Cher collègue,
Permettez-moi de répondre et commenter, en quelques points disparates, votre lettre Nuisible aux librairies parues dans La Presse ce 16 août 2013. Vous tenez à partager votre science à la veille des premières auditions de la commission parlementaire sur la réglementation du prix du livre au Québec.
1. Voilà presque quatre ans que la profession se mobilise autour de cette question. De nombreux forum, assemblées générales et autres réunions ont été organisés pour débattre des problèmes que traverse actuellement le milieu du livre, au cours desquels la réglementation a largement été discutée. Oui, les tenants de cette approche en ont sérieusement évalué les conséquences, je vous invite à consulter le site Internet Nos livres à juste prix pour vous en convaincre. Être présent lors de ces rencontres aide grandement à la réflexion.
2. Chaotique, la loi 51 ? Cette loi, aujourd’hui saluée par l’ensemble de la profession, a permis aux éditeurs québécois (dont Québec Amérique) de s’épanouir, aux auteurs québécois (et d’ailleurs) de connaitre un âge d’or, aux librairies québécoises d’éclore à la grandeur du Québec, soutenues par le développement d’un formidable réseau de bibliothèques publiques. Je nous souhaite une autre période aussi chaotique ! Je vous invite à lire ou à relire le premier chapitre du livre de Denis Vaugeois, L’Amour du livre, disponible gratuitement en feuilletage.
3. Faites-vous référence au bulletin n°27 Optique culture de juillet 2013 ? Celui dont le premier fait saillant se lit comme suit : « Les ventes de livres ont reculé de 4,1% en 2012, après avoir connu une baisse de 4,9% en 2011 et de 2,5% en 2010. Ces baisses sont causées en grande partie par la chute des ventes de manuels scolaires à la suite de la fin de la réforme scolaire. » ? Merci de porter à notre attention que les statistiques sont une arme dangereuse à manier. En fait, on devrait plutôt se désoler ou s’inquiéter d’avoir de si pauvres outils statistiques sur le livre, mais ça c’est un autre débat.
4. Vous dites qu’une réglementation augmentera le prix des livres. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi Québec Amérique devrait augmenter ses prix si les rabais étaient limités ? Ce n’était tout de même pas vous qui les consentiez ces rabais, n’est-ce pas ? Ce n’est pas tout de le dire, encore faudrait-il l’étayer. Ceci-dit, nous sommes d’accord sur une chose : une réglementation ne devrait permettre aucun rabais. Le 10 % est une position de compromis obtenue après 4 ans de longues discussions.
5. Vous faites d’Amazon le chantre de la diversité culturelle. Il fallait oser. Je vous invite à aller là tout de suite sur leur site pour compter le nombre de livres québécois mis de l’avant. Édifiant n’est-ce pas ? Ce n’est tout de même pas à vous que je devrai expliquer que proposer une liste de 2.5 zillions de titres et en faire la promotion sont deux activités radicalement différentes. Voilà ce dont on parle quand évoque la bibliodiversité, ce soucis de laisser un espace à chaque genre pour qu’il puisse s’épanouir, en dehors des palmarès et des listes payantes. Permettre à quelques grandes compagnies étrangères de mettre la main sur le marché du livre et créer un oligopole (je suis encore jeune et j’apprends toujours de nouveaux mots) va tuer cette diversité. Voilà ce qu’on veut éviter.
6. On ne veut pas appliquer le modèle français, d’où vient cette idée ? Savez-vous qu’il existe une réglementation sur le prix du livre dans une grande partie des pays de l’OCDE dont l’Allemagne, le Mexique, l’Argentine, la Corée du Sud, le Japon… Nous ne sommes pas la France, ni les États-Unis, ni le Canada (sans débat politique, nous ne partageons simplement pas leur marché du livre), nous sommes le Québec.
7. Si vous voulez abroger la loi 51, allez en 2, sinon passez au point suivant.
8. Le marché scolaire échappe aux libraires. Vous savez quoi ? Ils n’en veulent pas. Du moins, pas dans l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui. Encore une fois, c’est un autre débat. Entendons-nous pour dire qu’on va exclure le livre scolaire de notre discussion.
9. Autoriser les éditeurs à vendre aux bibliothèques et collectivités… naaaaaan, tout ça pour ça en fait ? Votre opposition est-elle aussi bassement mercantile ?
10. Vous trouvez qu’il ne faudrait pas autoriser de remise au public ? Ben coudonc, on jase on jase mais en fait vous êtes pour la réglementation du prix du livre ? Je suis tout mêlé maintenant. Mais je suis prêt à prendre ce beau risque !
11. Comment empêcher Amazon d’outrepasser la loi ? En la faisant respecter pardi ! Et c’est justement ce que font les autres pays. Dingue non ? Et rassurez-vous, le Québec a toute juridiction pour poser ce geste. Comme pour l’essence, le lait ou la bière (oui oui, le prix de la bière est réglementé).
12. Quel est le problème avec le numérique ? On a imposé le modèle d’agence à Amazon, à Kobo, à Apple, donc le respect du prix de détail fourni par l’éditeur. Un règlement ne viendrait même pas bouger une virgule de nos contrats de diffusion.
13. On tire à notre fin. Le problème ne réside pas que dans la concurrence des grandes surfaces, et il va falloir retrousser nos manches et nos cerveaux (plus ou moins) pour susciter de nouvelles initiatives commerciales. Une réglementation du prix du livre sera un outil de plus dans notre coffre pour y arriver. Car lorsque le prix ne sera plus un pouvoir d’attraction, il faudra bien trouver autre chose, comme l’amélioration du service à la clientèle ou l’élargissement de l’offre éditoriale au public. Est-ce que ça ce n’est pas plus excitant ?
Allez, sans rancune, merci de participer au débat. Et merci d’avoir offert Québec Amérique aux Québécois !
PS. Oui mais vous Gilles Herman, vous en pensez quoi d’abord de la réglementation ? Et bien j’en pense plus ou moins ce qu’on retrouve sur le site Nos livres à juste prix. En même temps, comme j’ai assisté à plusieurs des rencontres sur le sujet, c’est un peu normal. Ceci-dit, étant possiblement invité en commission, je devrais livrer d’ici quelques jours les bases de ma présentation.
PPS. Les commentaires sont fermés parce que mon blogue est en déplacement et que son moteur actuel est tout simplement désastreux. Désolé.