La famille Leavitt des Cantons de l’Est : pionniers mormons

En mai 1995 se sont pointés chez moi Victor et Monica Mark de Calgary, accompagnés de leurs bons amis de longue date, Clark et Norma Leavitt, eux aussi, du sud de l’Alberta. Après avoir assisté au congrès annuel de la Mormon History Association, tenu cette année-là à Kingston, en Ontario, ils étaient passés par Compton et North Hatley afin de visiter des lieux ancestraux de Clark. Je ne portais pas grande attention. Cela ne m’intéressait pas trop! Hier, à Santa Clara, petite ville comptant 4 800 habitants, située à 10 km de St. George, j’ai enfin saisi la signification de ce retour bouleversant et émotif de Clark au Québec, car c’est à Santa Clara en 1998, l’année du bicentenaire de l’aïeule, Sarah Sturtavant Leavitt, que la Western Association of Leavitt Families a fait ériger un monument patrimonial colossal à la mémoire de Sarah et de toute sa postérité.

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Sarah naquit à Lyme, au New-Hampshire. À 18 ans, elle se marie à Jeremiah Leavitt, fils, chez son père à Barton, au Vermont. Ils s’établissent aussitôt à Hatley, au Québec, où habitait depuis 1800 son beau-père avec sa famille. Pendant une vingtaine d’années, le jeune couple cherchait à gagner leur vie par l’exploitation des champs rocailleux des Appalaches. Et les enfants arrivaient : Mary Ann (1818, décédée aussitôt), Clarissa (1819), Louisa (1820), Jeremiah III (1822), Lydia (1823), Weare (1825), Lemuel (1827), Dudley (1830), Mary Amelia (1832), Thomas Rowell (1834). Par l’entremise de sa belle-sœur, Sarah prit connaissance d’une nouvelle religion qui semblait correspondre à ses valeurs et croyances personnelles. La famille se convertit au Mormonisme et, en 1836, décide de quitter le Bas Canada pour se joindre aux Saints des Derniers Jours qui s’organisaient et se rassemblaient à ce moment-là en communauté à Kirtland, en Ohio, puis, à partir de 1839, à Nauvoo, en Illinois. Le 12 mai de cette année, à Nauvoo, naît une onzième enfant (Betsy Jane) et deux ans plus tard, au même endroit, une douzième, Sarah Priscilla.

Dès 1846, la famille participa à l’exode forcé de Nauvoo qui conduirait des milliers de Mormons vers la vallée du Grand lac salé. Le père de famille, Jeremiah, sera le premier à mourir avant d’atteindre la Terre promise, mourant à Bonaparte, en Iowa, le 20 août 1846. L’année suivante, Lydia, 24 ans, et Weare, 22 ans, trouveraient la mort à Council Bluffs, avant-poste établi en Iowa pour approvisionner les Saints en fuite. En août 1850, Sarah Sturtavant Leavitt et sept de ses enfants survivants arrivèrent à destination (Louisa décéda à Council Bluffs en 1855). Ils participeraient activement au processus de colonisation de l’Ouest. En 1896, au moment où l’Utah devint le 45e État de l’Union américaine, les Leavitt des Cantons de l’Est comptaient parmi les fidèles ayant établi environ 500 colonies s’étendant depuis les prairies de l’Alberta aux déserts inhospitaliers du sud de l’Utah, du Nevada, de l’Arizona et du nord du Mexique. Sur les 12 enfants de Jeremiah et Sarah, sept y ont laissé une nombreuse progéniture :

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Jeremiah Leavitt, fils. Né le 12 février 1822, Hatley, comté Stanstead, Québec; mort le 12 avril 1878, Gunlock, comté de Washington, Utah; marié le 1er février 1845 (Eliza Hanover); 12 enfants.

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Lemuel Sturtavant Leavitt. Né le 3 novembre 1827, Compton, comté Stanstead, Québec; mort le 14 octobre 1916, Santa Clara, comté de Washington, Utah; marié (1) le 15 octobre 1850 (Laura Melvina Thompson), (2) le 13 octobre 1863 (Betsy Amelia Mortensen-Spreckler), (3) sans date (Mary Craig), (4) le 17 novembre 1873 (Mary Ann Morgan), (5) 1881 (Rebecca Gibbins Waite); 14 enfants avec quatre femmes.

