À Oxford High, « le français n’est pas une langue étrangère »

De loin, les lieux de l’École secondaire d’Oxford ont l’air bien paisible. À l’entrée, le doute s’installe, mais il est de courte durée. L’interdiction de tabac, de drogues et d’armes à feu semble donner des résultats.

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Tout est calme. Tout est propre. L’accueil au bureau de la direction est chaleureux et encore plus à la bibliothèque où une quarantaine d’élèves m’attendent pour se faire dire que le français n’est pas une langue étrangère.

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C’est là ma position et je suis heureux de voir que, de plus en plus, les départements de langues dans les universités américaines se disent de « langues modernes » et non de « langues étrangères ». Les élèves furent réceptifs à mon message livré en deux parties de 25 minutes chacune—la première consacrée à l’histoire et à la géographie, et le second à la musique—séparées d’une pause de 20 minutes pour passer rapidement à la cafétéria.

Nous avons commencé par Samuel de Champlain et ses 25 traversées de l’Atlantique en 33 ans. (Voir « download file » dans ma chronique du 3 octobre 2003.) Les élèves ont découvert que la permanence française fut établie en Amérique (Acadie, 1604) trois ans avant celle des Anglais (Jamestown, 1607) qui n’a précédé que d’une année la fondation de Québec.

Ils ont appris que les bases historiques de la Franco-Amérique sont foncièrement « amériquaines », étant constituées autour de trois foyers : Acadie, Nouvelle-France et Louisiane. Au lieu de rester figés au sein de leurs foyers respectifs, les Canadiens et Acadiens ont rayonné, à travers l’histoire, partout sur le continent. Le rayonnement à partir du foyer louisianais a favorisé les francophones de couleur (Créoles noirs) qui ont établi des communautés importantes en Californie tandis que les francophones blancs de plusieurs souches, y compris la souche acadienne, sont d’excellents exemples d’enracinement.

Les toponymes français parsemés à travers le Canada et les États-Unis témoignent de la mouvance franco. L’État du Mississippi n’échappe pas à cette réalité avec son comté Leflore (la fleur) et son chef lieu Boisvert Malmaison (Greenwood) et son vieux cœur, Delisle, établi en 1712 sur la côte du Golfe du Mexique par des Canadiens. L’importante ville de Pass Christian porte le nom de Christian L’Adnier, membre de l’équipage d’Iberville. Les L’Adnier sont aujourd’hui des Ladner et constituent l’une des familles franco les plus nombreuses de l’État. Mentionnons également les Dédeaux, Swanier et Saucier.

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Aujourd’hui, ceux qui sont de « sang français » —au sens le plus large possible du terme—comptent une vingtaine de millions et se trouvent partout sur le territoire de l’Amérique du Nord. Ceux qui parlent encore français, moins nombreux évidemment (9 millions), se manifestent aux quatre coins du continent.

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La Franco-Amérique contemporaine peut se résumer ainsi :

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Une plaque tournante québécoise entourée de contreforts (Ontario, Acadie, Nouvelle-Angleterre). Au large, un creuset louisianais et des îlots « canayens » et métis dans l’Ouest, autant américain que canadien, un axe dynamique rejoignant Port-au-Prince, Miami, New York et Montréal et le tout alimenté d’immigration internationale, de plus en plus en provenance d’Afrique francophone.

Avec ce schéma en tête, les élèves écoutèrent, à la suite des explications sur l’artiste et la pièce, des échantillons de la chanson franco d’Amérique :

De Louisiane : Zachary Richard avec « Réveille » et « Travailler, c’est trop dur » (à chanter à Mme la prof Hélène Berton quand elle demande aux élèves de travailler davantage).

Du Nouveau-Brunswick : Annie Blanchard avec « Évangeline ».

Du Québec : Gilles Vigneault avec « Mon pays ».

Du Québec/Haïti : Luck Merville avec « On veut faire la fête ».

Du Québec/Rwanda : Corneille avec « Seul au monde ».

Du Manitoba métis : Coulée avec « La batture ».

Du Québec : Céline et Garou avec « Sous le vent ».

Quelle ne fut la surprise pour certains élèves de découvrir que la diva québécoise n’était pas américaine pure!

Étant donné la bonne conduite de tous, j’ai terminé la séance par leur offrir du lagniappe, ce petit extra que l’on donne en Louisiane aux gens que l’on apprécie. Il s’agissait d’une invitation à m’accompagner à Mamou, à Basile ou à Eunice le 16 février prochain pour « courir le Mardi gras ». Évidemment, ces jeunes avaient entendu parler du Mardi gras de la Nouvelle-Orléans. Accompagnés de leurs parents, plusieurs avaient déjà participé à l’un ou l’autre de ses grands défilés. Sur les traditions du Mardi gras en Louisiane rurale, ils ignoraient tout!

