Parler devant une salle vide

Pas très réjouissant, mais agréable tout de même! Mais il fallait s’y attendre, car il est difficile de concurrencer un « Académicien ». Je m’explique. Moi-même, Nicolas Landry, et Mario Mimeault avaient été invités à prendre la parole le vendredi 11 avril à 16h30, au Musée des Ursulines, dans le cadre d’une table ronde organisée par la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (Cefan) de l’Université Laval.

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Landry, Martin Pâquet (animateur), Mimeault, Louder

En même temps (17h), à quelques rues de là, dans le cadre du Salon international du livre, le Centre de la Francophonie des Amériques, faisait le lancement de sa nouvelle bibliothèque numérisée (https://www.bibliothequedesameriques.com/) dont le parrain est nul autre que le nouveau membre de l’Académie française, Dany Laferrière. Deux événements, un public! La masse des participants potentiels s’est sûrement ruée vers le Centre des Congrès, car il n’y avait que des « restants » au Musée, cinq personnes, y compris l’épouse de M. Mimeault et l’adjointe du titulaire de la Cefan.

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La nouvelle bibliothèque virtuelle offre une pléthore de livres jusqu’ici inaccessibles à ceux et celles qui voudraient peut-être les lire. Le parrain du projet s’exprime en ces termes :

Pourquoi j’accepte d’être le parrain d’une bibliothèque numérique? C’est que ce projet ouvre, pour beaucoup de gens dans ce monde gorgé d’inégalités, de fantastiques possibilités. Brusquement une grande partie de cette Amérique aura accès à un savoir jusque là hors de leur portée. Certains voudraient s’instruire, d’autres se divertir, le spectre étant si vaste. C’est une source inépuisable. On peut à peine imaginer les conséquences de cette démocratisation du savoir. Je me souviens d’un temps où je me sentais loin du monde, ne pouvant pas avoir accès aux livres dont j’entendais parler. Ce temps n’est pas terminé pour certains mais il sera grandement réduit grâce à cette Bibliothèque numérique de langue française…

La portée de notre table ronde consacrée au thème « Écrire l’Amérique française » sera évidemment beaucoup plus humble. Peut-être une petite publication de la part de la Cefan, qui sait? Il était toutefois très enrichissant d’écouter les propos de Nicolas Landry, professeur d’histoire à l’Université de Moncton/Shippagan, nous entretenir sur sa pratique d’écriture, lui qui a tant publié sur l’histoire de sa région (Histoire de l’Acadie, La Cadie : frontière du Canada, Éléments d’histoire des pêches et Plaisance : Terre-Neuve, 1650-1713).

Contrairement à M. Landry qui connaît une carrière universitaire, Mario Mimeault a exercé la profession d’enseignant au Secondaire à Gaspé, ce qui ne l’a pas empêché d’obtenir une maîtrise et un doctorat et de devenir l’un des grands spécialistes de l’histoire maritime au Canada (Destins des pêcheurs) et ardent promoteur de sa Gaspésie bien aimée. S’intéressant également à l’histoire épistolaire, Mario a publié récemment L’Exode québécois, 1852-1925 : correspondance d’une famille dispersée en Amérique, livre particulièrement cher à mon cœur de nomade. M. Mimeault nous a fait rigoler par son style pince-sans-rire et réfléchir par l’originalité de sa pensée et la justesse de sa critique des conventions de la pratique savante.

Quant à moi, rien de nouveau. Par mon titre, « Écrire la Franco-Amérique, c’est la parcourir », je m’écrivais en faux contre la notion périmée d’« Amérique française » lui préférant celle de « Franco-Amérique » qui décrit mieux la réalité contemporaine au cœur de mes préoccupations. Mettant l’emphase sur ma dernière publication Voyages et rencontres en Franco-Amérique, j’ai néanmoins mentionné les autres ouvrages, fruits d’un effort collaboratif avec des collègues du Québec et d’ailleurs.

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Des six titres cités, cinq visaient principalement un lectorat universitaire tandis que le dernier, basé sur mes voyages des 10 dernières années en solitaire, est destiné davantage au grand public. Celui-ci est divisé en huit chapitres. Les sept premiers racontent des rencontres réalisées lors de sept péripéties entreprises entre 2003 et 2010 et le huitième celles, sporadiques, d’une demi-douzaine de déplacements par la voie des airs, chacun donnant lieu à des rencontres inoubliables.