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Dudley Leavitt. Né le 30 août 1830, Hatley, comté de Stanstead, Québec; mort le 15 août 1908, Bunkerville, comté de Clark, Nevada; marié (1) le 31 août 1853 (Mary Ann Huntsman); (2) le 12 août 1855 (Mariah Huntsman), (3) le 11 août 1859 (Thirza Riding), (4) le 10 mars 1860 (Janet Smith), (5) le 30 novembre 1872 (Martha Ann Hughes-Pulsipher; 50 enfants avec cinq femmes.

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Mary Amelia Leavitt. Née le 10 février 1832, Compton, comté de Stanstead, Québec; morte le 12 août 1893, Mont Graham, Arizona; mariée le 24 octobre 1850 (William Haynes Hamblin); neuf enfants.

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Thomas Rowell Leavitt. Né le 30 juin 1834, Compton, comté de Stanstead, Québec; mort le 21 mai 1891, Cardston, Alberta; marié (1) le 1er mars 1857 (Anne Eliza Jenkins), (2) le 9 mars 1861 (Antoinette Davenport), (3) le 5 juillet 1883 (Harriet Martha Dowdle); 26 enfants avec trois femmes.

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Betsy Jane Leavitt, Née le 12 mai 1839, Twelve Mile Grove, comté de Will, Illinois; morte le 12 septembre 1917, Safford, comté de Graham, Arizona; mariée le 24 août 1854 (William Haynes Hamblin); huit enfants.

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Sarah Priscilla Leavitt. Née le 8 mai 1841; morte le 23 juillet 1927, Alpine, comté d’Apache, Arizona; mariée le 11 septembre 1857 (Jacob Hamblin); neuf enfants.

Sous la houlette de la matriarche, Sarah Sturtavant, ces Leavitt ont parcouru l’Amérique d’un bout à l’autre ou presque. Répondant aux appels de leurs chefs spirituels, ils ont fait preuve d’une foi inébranlable, multiplié leurs nombres de manière spectaculaire, grâce en partie à l’étrange pratique de la polygamie, et dompté les terres arides par le développement de techniques d’irrigation innovatrices.

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Les Leavitt, originaires des Cantons de l’Est, partis pour Sion en 1836, offrent un bel échantillon de la culture mormone du XIXe siècle. Une descendante de Sarah, Norene Mackley, d’Ivins, Utah, en rend témoignage (http://sarahsturtevantleavitt.com/).


Jesse Wentworth Crosby, fin de l’histoire

Las d’entendre parler de cette histoire de Jesse Crosby? Terminons-en donc rapidement…mais en beauté!

C’est la rencontre fortuite à Québec, il y a un quart de siècle, avec son petit-fils et deux de ses arrières petits-fils qui m’a mis sur la piste de cet homme remarquable. Je me promettais d’un jour passer par St. George et d’y creuser ce récit qui me paraissait formidable. En épilogue à mon billet du 31 janvier, j’écrivais :

Un dimanche d’été 1985, un vieil homme et ses deux fils se sont pointés à Québec. J’ai eu le bonheur de les croiser et de leur parler. C’était le petit fils de Jesse Crosby qui, journal du grand-père à la main, retraçait le parcours de la deuxième mission de celui-ci. Avant de mourir, ce vieux résident de St. George tenait à poursuivre ce périple d’environ 10 000 km. Qui était-il ? Malheureusement, 25 ans plus tard, je ne peux me souvenir de son prénom, mais j’aime croire qu’il s’agissait de « Sam » Crosby, auteur de Jesse Wentworth Crosby : Mormon Preacher, Pioneer, Man of God.

Et bien, non, il s’agissait plutôt du frère de Samuel Wallace Crosby, Henry, rancheur et cultivateur de métier, accompagné de ses deux fils, Charles et Jack, tous trois décédés aujourd’hui.

Comment le sais-je ? C’est que le destin a voulu mettre sur mon chemin cette semaine à St. George une autre membre du clan, Linda Lou, l’avant dernière enfant de la famille d’Henry, famille qui comptait trois garçons et deux filles. Elle travaille 14 heures par semaine, comme réceptionniste, au clubhouse du Village des sports, là où je passe les mois de janvier et février. Elle m’a confirmé ce long voyage en voiture de son vieux père et de ses deux frères aînés.