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Mardi gras à Basile, LA


Abbeville, MS (pas LA!) : Vivre « en exil » la tempérance à l’occasion de la nouvelle année

Située dans une vieille station service désaffectée, à Abbeville, au Mississippi (427 habitants), l’Auberge Yocona River in Exile nous a accueillis à l’occasion du souper de fin d’année. C’est grâce à l’annonce publiée dans Oxford Town, l’équivalent oxonien du Voir, que nous en avons pris connaissance.

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Pourquoi « auberge en exil »? C’est qu’en mars dernier l’établissement original est passé au feu. Son propriétaire a tout perdu. Neuf mois plus tard, à la veille de la nouvelle année, Paige Osborn a rouvert son nouveau restaurant dans les anciens locaux de Ruth and Jimmie’s Sporting Goods and Cafe qui doublait autrefois de débit d’essence pour les campagnards des alentours.

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Le menu à saveur « southern », offrait un éventail de mets tout aussi délicieux les uns que les autres, apprêtés dans une cuisine à la vue de tous.

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Mon « catfish », accompagné de patate douce et de petits pois en cosse, consommé dans une atmosphère familiale aux tablées composées de résidents du Mississippi et du Tennessee avoisinant, aurait donné satisfaction au plus fin des palais. Ceux et celles qui désiraient arroser l’arrivée de la nouvelle année devaient apporter leur propre bouteille car le comté de Lafayette, à l’extérieur du chef lieu, Oxford, est un comté « dry »—autrement dit, pas de vente de boissons alcoolisées dans les établissements d’alimentation. Vive la tempérance!

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Jacob Thompson et la « guérilla confédérée » au Canada

Mon vélo me réserve parfois des surprises. Aujourd’hui, j’en ai eu une autre. Il m’a fait découvrir, à Oxford, « Home Place », résidence autrefois d’un héros de la Confédération des États du Sud, Jacob Thompson, à qui fut confiée, en 1864, par le Président Jefferson Davis une mission secrète au Canada.

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Né en 1810, en Caroline du Nord, Thompson s’établit au Mississippi au cours des années 1830 se mariant en 1838 avec une jeune fille de 16 ans, Catharine Ann Jones. Le couple fera partie de l’élite oxonienne, possédant de vastes terres de plantation et de nombreux esclaves. Politiquement actif, Thompson représentera, au cours des années 1840 et 1850, le Mississippi au Congrès des États-Unis et fera partie intégrante, en tant que Secrétaire de l’Intérieur, de l’administration du 15e président du pays, James Buchanan. Le 9 janvier 1861, deux mois après l’élection de son ami, Abraham Lincoln, et deux mois avant que celui-ci entre en fonction, Jacob Thompson donne sa démission comme Secrétaire, car le Mississippi, ce jour-là, suivra l’exemple de la Caroline du Sud et se séparera des Etats-Unis d’Amérique. Une guerre civile s’enclenchera.

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Engagé militairement contre les forces de l’Union dans de nombreuses batailles qui ont secoué son patelin dont Shiloh, Water Valley et Vicksburg, Thompson siégeait en même temps à la législature du Mississippi. En 1864, Jefferson Davis le convoque à Richmond, capitale de la Confédération, lui prescrivant d’être prêt à partir à l’étranger. Sa mission : se rendre au Canada poursuivre trois objectifs en ordre d’importance : (1) prendre contact avec les pacifistes des trois grands États du nord-ouest des États-Unis (Indiana, Illinois et Ohio) qui militent en faveur de la cessation de la guerre et d’une paix négociée avec les Sudistes; (2) obtenir la libération des prisonniers de guerre confédérés incarcérés sur l’île Johnson, au large de Sandusky, dans le lac Érié; (3) avec leurs sympathisants, conduire des attaques à partir du territoire britannique contre les villages des États-Unis situés le long de la frontière.

Rejoint à la ville portuaire de Wilmington, en Caroline du Nord, par C.C. Clay de l’Alabama et W.W. Cleary du Kentucky, les trois hommes embarquent à bord du vaisseau britannique, Thistle, qui réussit à déjouer le blocus nordiste se rendant aux Bermudes. Ici, les trois hommes profitent de la protection du gouvernement britannique en attendant une nouvelle embarcation vers Halifax.

