coin nord-est de l’État du Mississippi. Avec ses églises méthodistes, baptistes, pentecôtistes, épiscopaliennes, presbytériennes, elle ne ressort pas beaucoup aujourd’hui par rapport à d’autres petites villes du Deep South. Il n’en a pas toujours été ainsi. En 1862, militairement parlant, Corinth était la deuxième ville en importance des États confédérés d’Amérique (CSA). À partir de directives en provenance de Richmond (Virginie) capitale des CSA, les sudistes menaient depuis un an la guerre contre le gouvernement de Lincoln afin de préserver leurs institutions et leur genre de vie.

Fondé en 1854, Corinth n’était pas un village comme les autres. Il s’agissait d’un centre ferroviaire stratégique situé au carrefour de deux voies, l’une nord-sud (Mobile & Ohio), l’autre est-ouest (Charleston & Memphis), permettant la mobilisation rapide des forces du Sud et le transport efficace d’armes et de denrées à travers la « Confederacy », comme on appelait les onze États séparatistes.

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À la mi-février 1862, à la suite de victoires convaincantes à Fort Donelson et è Fort Henry, tous deux au Tennessee, les forces du Nord, sous la direction de Ulysses S. Grant, fonçaient vers le sud—vers Corinth—en suivant la vallée de la Tennessee, dans le but de briser les lignes de communications confédérées et de prendre éventuellement le contrôle du Bas-Mississippi, en amont de la Nouvelle-Orléans, assiégée par Farragut, coupant ainsi la « Confederacy » en deux.

Ayant eu écho des victoires de Grant et de son avancée et sachant qu’il serait bientôt rejoint par une autre armée dirigée par Don Carlos Buell, en provenance de Nashville, la direction des forces du Sud (Albert Sidney Johnston, et Pierre Gustave Toutant Beauregard) prirent la décision de quitter Corinth et d’engager l’armée de Grant à Pittsburg Landing, sur la Tennessee, avant l’arrivée de ses renforts. Quittant Corinth le 3 avril, l’armée du Mississippi eut du mal, à cause des pluies diluviennes et de la lourdeur de leurs équipements, à franchir la trentaine de kilomètres les séparant du champ de bataille visé. Néanmoins, le dimanche 6 avril à 4h55, les 44 000 soldats de Johnston se lancèrent à l’attaque près de l’église de Shiloh. Surpris, Grant et ses 40 000 hommes durent battre en retraite à Pittsburg Landing. La bataille intense de cette journée dans le « nid de guêpes » a été immortalisée par le peintre Thure de Thulstrup.

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« Battle of Shiloh »

La victoire en ce dimanche des Sudistes fut coûteuse et éphémère. Atteint, le Général Johnston mourut au bout de son sang. La nuit, les renforts du Général Bruell, sous la protection de deux navires de guerre, le Lexington et le Tyler, arrivèrent. À l’aube du 7 avril, la contre-attaque de Grant s’engagea. Au cours de la journée, les 54 500 soldats du Nord martelèrent les 34 000 hommes du Sud qui restèrent sous la commande de Beauregard. Devant la défaite inévitable, celui-ci organisa la retraite vers Corinth.

Les pertes furent lourdes. Du côté du Nord : tués, 1 513; blessés, 6 601; manquants à l’appel, 2 830; pour un total de 10 944. Du côté du Sud : tués, 1 728; blessés, 8 012; manquant à l’appel, 959; pour un total de 10 699.

Le sort de Corinth ne serait réglé que deux mois plus tard lorsque les avancées de trois armées du Nord obligèrent Beauregard d’abandonner ce carrefour stratégique pour se réfugier à Tupelo, à 80 km plus au sud. En octobre, une dernière tentative, cette fois-ci de la part du Général Van Dorn et son armée du Trans-Mississippi, de reprendre Corinth, donna lieu à un autre carnage d’une durée de deux jours (7 000 morts et blessés). L’Union gagna et Corinth resta occupée jusqu’à la fin de la guerre.

Aujourd’hui, le champ de bataille de Shiloh, tout comme le champ de bataille des Plaines d’Abraham, est un parc national militaire. Il se visite en voiture, à pied ou, mieux, en vélo. Le parcours permet de revivre les tristes et tragiques événements des 6 et 7 avril 1862.

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Bon nombre de soldats de l’armée victorieuse trouvent le repos éternel ici même, la vie et la mort de chacun étant célébrées par un petit monument blanc. Pour ce qui est des vaincus, leurs morts se reposent dans cinq fausses communes éparpillées à travers le parc.

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Fausse commune de soldats confédérés

Devant les événements de notre époque, je ne pouvais, en me promenant ici, que me poser une question : Sur les 234 années que les États-Unis ont existé, il y en a combien qui ont été « free of war » ? Quelqu’un aurait-il fait le bilan? Existe-il un pays plus guerrier?