« Bilinguisme officiel » à Beaumont, AB

Attirés à Beaumont par les informations diffusées par le père Jean-Baptise Morin (1852-1911), né à Saint-Paul, près de Joliette, au Québec, agent de la colonisation dans le Nord-Ouest, les premières familles canadiennes-françaises arrivèrent en 1892. En 1894, à la demande de Monseigneur Vital Grandin, le père Albert Lacombe acheta, pour la somme de 50$, dix acres de terrain pour la construction d’une église. La paroisse fut nommée Saint-Vital en l’honneur de l’Évêque. Le 30 juin 1895, la première messe y était célébrée. Par la suite, la communauté, située à une vingtaine de km au sud-est d’Edmonton, prit le nom de Beaumont.

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Aujourd’hui, Beaumont est l’une des trois localités en Alberta ayant officiellement acquis le statut de municipalité bilingue, les deux autres étant Legal et Bonnyville. La belle église centenaire surplombe les environs qui manifestent encore un certain cachet français, mais où les résidents parlent de moins en moins cette langue. Le développement résidentiel est rapide et dense. Les nouveaux lotissements respectent les origines du village portant, par exemple, les noms tels que « Place Chaleureuse » et « Beauval ».

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Fait à noter, les deux candidats aux prochaines élections, MM. Bérubé (sans accents) et Poitras, sont de toute évidence d’ascendance canadienne-français, mais n’utilisent pas le français pour attirer des électeurs.

En arrière de l’église, le cimetière est divisé en deux parties, très différente l’une de l’autre. Dans le secteur le plus vieux, les pierres tombales sont monumentales. Les inscriptions nécrologiques sont, dans la vaste majorité des cas, en français, tandis que dans le nouveau secteur, les pierres, toutes au ras du sol, n’informent que par l’utilisation de la langue anglaise.


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La dénomination des commerces est un méli-mélo. Certains, comme la clinique dentaire et la garderie projettent une image fidèle au statut de « municipalité officiellement bilingue ». D’autres—la majorité, comme le salon de barbier—s’affichent uniquement en anglais.

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Pays de la Sagouine ou King’s Landing: choix difficile

Le Nouveau-Brunswick est bien servi en parcs d’attraction. Trois sites ont été aménagés ces dernières années pour présenter et interpréter les principales cultures en présence dans cette seule province officiellement bilingue du Canada qui compte environ 750 000 habitants dont le tiers de langue française et les autres largement d’ascendance loyaliste (population réfugiée restée fidèle à la couronne britannique lors de la guerre d’indépendance des treize colonies américaines). Le Forum des jeunes ambassadeurs à Moncton m’a fourni l’occasion cette semaine de visiter deux des trois : Le Pays de la Sagouine et King’s Landing. Ayant visité en octobre 2002 (hors saison), le Village historique acadien, à Caraquet, je n’en garde qu’un vague souvenir. Ce court récit se limitera, donc, aux impressions glanées sur les lieux d’un site d’attraction touristique acadien, d’une part, et d’un centre touristique loyaliste, d’autre part. Le premier est un « centre de célébration », tandis que le deuxième est davantage un « centre d’interprétation ».

Le Pays de la Sagouine, situé à 60 km au nord de Moncton, célèbre l’œuvre littéraire d’Antonine Maillet et, par ricochet, la survie d’un peuple voué en 1755 à la disparition par déportation. Le visage de la Sagouine, cette femme de ménage imprégnée de sagesse et du gros bon sens, annonce l’entrée sur le site à Bouctouche.

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En suivant le sentier qui passe devant le restaurant L’Ordre du bon temps qui offre un buffet acadien et un brunch acadien, selon les jours et les heures, et des soupers théâtre la plupart des soirs d’été, on arrive au pont qui mène à l’île-aux-Puces, là où habitent les personnages issus de l’imaginaire fécond de Mme Maillet : Citrouille, Nome, Peigne, Michel-Archange, la sainte, les chicaneuses, les filles du barbier, les catchineux et les autres qui divertissent par la parole et par le chant. Le cœur est à la fête et les plus grosses dansent avec les plus maigres!

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King’s Landing est une tout autre histoire. Il ne s’agit pas d’une célébration de la vie et de la survie, mais plutôt de l’interprétation d’une époque révolue et d’un espace méconnu. A été reconstitué sur les rives du Saint-Jean, à 40 km à l’ouest de la capitale, Fredericton, le milieu rural—loyaliste et victorien—du Nouveau-Brunswick du dix-neuvième siècle. Contrairement aux structures (maisons, granges, hangars, etc.) du Pays de la Sagouine, celles de King’s Landing sont authentiques, ayant été récupérées, déplacées et aménagées à la fin des années 60, avant la construction du barrage, car bons nombreux d’entre elles étaient menacées par le niveau d’eau. Aujourd’hui, dans un cadre naturel enchanteur, le personnel en costume d’époque tente d’interpréter avec exactitude la vie d’autrefois.