En poursuivant son action clandestine le long de la frontière canado-américaine entre Windsor et Montréal, Thompson n’a jamais pu, malgré des stratégies très osées, atteindre les objectifs de sa mission. Le « pacifisme du Nord-Ouest » s’est avéré un leurre. La stratégie de prendre possession du Michigan, frégate protégeant l’entrée de l’île Johnson, a échoué. Frustrés, à partir du sol québécois, les membres la « guérilla » confédérée se sont attaqués, sans succès, à la petite ville de St. Albans, au Vermont. Plusieurs confédérés se font prisonniers.

La sanglante guerre terminée, la renommée de Jacob Thompson en milieux nordistes était connue. En avril 1865, cinq jours après la reddition des Forces du Sud, Abraham Lincoln fut assassiné. Son successeur, Andrew Johnson, pour se défaire de tout soupçon quant aux avantages qu’il aurait pu tirer personnellement du décès du Président Lincoln, mit à prix la tête de Jacob Thompson :

By the President of the United States of America a proclamation :

Whereas, it appears from the evidence in the bureau of military justice that the atrocious murder of the late President Abraham Lincoln, and the attempted assassination of Hon. William B. Seward, Secretary of State, were incited, concocted and procured by Jefferson Davis, late of Richmond, Va., and Jacob Thompson, Clement C. Clay, Beverly Tucker, George W. Sanders, William C. Cleary, and other rebels and traitors against the government of the United States, harbored in Canada, now therefore to the end that justice may be done, I, Andrew Johnson, President of the United States, do offer and promise for the arrest of said persons, or either of them, within the limits of the United States, so that they can be brought to trial, the following rewards :

One hundred thousand dollars for the arrest of Jefferson Davis;

Twenty-five thousand dollars for the arrest of Clement C. Clay;

Twenty-five thousand dollars for the arrest of Jacob Thompson, late of Mississippi;

Twenty-five thousand dollars for the arrest of George W. Sanders;

Twenty-five thousand dollars for the arrest of Beverly Tucker;

Ten thousand dollars for the arrest of William C. Cleary, late Clerk of Clement C. Clay.

The provost marshall general of the United States is directed to cause a description of said persons, with notice of above reward published.

In testimony whereof I have hereunto set my hand and caused the seal of the United States to be affixed.

Done in the city of Washington this second day of May, A.D. 1865, ad of the Independence of the United States the eighty-ninth.

Incapable de rentrer en quiétude aux États-Unis, Thompson passerait quatre autres années à l’étranger, en Europe et au Canada. Son adresse à Montréal aurait été La Maison aux sept pignons (House of Seven Gables). Qui la connaît?


Manger de la « barbue brûlée » à Taylor Grocery

Taylor, MS (288 habitants), 10 km au sud d’Oxford, ville universitaire de 10 000 habitants, selon les uns, ou de 19 000 habitants, selon les autres, la population ayant presque doublé grâce à l’annexion récente d’un territoire de neuf kilomètres carrés pris à même le comté de Lafayette au cœur duquel se trouve Oxford.

Hier soir, en compagnie de nouveaux amis, Anna, Hélène, Thea, Lucien et Charlie, je me suis rendu à Taylor me régaler. Les deux premières enseignent respectivement, à l’école secondaire d’Oxford, l’allemand et le français. L’une est d’origine allemande, l’autre est Parisienne. Hélène est déchirée entre l’idée de rentrer en France à sa retraite, pays qu’elle considère encore le sien, et où demeure sa mère centenaire, ou de rester aux États-Unis où elle a élevé ses deux filles dans la vingtaine. Celles-ci ne partagent évidemment pas, au même degré, son affection pour le vieux continent. Théa et Charlie m’offrent le gîte chez eux. J’occupe le « guest house » situé dans leur cour arrière. Lucien, originaire du sud de la Louisiane, est professeur de physique à l’université du Mississippi.

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« Chez moi » à Oxford

Le régal eut lieu au Taylor Grocery qui n’est plus, depuis 32 ans, une épicerie. Érigée comme mercerie en 1889, la bâtisse a souvent changé de fonctions et de propriétaires. Alors que la mercerie appartenait à Harry Browning, Elton McClain y avait installé une chaise de barbier. Par la suite, Phil Maples avait transformé les lieux en magasin général. Enfin, en 1977, Jerry et Evie Wilson décidèrent de gagner leur vie en y faisant cuire pour la vente de la succulente barbue. Les propriétaires actuels, Debbie et L., continuent avec succès la tradition.

