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Lettre à M. Champagne – Promenade en Enfer – 03

Québec, le 19 juillet 2023

À :
L’honorable François-Philippe Champagne
Député de Saint-Maurice—Champlain, Québec
Ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie
1-632, avenue de Grand-Mère
Shawinigan, Québec
G9T 2H5

CC :
L’honorable Pablo Rodriguez
Député d’Honoré-Mercier
Ministre du Patrimoine canadien
8595, boulevard Maurice-Duplessis
Bureau 208
Montréal, Québec
H1E 4H7

Mon cher ministre,

Dans son magnifique ouvrage Promenade en Enfer paru en 2019, Pierrette Lafond s’est intéressée à la composition de l’enfer de la bibliothèque du séminaire de Québec, ce lieu où l’on cachait les livres mis à l’index. Quels étaient ces livres proscrits ? Et, puisqu’ils étaient tout de même conservés, qui les consultait ? Évidemment, on ne sera pas surpris d’apprendre que les premiers intéressés étaient ceux-là mêmes qui en interdisaient la lecture. Après tout, « un homme averti en vaut deux » !

« L’enfer est pavé de bonnes intentions» dit le dicton. L’intention derrière un élargissement de la notion d’utilisation équitable dans le secteur de l’éducation part en effet d’une fausse bonne idée. Qui voudrait s’opposer à un accès élargi aux savoirs par les professeurs et les étudiants ? Qui voudraient s’opposer à la grande mission d’éducation ? Les défenseurs de l’utilisation équitable jouent, à l’image des censeurs d’autrefois, eux aussi un double jeu.

En se drapant dans leur vertu de diffusion des connaissances (celles des autres tant que possible), ils appauvrissent, en toute connaissance de cause, celles et ceux qui les produisent. Leurs politiques de reproduction des œuvres montrent à quel point il faut jouer au chat et à la souris pour éviter à tout prix de devoir payer l’accès au contenu. On rappellera au passage que ces mêmes personnes jouissent d’une stabilité financière, tandis qu’ils se permettent de sabrer dans les revenus des créatrices et des créateurs.

C’est en fait le plus choquant : alors que le professeur chargé d’enseigner est payé, alors que le concierge entretenant les lieux est payé, alors que les repas vendus à la cafeteria sont payés, le matériel utilisé pour soutenir l’enseignement devrait, lui, être gratuit… cherchez l’erreur !

En tirant l’élastique, on ira jusqu’à penser que la modernisation de la Loi sur le droit d’auteur de 2012 tient de la censure législative. Petit à petit, les éditeurs cesseront leurs activités, les écrivaines et écrivains cesseront d’écrire faute de moyens et la circulation des idées s’éteindra dans l’indifférence générale. Il serait en fait absurde qu’un ouvrage comme Promenade en Enfer ne puisse plus être publié. Le Québec a déjà connu une grande noirceur, nul besoin d’éteindre à nouveau la lumière. La solution est pourtant au bout de votre crayon : il faut réviser la loi de 2012 en encadrant l’utilisation équitable dans le secteur de l’éducation.

Ce serait un bon début.

Sincères salutations,

Gilles Herman
Éditeur

p. j . Pierrette Lafond, Promenade en enfer. Les livres à l’Index de la bibliothèque historique du Séminaire de Québec, Septentrion, 2019.

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