Le passage récent de Robert Foxcurran chez moi et la lecture de son manuscrit ayant pour titre provisoire « Washington Territory’s Tale of Two Frenchtowns » m’ont rappelé une visite réalisée en septembre 2007 à cette belle oasis au cœur de l’État du Montana qui est Lewistown, fondé en 1879 par des Canadiens français et Métis.
En dépit de l’arrivée massive de colons américains qui s’en est suivie et dont les pratiques économique et culturelle ont semé la consternation parmi les premiers habitants, contribuant ainsi à leur quasi disparition, plusieurs rues autour de l’hôtel de ville portent encore le nom de certains d’entre eux, Francis Janeaux et Paul Morase en l’occurrence. L’église Saint-Léo en recèle des vestiges, par exemple, ce crucifix à caractère métis.
Au cimetière, les pierres tombales de Moses et Jacob Berger, de Lester Turcotte, d’Helen Lavendur (Laverdure), de George Ben Larock (Laroque), de Rosie Latray (Latreille) et de bien d’autres témoignent d’une époque révolue et d’un peuple effacé, dont on fête quand même au XXIe siècle l’héroïsme et le genre de vie lors d’une Célébration métisse tenue annuellement la première fin de semaine du mois de septembre.
En 2006 a paru aux Presses de l’université d’Oklahoma, sous la plume de Martha Harroun Foster, un formidable livre qui lève le voile sur ce « peuple oublié ». Intitulé We Know Who We Are : Metis Identity in a Montana Community, il s’agit, dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), d’un examen rigoureux des Métis du Montana, tenant compte à la fois des facteurs social, économique et politique. Foster conclut que ces gens « in between », ni blanc ni rouge, ont su s’adapter à l’adversité, à des conditions en évolution rapide et parfois violente, tout en retenant un fort sentiment de soi et un sens de leur unique culture et de leurs traditions.
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We Know Who We Are souligne la diversité des communautés métisses au Montana et fait ressortir leurs liens avec d’autres membres du Strange Empire que Joseph Kinsey Howard a fait connaître par la publication posthume en 1952 d’un récit historico romanesque sur Louis Riel et la résistance métisse.
Tant de gens oubliés à travers le continent—et surtout, je dirais, en Franco-Amérique! Nous nous devons de les connaître car ils font partie de nous, Franco d’Amérique, dont le berceau est situé dans la Vallée du Saint-Laurent et en Acadie. Il y a déjà 30 ans, Gary Mills, dans son ouvrage The Forgotten People : Cane River’s Creoles of Color, nous rappelait, à travers le vécu de la grande famille des Metoyer, l’existence dans le nord de la Louisiane—et non le sud—d’un autre peuple métis et francophone, dit gens de couleur libre—ni blanc ni noir. L’une d’eux, des temps modernes, Lalita Tademy, née en Californie en 1948—donc faisant partie de la diaspora créole louisianaise—quitte le monde corporatif de Silicon Valley à l’apogée de sa carrière pour plonger dans l’histoire et la culture de ses ancêtres. Ses recherches ont eu pour résultat la publication en 2001 de son premier roman, Cane River.
Il est question ici de deux « peuples oubliés »—deux peuples créoles—des Métis du Nord (Montana) et ceux du Sud (Louisiane). Pour faire le lien entre ces « people in between », l’un ni blanc ni rouge, l’autre ni blanc ni noir, il est utile d’être romancier. En fait, James Lee Burke (voir l’entrée sur ce blogue en date du 22 février 2005), dans son troisième roman—et son meilleur d’après moi—Black Cherry Blues réussit le coup de lier le destin d’un Franco de Louisiane à celui d’un Franco du Montana. À lire absolument par les adeptes du « thriller » et du roman policier, mais aussi par ceux qui cherchent à explorer les îles de l’Archipel franco d’Amérique!