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L’endroit me fait penser au Café des amis, à Pont-Breaux, en Louisiane, ancienne quincaillerie réaménagée en restaurant. En y mangeant écrevisses, « chevrettes », gombo, jambalaya ou d’autres spécialités de la région, on se laisse bercer et brasser par des sons de la musique cadienne ou zydeco. Au Taylor Grocery, on mange de la barbue apprêtée de mille et une façons en écoutant la musique d’ici : du blues ou du bluegrass ou un mélange des deux.

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La barbue? Vous ne savez pas ce que c’est? Au Québec ou en France, on dirait peut-être « poisson-chat ». Partout dans le Sud des États-Unis, on consommerait du catfish, ou « barbue » en français cadien. J’ai pris la mienne « brûlée », des tendres morceaux de barbue légèrement enrobés d’une très mince croûte bien grillée et fumée—« blackened » dans le jargon de la cuisine néo orléanaise.

À la fin de la soirée, les clients bien rassasiés, Hélène et Thea, amies de Wendy, l’une des musiciennes, ont passé le béret et le chaudron afin de ramasser des sous. Selon l’écriteau inscrit au mur derrière la scène : Les musiciens travaillent pour des pourboires : It’s hip to tip!

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Du patinage à l’université du Mississippi

Début décembre. Fin du trimestre ici comme ailleurs. Les étudiants sont en période d’examen. La bibliothèque est ouverte 24 heures sur 24. Tout le monde est épuisé. Pour aider la communauté universitaire à passer au travers, le Daily Mississippian annonce du patinage libre et d’autres activités.

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Pour se rendre au Union Plaza, les fêtards empruntent la Promenade des Champions qui traverse le Grove, vaste terrain au cœur du campus, parsemé d’arbres d’une myriade d’espèces—endroit de prédilection pour la sylviculture certes, mais non seulement cela, c’est ici que des milliers de « fans » des Rebels s’installent les vendredis soirs de l’automne en préparation du match de football du lendemain contre les puissants adversaires de la SEC (Southeastern Conference) : Louisiana State, Florida, Tennessee, Georgia, Alabama, etc. On y renifle les odeurs de la fumée émanant des centaines de barbecues et on y entend des chants d’encouragement pour l’équipe. Cette année, il y a eu un peu de controverse. Le 21 novembre, une quinzaine de membres du Ku Klux Klan se sont pointés devant la chapelle Fulton, en robes et cagoules, pour protester contre l’abolition de certains symboles rappelant le passé raciste de cette université qui n’a été intégrée qu’en 1962 par la force. Les plus vieux se rappelleront que le Président John F. Kennedy et son frère, Robert, procureur général des Etats-Unis, avaient envoyé des centaines de soldats à Oxford pour assurer la sécurité de James Meredith, premier noir à être admis à Ole Miss (nom affectueux attribué à l’université).

Malheureusement pour les étudiants d’Ole Miss et les gens de la région et de l’État entier, il n’y aura pas de championnat cette année. La saison de football qui s’annonçait prometteuse en septembre s’est transformée en cauchemar, les Rebels perdant plusieurs matches, y compris le dernier de la saison contre leur principal rival, les Bulldogs de Mississippi State.

À cette soirée de patinage au Plaza qui est, en fait, une aire de divertissement à l’intérieur de l’édifice qui regroupe tous les services offerts aux étudiants, y compris librairie et cafétéria, le rouge est la couleur dominante. Noël oblige! Toutefois, le rouge est aussi l’une des deux couleurs des Rebels, l’autre étant le bleu. Plusieurs jeunes portent un chapeau de Père Noël. Pas d’alcool ici, oh non! On boit du chocolat chaud aux guimauves et on grignote des pacanes rôtis avec un soupçon de cannelle. Yum!

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La patinoire vient de Boston. Deux hommes à l’accent yankee, faisant contraste avec la douce parlure de la région, m’expliquaient l’installation de cette « glace » en plastique d’une superficie d’environ 200 mètres carrés qu’ils trimbalent jusqu’au Texas pour permettre aux gens du Sud de goûter aux plaisirs d’un hiver nordique.

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L’habilité des patineurs est rudimentaire. Le jeune garçon se tient sur son hockey afin de ne pas tomber. Le taux de participation à cette soirée de patinage n’est pas très élevé. Le monde préfère regarder. De toute évidence, le hockey n’est pas une passion ici. Pourtant, il y a une équipe de la Ligue nationale à 250 km d’ici. Elle a pour nom « Prédateurs de Nashville ». À Québec, il n’y en a plus. C’est le comble du ridicule!