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Afin de permettre aux membres de ce « vaste auditoire » réuni au Musée des Ursulines de ressentir l’esprit des lieux visités et de tâter le pouls des gens rencontrés, j’ai fait lecture de huit courts extraits, un par chapitre, de mon bouquin :

Montréal, le 3 octobre 2003

Hier, en empruntant à Québec le pont Pierre-Laporte, au début de mon voyage, je ne pouvais m’empêcher de penser à Jack Waterman. Vous souvenez-vous de lui? Il s’agit bien sûr du héros de Volkswagen Blues, ce roman de la route écrit par Jacques Poulin en 1989, sans doute sous l’inspiration de l’œuvre du grand écrivain franco-américain Jack Kerouac.

La Vieille Mine, Missouri, le 7 mars 2003

Faisant référence à un séjour antérieur en 1978 : Dans sa petite maison en bois rond, Charlot Pashia [Pagé] a sorti son violon et m’a joué des airs de chez lui qui étaient aussi, sans qu’il le sache, ceux du Québec, de l’Acadie et de la Louisiane. Son épouse, Anna, m’a offert de l’eau fraiche puisée à la pompe, car il n’y avait pas encore d’eau courante dans la maison.

Drummond, Nouveau-Brunswick, le 15 juin 2005

Si je fréquente depuis sept ans le village de Drummond, au Nouveau-Brunswick, (population 900), c’est grâce à Laura Beaulieu qui me l’a fait connaître et qui m’a appris à aimer cette région aux paysages panoramiques, pittoresques et « patatisés ».

« Éden » : Lebret, vallée de la Qu’appelle, Saskatchewan, le 1er septembre 2008

La pancarte à l’entrée du hameau annonce bien les lieux : Welcome to Paradise. La monotonie des plaines verdoyantes est enfin rompue par les paysage de la vallée de la Qu’appelle, entrecoupée de quatre lacs et d’une rivière, et, au cœur de cette vallée, le village de Lebret (population 206).

Wickenburg, Arizona, le 3 février 2009

Au terrain de camping Horspitality (oui, HORSpitality, et non HOSpitality), à Wickenburg, en Arizona, assis devant la buanderie à attendre mon lavage, j’entends crier : « Hé le Québécoué, t’es ben loin de chez toé ». Je lève la tête. Un homme d’à peu près mon âge arrive en courant :

—Chu du Nouveau-Brunswick, moé, Ronald est mon nom, Ronald Burrell.

 —Éyou, au Nouveau-Brunswick? Lui demande-je.

—De Grand-Sault, répond-il.

J’ai mon voyage! Je connais beaucoup de monde à Grand-Sault, de grandes familles : des Beaulieu, Morin, Ouellet(te), Michaud Gervais, Laforge, Laforest, Thériault…mais pas de Burrell.

Oxford, Mississippi, le 18 mars 2010

En arrivant à Oxford, l’une des premières personnes que j’ai rencontrées à la bibliothèque généalogique est « Will » St-Amand. Évidemment, avec un nom pareil, celui qui passe tous ses après-midi à agir comme personne-ressource auprès des gens en quête de leurs aïeux ne pouvaient qu’être francophone. Il a suffi de lui adresser la parole en français pour que son histoire se dévoile.

Walla Walla, Washington, le 8 octobre 2010

Dans un moment fort de la soirée, Frank Bergevin a pris la parole en français pour exprimer ses sentiments à l’occasion d’une visite au Québec en 1970. En faisant allusion à la devise inscrite sur les plaques d’immatriculation québécoises, il rendait hommage à la mère patrie, un pays qui a de la  mémoire, un pays qui se souvient, un pays qui a su survivre contre vents et marées.

Utah, le 13 octobre 2011

Josette Lemire, témoin vivant de la diaspora québécoise, s’est mariée il y a 44 ans avec Brent Nay, un de mes amis d’enfance…. C’est le grand-père de Josette, Élie Lemire, charpentier, né en 1861, qui aurait décidé de tenter sa chance aux États-Unis, probablement autour de 1880, car il s’est marié en 1884 avec Marie Josephine Philamine LaBore (Labord?) à White Bear Lake, au Minnesota, à proximité du village de Little Canada. Les deux endroits sont aujourd’hui situés en banlieue de Saint-Paul, capitale de l’État et autrefois centre névralgique de l’activité commerciale pour les Métis et Canadiens de l’Ouest… Bien qu’elle en rêve, Josette n’a jamais mis les pieds au Québec. « Un jour » dit-elle « un jour »!

Décevant, oui un peu, mais que voulez-vous? Dean Louder n’est pas Dany Laferrière! Je serais allé au lancement, moi itou