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Ce qui fait le charme de King’s Landing par rapport au Pays de la Sagouine, c’est la présence d’animaux et les odeurs de la basse-cour! Partout, ça pue! Mais ça pue agréablement! L’odeur des excréments se mêle à celle des champs en production, à celle de fumée émanant de la forge et à celle engendrée par la meunerie et la scierie. Les chevaux transportent les visiteurs qui le désirent et les bêtes à cornes et les moutons leur font des sourires.

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Cette année, pour la première fois, la Sagouine parle anglais! Deux fois par jour, à 11h et à 14h, est présenté en anglais des Maritimes l’un de ses monologues. Les uns disent que c’est par choix pour rendre la culture acadienne accessible aux anglophones et pour favoriser une plus grande compréhension culturelle. Les autres disent que c’est par nécessité, à cause de la récente baisse de fréquentation au site, le marché francophone, largement québécois, étant peut-être saturé. Cette question ne se pose pas à King’s Landing où le bilinguisme à la canadienne emporte…pour le meilleur ou pour le pire!


Héritage français au Mid-west, vu et vécu

Les 9 et 10 juillet derniers à Bismarck au Dakota du Nord, s’est tenu un « love-in » franco du premier ordre. Il s’agissait d’un quatrième congrès annuel organisé par Virgil Benoît , directeur d’IF Midwest (Initiatives en français) et ses associés, en collaboration cette fois-ci avec la Société d’histoire et de généalogie de Bismarck, capitale de cet État peu peuplé (650 000 habitants), méconnu et sous estimé. Cent dix Dakotans, partageant le français comme langue d’héritage se sont réunis au magnifique Heritage Center, sur le terrain du capitole, pour explorer la notion d’héritage telle qu’elle est définie par l’UNESCO : le milieu naturel du monde, son histoire, ses institutions et son esprit humain. Les organisateurs insistaient sur l’idée d’héritage vivant qui consiste en une réflexion sur son passé dans le but de mieux se comprendre dans le présent afin de créer de nouvelles relations permettant d’améliorer le sort de sa communauté et de contribuer ainsi à un monde meilleur.

Qui étaient-ils ces Franco-Dakotans, appuyés par un petit contingent de l’Union nationale métisse de Saint-Joseph de Saint-Boniface, au Manitoba.

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Gabriel Dufault en costume métis

D’abord, des descendants de Canadiens français s’installant surtout, mais pas exclusivement, des deux côtés de la rivière Rouge au sud du 49e parallèle.


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Les recherches effectuées par Virgil Benoît révèlent que qu’ils étaient venus en grand nombre, au cours des année 1870, de la Mauricie. L’été dernier une quarantaine de leurs descendants ont fait le voyage à rebours vers la mère patrie (voir billet du 8 août 2009)

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Ensuite, des Métis de la réserve autochtone de la Montagne à la tortue (Turtle Mountain Reserve), située à la frontière entre le Dakota du Nord et le Manitoba et autour de la petite ville de Belcourt (nom à consonance franco s’il en est, surtout quand on connaît l’histoire et le parcours du Père Georges-Antoine Belcourt (1803-1874)).

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Dan Jerome, sculpteur, ethnologue, musicien…alouette!

Enfin, des Africains, surtout Togolais, Congolais et Camerounais, arrivés aux États-Unis depuis peu, gravitant autour des deux plus grandes universités du Dakota du Nord, situées respectivement à Grand Forks et à Fargo.

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Amoussa Koriko au micro et Rafiki Assoumani

Population donc très diversifiée, mais unie dans l’effort de cerner le concept d’héritage. Les sujets abordés :

1.     Héritage local: Qu’est-ce que c’est? Où le trouver? Quelle est sa place dans le monde ?

2.     Lien entre généalogie et héritage.

3.     Héritage chez les Métis franco-manitobains et les Michif du Dakota du Nord : questions d’actualité.

4.     Le tambour comme élément intégrant de l’héritage local dans les pays francophones d’Afrique occidentale.

5.     Le voyage de retour au Québec, 2009 : sa signification pour les gens qui l’ont fait.

Les séances manquaient la rigueur et la scientificité des colloques universitaires, se caractérisant plutôt par la spontanéité et par le témoignage, voire par l’émotivité. La critique brillait par son absence et la bonne humeur régnait à tout moment.

L’importance de l’événement fut soulignée par la présence du délégué du Québec à Chicago, Marc Boucher, qui expliqua avec brio la façon dont le Québec essaie de développer des partenariats globaux grâce à ses politiques économique et culturelle.