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Ensemble, Linda et moi avons discuté de la vie de Jesse, de la relation avec ses épouses—au nombre de trois—qui semblait plutôt bonne, du rapport parfois orageux et toujours contentieux qu’il tenait avec ses chefs spirituels à Salt Lake et du paupérisme qui a marqué la fin de ses jours. Petite fille, Linda adorait la maison bâtie par Jesse et Hannah. Elle se souvient d’avoir pleuré le jour où elle a changé de mains. Linda prétend que la date de vente de la maison à la famille Pace, inscrite sur la plaque (1957) est imprécise. Cela se serait produit, selon elle, avant 1945, alors que la fillette n’avait pas encore 10 ans.

Que quelqu’un d’aussi loin que le Québec se passionne de son aïeul l’a abasourdie et que cette personne ait pu l’aider à le connaître, à le respecter et à l’aimer encore davantage l’a remuée considérablement. Une belle connivence s’est développée entre nous !

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De Jesse à Linda ! La boucle est bouclée, fin de l’histoire !


Deuxième mission de Jesse Wentworth Crosby: observations sur le Bas Saint-Laurent et le portage du Témiscouta

[Pour saisir le contexte complet, voir le billet du 31 janvier]


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Portage du Témisouata, circa 1840

En1844, le missionnaire mormon, Jesse Wentworth Crosby (1820-1893), a séjourné dans les « British provinces of Canada », à savoir le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Pour s’y rendre, il a parcouru la vallée du Saint-Laurent. Voici le récit de son voyage de Québec à Grand Sault, au Nouveau-Brunswick. Crosby a ensuite continué son chemin sur le Saint-Jean jusqu’à Fredericktown.

After a stop of four days, we engaged passage on board a French vessel; not a soul could speak English; set off June 11th with ebb tide and sundown with a fine breeze until flood tide, then down anchor; held on till ebb, thence on. The country below Quebec is gloomy. Lofty and precipitous banks, while blue ranges of mountains are seen in the distances, inhabited by French. Their small white cots, (cottages), are seen along the river; they appear as white spots scattered over the hills and mountains. Arrived at St. Andre [de Kamouraska].

June 12th. This is one hundred miles from Quebec; here the country is rocky and very broken; thence to Riviere du Loup, which is a great place for fishing; the tide rises rapidly and high. Extends one hundred miles above Quebec to Three Rivers; rises at Quebec 15 feet. From Riviere du Loup, proceeded back from the St. Lawrence, crossed the Portage, 36 miles to Lake Temisquata; bought a canoe and crossed the lake 15 miles; thence down the Madwaska to its junction with the St. John at Little Falls [Edmundston], twenty-two miles; thence by means of our canoe to Grand Falls, 36 miles, hired the canoe drawn around the falls; thence on our journey as before. Inhabitants are nearly all French until we reached the Grand Falls below that are English people…


Deuxième mission de Jesse Wentworth Crosby: observations sur Québec

[Pour saisir le contexte complet, voir l’avant dernier billet]

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En1844, le missionnaire mormon, Jesse Wentworth Crosby (1820-1893), a séjourné dans les « British provinces of Canada », à savoir le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Pour s’y rendre, il a parcouru la vallée du Saint-Laurent. Voici le récit de ses trois jours passés à Québec.

Arrived in Quebec at 9 :00 A.M., June 7th, and put up at Meriams Hotel. We proceeded to examine the city; the lower town is situated along the water’s edge under a high bluff on which is situated what is called the Upper Town. Besides these, there are three suburbs, entirely French. The Upper Town is surrounded by a wall of twenty or thirty feet in thickness. We passed through Prescott gate; obtained a pass from the commanding officer, and attended by a soldier entered the citadel. It contains military stores, etc.—six thousand stands of arms, three thousand barrels of powder, and provisions for seven years. One thousand five hundred troops are stationed here. The walls are mounted with thirty-two pounders, etc. not only around the citadel, but around the entire Upper Town; two hundred and fifty heavy pieces on the walls, besides hundreds of heavy cannon and scores, if not hundreds, of cords of shot or balls and bombs of all kinds in the citadel ready for use. Magazines, batteries, etc., all numbered in regular order. This fortress is to all appearances impregnable.

