Jeune, je passais mes vendredis soir devant le petit écran en noir et blanc à regarder la boxe. C’était l’époque des Friday Night Fights, commandités par la compagnie Gillette, fabricant des rasoirs du même nom. C’était aussi l’époque des grands champions dans toutes les catégories : Rocky Marciano (poids lourds), Archie Moore (poids mi-lourds), Sugar Ray Robinson (poids moyens) et Kid Gavilan (poids mi-moyens). Bien sûr celui que nous affectionnions particulièrement, mon père et moi, était un pugiliste de notre propre coin (West Jordan, Utah), Gene Fullmer, qui, le 2 janvier 1957, réussit à battre Sugar Ray et, ainsi, devenir champion du monde des poids moyens.
En 1958, un boxeur acadien s’est fait parler de lui. Certains le considéraient parmi les dix meilleurs boxeurs au monde. Déjà, en 1953, il avait gagné le titre du champion canadien des mi-lourds. Or, c’est en décembre 1958, au Forum de Montréal, qu’Yvon Durelle prit le monde de la boxe par surprise en envoyant au tapis trois fois le légendaire Archie Moore, avant d’enfin perdre ce combat épique au 11e round. Le « fighting fisherman », car c’est comme cela que les journalistes sportifs l’appelaient. Un homme issu du petit village de Baie Sainte-Anne, au Nouveau-Brunswick, pêchait le jour et se battait sur le ring le soir.
Six mois plus tard, Durelle a perdu un deuxième combat contre le champion, Moore. Les experts sont divisés sur les raisons de cette contre performance. Évidemment, Archie Moore était un grand boxeur, un fin renard, mais le « fighting fisherman » n’était pas le même homme le soir de la reprise des hostilités. Il venait de perdre 35 amis pécheurs lors du désastre d’Escuminac qui eut lieu dans la nuit du 19 au 20 juin 1959. Vingt-deux des cinquante navires partis d’Escuminac (village voisin de Baie Sainte-Anne) pour la pêche au maquereau et au saumon ont sombré lors d’une tempête violente et imprévue. Durelle dont le courage ne manquait jamais devait, néanmoins, ce soir-là face à Archie Moore avoir le cœur pas mal lourd.
En route vers l’Île-du-Prince-Édouard, je ne pouvais m’empêcher de me rendre à ces villages tant éprouvés et de visiter le village centenaire qui a produit Yvon Durelle que les citoyens tiennent encore en haute estime, autant pour sa générosité et sa bonté que pour ses prouesses sportives.
En face de l’église, l’histoire des familles de Baie Sainte-Anne se lit sur les pierres tombales. Des Durelle, il y en a beaucoup—plus que j’en aurais pensé car ce n’est pas un des noms acadiens les plus courants—mais nous avons trouvé assez facilement la pierre tombale du boxeur et de sa dame.
Sur le devant, on voit une image du couple taillée dans la pierre. Celle-ci est ornée des symboles d’amour et d’une paire de gants de boxe. Toutes les inscriptions sont en anglais, y compris la « prière du boxeur » gravée à l’endos du monument.
En 2003, un documentaire tourné à l’Office national du film intitulé « Durelle » et signé par Ginette Pellerin fut consacré au « fighting fisherman ». En ce moment, Christian Larouche qui s’apprête à nous donner ces jours-ci au grand écran Louis Cyr, prévoit un nouveau long métrage sur Yvon Durelle.
La visite au cimetière de Baie Sainte-Anne m’a incité à afficher sur Facebook, la photo de la pierre tombale d’Yvon Durelle, avec la question « qui s’en souvient ? ». Quelques uns de mes « amis FB » ont réagi.
J-P G : Archie Moore n’est plus là pour en témoigner, mais d’autres s’en souviennent. J
RT : C’était pas un boxeur? Je pense même qu’il a eu des combats pour le championnat du monde (tous perdus)….
J-P G : Cherchez, Rémy « Yvon Durelle vs. Archie Moore » sur Google, et vous verrez bien.
P-L G : Un pionnier de la boxe au Canada francophone. Il a déjà été classé dans les 10 premiers boxeurs au monde Pound for Pound.
RT : J-P, mais ils les a tous perdus (ses championnats du monde). La raison, selon les experts : il changeait trop souvent de catégorie : moyen, mi-lourd, lourd, etc. Mais c’était vraiment un « tough » (incouchable).
J-P G : Il y a eu un très beau documentaire sur lui, que je ne retrouve pas pour l’instant. C’était un talent brut. Il n’a jamais eu la chance d’être entrainé et préparé par de vrais professionnels, comme les boxeurs de classe mondiale qu’il affrontait. Dieu sait les sommets qu’il aurait atteints si son talent avait été mieux encadré.
RT : Je crois que le documentaire était de l’ONF; pour le reste, je suis d’accord avec vous.
Dans notre salon dans le lointain Utah, mon père et moi n’en revenions pas de voir Archie Moore sur le dos à trois reprises, victime des puissants coups de ce « French Canadian », comme on disait à la télévision. Sauf que ce n’était pas un Canadien français. Durelle était acadien. Ce n’est pas pareil!
Bel hommage! Merci!