Les gens à l’écart : les Francos de Delisle au Mississippi

Il y a un quart de siècle, Gary Mills a écrit l’histoire d’un peuple oublié, The Forgotten People : Creoles of Cane River. Tout récemment, Cane River, un roman écrit à leur sujet par Lalita Tademy, une Créole de cette communauté située près de Cloutierville, dans le coin nord-ouest de la Louisiane, figurait parmi les best-sellers. La célèbre Oprah Winfrey en parlait abondement à son émission.
S’il est vrai que ces Créoles ont bel et bien été oubliés, que dire de la population francophone et créolophone de Delisle, au Mississippi? Les gens à l’écart? Les gens tassés? Heureusement que cette communauté n’a pas échappé à l’œil vigilant de Rebecca Larche Moreton, fille du Mississippi, linguiste et francophile. Elle a entrepris en 1992 à l’université Tulane, un programme de doctorat en linguistique. Le sujet de la thèse qu’elle a soutenue avec brio huit ans plus tard : « Mississippi Gulf Coast French : Phonology and Morphology ». C’est grâce à « Becky » que j’ai eu l’occasion de découvrir cette communauté à héritage français, multiraciale et catholique. Une chance, car moins de deux ans plus tard, elle serait détruite par l’ouragan Katrina.
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Delisle est située aux abords de la baie de Saint-Louis, à 100 km à l’est de la Nouvelle-Orléans. La baie fut bien connue du pirate Jean Lafitte. Ici, deux petits cours d’eau, la rivière Jourdain et la rivière des loups (dite Wolf aujourd’hui) se versent dans la baie. Il s’agit d’une région souvent ravagée par les forces de la nature tel qu’en témoigne la pierre tombale de la famille Williams qui se trouve dans l’un des cimetières de Delisle. Lors du passage de l’ouragan Camille le 17 août 1969, Paul Williams a perdu son épouse et ses douze enfants
L’histoire des familles de Delisle révèle deux origines. Celles qui se disent French sont d’ascendance française et canadienne dont la présence remonte au début du dix-huitième siècle. Certains se réclament des frères Le Moyne (d’Iberville et de Bienville) et de leurs équipages. À ceux-là se sont ajoutés plus tard des immigrants italiens et espagnols et, au dix-neuvième siècle, des anglophones de l’Est des Etats-Unis. En plus de descendre, eux aussi, des Français et des Canadiens, les familles se disant Créole, ont également du sang des réfugiés de Saint-Domingue, venus au tournant du 19e siècle, et des peuples autochtones qui habitaient la côte du Mississippi depuis la préhistoire.. En se fiant au noms de famille, il est impossible de connaître les origines des gens et leur appartenance raciale. Le patronyme le plus répandu à Delisle est Dedeaux et il est partagé par les deux groupes. D’autres noms courants : Swanier, Saucier, Bradley, Ladner, Nicase ou Necase, Jurette et Pavolini.
La venue de deux étrangers ne passe pas inaperçue à Delisle. Les gens ne m’avaient jamais vu et Becky n’y était pas retournée depuis sept ans. Donc aussitôt arrivés, aussitôt sujets à l’enquête de la part du bon citoyen Pavolini et sa dame. Très rapidement, enquête s’est transformée en conversation animée et amicale. La plupart des parlants français ou créole avec lesquels Becky avait pu réaliser des entrevues il y a douze ans ne sont plus de ce monde. Il reste Haywood Ladner, 84 ans, qui habite une petite maison coquette entourée d’azalées, Amélia Dedeaux, 86 ans, photographié ici avec son petit-fils, Florence Dedeaux, 93 ans et Helen Dedeaux, 93 ans.
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Le père John Ford, originaire de la Virginie, est pasteur des trois petites églises qui font partie de la même paroisse : The Catholic Church in Delisle. Il chérit un projet de construction d’une nouvelle église qui lui permettrait d’agir avec plus d’efficacité et d’éliminer la ségrégation raciale qui caractérise les trois assemblées. Le terrain est déjà acheté, mais les paroissiens ne sont pas tous gagnés à la cause.
Le contraste entre les assemblées est frappant. À St. William, les paroissiens, tous des blancs, viennent surtout d’ailleurs. À St. Ann-Dubuisson, ils sont presque exclusivement blancs, mais enracinés dans le terroir. Autrement dit, ce sont surtout eux qui se disent descendants des Français, Canadiens, Italiens et Espagnol. À St. Stephen, les Créoles dominent. En ce jour des Rameaux, la petite église débordait. L’esprit était à la fête et Becky et moi en avons profité pour nous faire inviter à partager un délicieux gombo chez Adrian et Corinne Swanier.
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3 thoughts on “Les gens à l’écart : les Francos de Delisle au Mississippi

  1. I remember the Swaniers before Camille hit the Pass back in 69. I lived on North street, I attended Randolph at that time. I moved North after Camille. The article was excellent. Ma parrain est Swanier!


  2. My Aunt Florence Dedeaux and the picture is of my cousin Ms Amelia and her great grand son. My Aunt would love to tell of how Delisle used to be when she was a child and later as a young woman, often speaking of our « white » relatives. The town of Delisle is truly a place filled with what I call « gumbo » people (gumbo meaning mixture). Adrian Swanier, was my first cousin and Florence Dedeaux’s nephew. I have only fond memories of them all.


  3. We lived just north of Delisle. Mr. Swanier was our Principal at Pass Christian High. Delisle was and still is made up of a lot of families. My mom was a Necaise and my Grandmother, a Moran. We now live 6 miles north of Delisle. Other then the new school; thanks to Hurricane Katrina and new businesses there, the area is still the same.


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