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De la situation du livre au Québec et au Canada

La semaine passée se tenait, à Montréal, le forum national sur les arts littéraires organisé par le Conseil des Arts du Canada (CAC). Une grand-messe à laquelle assistaient probablement pas loin de deux cent cinquante personnes issues de milieux divers associés au livre : auteurs, traducteurs, conteurs, éditeurs, organisateur d’événements (festivals, salons du livre, etc.), diffuseurs, bibliothécaires…

L’intention était noble alors que le conseil des arts est en recherche de solution pour un secteur en crise ou, du moins, en « mode panique ».

Ce bel aréopage a tenté de s’exprimer et de réfléchir sur quatre enjeux : la création, la production, la diffusion et la pérennité dans le secteur littéraire. Si les agents du CAC sont maintenant en plein travail d’analyse des idées proposées, je me permets de livrer quelques commentaires désordonnés (mais toutefois numérotés !).

  1. L’absence (ou la quasi-absence) des libraires à ce forum. Le CAC ayant invité les organismes qu’il soutient, les libraires n’étaient tout simplement pas conviés. À noter que les Librairies indépendantes du Québec étaient représentées par leur directeur général, mais pour la revue Les Libraires. Un représentant de Coopsco était aussi présent. Pourtant, les participants ont unanimement  plébiscité les librairies indépendantes comme premier lieu de diffusion des arts littéraires. Peut-être une première conclusion à tirer : ne serait-il pas temps de proposer une aide directe du CAC aux librairies ?
  2. La scandaleuse (n’ayons pas peur des mots) absence de l’honorable Shelly Glover. Mais si, la ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles ! Une des recommandations demande au CAC d’intervenir auprès du politique pour défendre la cause des lettres. Mais si la ministre ne prend même pas la peine de venir participer à ce qui est, de loin, la plus grosse rencontre interprofessionnelle bilingue organisée ces dernières années, ça augure bien mal. Il faut exiger une présence politique lors des prochaines rencontres !
  3. Une présentation éclairante de Patricia Pleszczynska, directrice générale d’ICI Première [sic]. Éclairante parce qu’elle a confirmé ce que l’on sentait : priorité au plaisir, au divertissement, aux auteurs capables de se mettre en scène, à la démocratisation de la culture. Et par démocratisation on entend se baisser au plus bas dénominateur commun et non pas élever le niveau général. Faire une plus grande place à toute sorte de prescripteurs, pour autant qu’ils soient populaires. Et tant pis si le contenu ne suit pas. Une présentation qui a fortement ébranlé l’assistance. Évidemment, personne n’est ignorant des coupures et pressions politiques subies par la société d’État ces dernières années. Il est primordial que les diffuseurs publics revendiquent l’exigence qui a déjà été leur principale caractéristique.
  4. L’appel à l’aide du Canada anglais. Le milieu littéraire anglophone est à l’agonie. À plusieurs reprises, des intervenants du ROC ont manifesté leur admiration pour la Loi du livre, la vigueur de la culture québécoise, la persistance (résilience ?) du réseau de librairies, la réglementation du prix du livre (on aime leur enthousiasme pour ce qui n’est même pas encore un projet de loi) et l’affluence des salons du livre. Je ne sais pas si la vapeur peut être renversée tant leur marché est moribond, mais il peut certainement servir d’exemple sur ce qu’il risque d’arriver au Québec si aucune mesure n’est prise pour empêcher le développement d’un oligopole. La réglementation du prix du livre, ça presse !
  5. L’éclatement de la bulle numérique. Après en avoir parlé ad nauseam pendant plusieurs années, le numérique n’est plus vu ni comme une menace ni comme un eldorado. Comme si, finalement, l’œuvre prenait le pas sur la forme pour en revenir au fondement de la littérature. En témoigne aussi la large place faite à l’expression orale de la littérature. S’est enfin exprimé le désir de ne pas confondre nouveauté et innovation. Le numérique au service de la littérature et non l’inverse.
  6. L’ouverture des éditeurs canadiens à l’auto-édition et l’auto-promotion pourrait être perçues comme une redéfinition de leur rôle, glissant du bâtisseur et producteur à celui de diffuseur. C’est peut-être aussi leur unique voie de secours face aux ambitieuses plateformes proposées en ligne par les géants du numérique.
  7. Le peu de liens tangibles et durables entre Canadiens et Québécois. Deux jours assis ensemble dans la même salle pour présenter, séparément, les points de vue francophone et anglophone. Le CAC aurait dû jouer la carte de la rencontre et de la mixité culturelle. Pourquoi n’y avait-il que deux tables bilingues ? Et d’ailleurs, personne n’est dupe. On ne demande pas (ou plus) aux Canadiens de parler français, mais plusieurs Québécois auraient malgré tout aimé échanger en anglais avec leurs homologues canadiens.

Que doit-on finalement retenir de tout cela ? Qu’il existe, d’un océan à l’autre, une communauté dévouée corps et âme aux arts littéraires, sous toutes ses formes. Une communauté malheureusement isolée, désorganisée, sous-financée, qui cherche de nouveaux moyens d’expression. Une communauté de plus en plus abandonnée par les grands diffuseurs publics ou privés.

On se souviendra peut-être de ce forum comme l’étincelle qui a allumé une mèche, une longue mèche, probablement humide, qui mènera peut-être à une explosion d’idées. Pour autant que chacun ne retourne pas chez soi bercé par une réconfortante lassitude.

P.-S. Pour relire le fil de ces deux journées sur Twitter, cherchez le mot-clic #LitForum

NFLA