After spending some hours in our search, we passed out through a strong gateway. Next we examined the old French ruins, then we proceeded to the Plains of Abraham. The clash of arms; the groans of the dying has long since ceased, all was silence. The roar of cannon, the crack of musketry no longer fill the plains with blood and carnage; here fell two brave warriors, Wolfe and Montcalm. I seated myself beside a monument bearing this inscription: “Here died brave Wolfe.” We passed over the battle ground and descended the bluff where Wolfe and his men ascended, dragging their cannon after them. All was silent and lonely.

June 8th, Spent the day in reviewing the citadel and all military works and public buildings.

June 9th; Being Sunday, attended Catholic Services in the afternoon; thousands of Catholics were assembled, and formed a grand procession displaying much pomp and show. The procession commences their march from the church which was adorned in the greatest splendor. The sanctuary with its images tinged with gold was lighted up with hundreds of wax candles. The priests, some in gilded garment, others in robes of white, were preceeded by boys dressed in white, some with pots of incense, others with baskets of flowers to strew the streets,; then followed the Altar, the Ark of the Covenant, then the Bishop and long train. Smoke issued from the pots and the Altar, as they passed. The streets were adorned with bushes and flowers and filled with thousands of people. We visited two churches in Montreal and two in Quebec. They were all built in similar style, in a very grand and extravagant manner; especially the Sanctuary—thirty or forty feet high, twenty broad, forming a concave front in the middle, standing a the height of twelve feet, the Virgin Mary with the Infant in her arm. Next above is Jesus on a cross; on either side around about stand the Twelve Apostles, while above all, on the top of the Sanctuary stands God on a ball, representing the earth as his footstool, holding a scepter in his hand. The whole front is regularly arranged with candles. When lit up, the whole appears like a mass of gold.

Quebec is a large city but meanly built; quite populous, wealth and poverty, pride and misery abound there. From three to five hundred square rigged vessels were lying in port; the aspect is rather gloomy. Cabs and calashes are in use instead of four wheeled carriages; plenty of dog teams may be seen running to and from through the streets.




Deuxième mission de Jesse Wentworth Crosby: observations sur Montréal

[Pour saisir le contexte complet, voir billet précédent]

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Plan de Montréal, 1840

En1844, le missionnaire mormon, Jesse Wentworth Crosby (1820-1893), a séjourné dans les « British provinces of Canada », à savoir le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Pour s’y rendre, il a parcouru la vallée du Saint-Laurent. Voici le récit de ses deux jours passés à Montréal.

June 5th, 1844

Spent the day in viewing Montreal. Passed through the principal streets, they are narrow and irregular. In the best parts, the buildings are high and covered with tin; all the back parts are inhabited by French. Their buildings are small, irregular and compact. The incorporation extends three miles (three miles square) contains fifty thousand inhabitants, two thirds French.

One trait in the history of this city is that a four wheeled carriage is scarcely ever seen, while calashes and cabs stalk the streets and hedge up the way, we thoroughly examined everything of note, particularly the Parish Church. It is the largest building of the kind in America, 260 by 130 feet; it contains 1363 pews capable of seating 15,000 persons. The Sanctuary is adorned in superior style, tinged with gold. We ascended the tower 260 feet high by means of 25 stairs forming 285 steps. From this observatory the whole city is seen at one glance. Spy glasses, etc. are at hand—the square rigged vessels, about 100 in number, lay along the shore in full view; men, horse, etc. hurry to and fro along he streets and appear like swarms of ants. Having satisfied ourselves in viewing the city, we next examined the monster bell. It weighs about ten tons, cast in London at an expense of twelve hundred pounds sterling. It is suspended in the western tower; the opposite one contains thirteen smaller bells, this fabric is built of hewn stone, and exclusive of bells, cost one hundred and fifty thousand pounds sterling.

June 6th left our lodgings, Mr. Griffis’s Hotel, and repaired to Parish Church; saw High Mass performed and other Catholic ceremonies; great splendor was exhibited. Two or three hundred wax candles were burning, some of them six feet long; one or two hundred priests were present, some of them dressed in garments gilded, others in white robes. Next visited the “Grey Nunnery”; examined it critically; were not permitted to enter the “Black Nunnery.” The day was spent agreeably. At 6:00 P.M. we took passage on board the “Charlevoix” for Quebec; bid farewell to the Catholic metropolis probably forever. I viewed the country very carefully. It is level, inhabited entirely by French, houses white, very compact; along the banks of the river, Catholic steeples and crosses are seen as we pass along. The river is broad and beautiful the whole way—180 miles.