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Le travail « sérieux » des deux jours fut agrémenté par des activités sociales remarquables. D’abord, un souper le vendredi soir, servi aux sauces canayenne (tourtière et soupe aux pois), métisse (ragoût michif) et africaine (cuisses de poulet à la cacahouète). Comme dessert, tarte et crème glacée à volonté !

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Le samedi soir, au Belle Mehus, salle de spectacles construite en 1914, une soirée de musique, de chanson, de conte et de danse mettant en évidence les trois cultures franco en présence.

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Pour clore la soirée, l’intégration des trois traditions par de l’improvisation, geste symbolisant la coopération, l’unité et l’amour.


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Une réflexion de Dick Bernard, Franco-Dakotan de la cinquième génération, est particulièrement poignante à cet égard :

This bridge building is not easy. On that single stage on Saturday night were performers from Togo, Cameroun, Congo (Zaire), and Côte d’Ivoire – all African countries whose official language is French. (One of the performers – I believe from Cameroun – said that in her country alone there were 218 different tribal cultures, each with their own dialect.) Within my French-Canadian extended family, I have cousins whose first language in Canada is French, including some who have considerable difficulty communicating in English. Then there’s me, who was never exposed to French, even in a school elective course, and is thus language handicapped when someone chooses to speak French, as happened on occasion on Saturday night.

En nous quittant, Jocelyn Pambrin, métisse du Manitoba, m’a fait part d’un souhait que je partage. Que lors des prochaines rencontres, Virgil et ses amis puissent trouver le moyen de faire une plus grande place à la langue des ancêtres, cet idiome, sans quoi il n’y aurait pas eu de rencontre, idiome qui nous a permis de nous réunir tout en parlant la langue de l’autre !


Sister Michaeleen et la basilique Saint-Jacques, Jamestown, ND

À une heure et demie de Bismarck, site de la French Heritage Convention 2010, (www.ifmidwest.org/en/News.html), j’ai décidé de passer la nuit à Jamestown afin de me reposer du long voyage depuis Québec et de préparer les remarques que je livrerai samedi matin aux congressistes. Lorsque j’ai besoin d’une chambre de motel, je préfère les vieilles concessions des années 50 et 60, aménagées le long des anciennes routes nationales. Règle générale, j’évite le plus possible les motels appartenant aux grandes chaines telles Holiday Inn, Comfort Inn, Days Inn, Fairfield, Hampton, Super 8, etc. Parfois, s’il y a un Motel 6 dans le coin, je fais exception à la règle!

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À moins d’un kilomètre du Motel Jamestown qui est situé en face du Dairy Queen, se trouve la basilique de Saint-Jacques (St. James Basilica), érigée en 1914. Bien que constituant une minorité dans cette ville de 16 000 habitants, le temple des Catholiques est néanmoins le plus beau et le plus imposant.

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Me voyant en prendre une photo, un paroissien en moto, s’est arrêté me prier d’y entrer. Il m’a assuré que les portes étaient ouvertes en tout temps. Devant sa fierté et compte tenu de l’affection que je ressens envers de belles églises, j’ai accepté son invitation. Comme il me l’avait dit, les vitraux sont magnifiques : d’un côté, sont représentés les événements joyeux de la vie de Jésus et de l’autre, les grands mystères.

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Subitement, s’est précipitée sur moi une charmante petite octogénaire désireuse de me faire visiter l’église de fond en comble, informations à l’appui sur « North Dakota’s mother Church ». Sœur Michaeleen, née Beverly Ann, originaire du Dakota du Nord, fait partie du Monastère de la Mère de Dieu (Mother of God Monastery) dont la maison mère se trouve à Watertown, au Dakota du Sud, et dont la devise est « The Call to Listen ». Cette femme chaleureuse et souriante, postée ici depuis un quart de siècle, vient de compléter sa 63e année de vie religieuse!

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« Michaeleen », quel drôle de nom lui ai-je dit. « Oui, dit-elle, je le porte fièrement pour deux raisons : (1) c’est le nom de Saint-Michel dont la fête est le 29 septembre qui est aussi la mienne; (2) c’était le nom de mon père décédé alors que j’avais 6 ans ».

Si elle est chaleureuse et souriante, elle est aussi très curieuse. Voulant savoir ce qui m’emmenait si loin de chez moi, je lui ai parlé du congrès organisé sur l’héritage franco du Dakota du Nord par Virgil Benoît et ses associés d’IF (Initiatives en français) Midwest.

« Ah, mé je connais ça, dit-elle, j’en ai entendu parler hier soir au Prairie Public Broadcasting . Je voudrais donc y assister ! »