À l’endroit de Grand Sault, N-B, j’ai de la tendresse et de l’amertume

C’est un retour à Grand Sault, cette petite ville de 5 800 habitants, à cheval sur le fleuve Saint-Jean, dont les eaux se précipitent dans les chutes de la gorge profonde. En octobre 1999, lors d’une excursion que Laura m’avait aidé à organiser, ses citoyens et ceux des paroisses avoisinantes de Drummond et de Saint-André nous avaient si chaleureusement et généreusement accueillis. Mes étudiants et moi avons eu l’occasion de rencontrer sa
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mère nonagénaire, Yvonne Beaulieu, et de discuter avec elle de la vie d’autrefois dans la région, de ses douze enfants et de sa carrière d’enseignante qui s’est étalée sur cinq décennies. Chez Noël, nous avons mangé des ployes, du ragoût et des fèves au lard, communément appelés des « bines ». Dans l’auditorium de l’École Thomas-Albert, nous avons assisté à un spectacle mettant en vedette des chanteurs, danseurs, musiciens, écrivains et poètes de la place. À l’École John-Caldwell, mes étudiants ont pu discuter avec quelques élèves de leurs choix linguistiques et de leurs projets d’avenir. À l’hôtel de ville, le maire suppléant nous annonçait fièrement que la leur était la seule ville au Canada à porter officiellement deux noms : Grand Sault/Grand Falls. Aujourd’hui, sur le site Internet de la ville, les édiles municipaux soulignent « les relations harmonieuses qui existent entre les cultures » et insistent sur le fait que la grande majorité des citoyens soient « parfaitement bilingues ». Peut-être, mais à la suite de notre excursion et en fonction d’autres visites faites depuis, y compris celle d’aujourd’hui, je dois conclure, en me basant sur le paysage linguistique—autrement dit, sur l’affichage—que l’harmonie et le « parfait bilinguisme » se réalisent sur le dos des 4 800 habitants pour qui le français est la langue maternelle (81%).
Certes, les exemples de bilinguisme intégral existent à Grand Sault, mais ils sont peu nombreux. Le plus souvent, il
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s’agit d’un panneau ou d’une vitrine affichant le français d’un côté et l’anglais de l’autre. Règle générale cependant, l’affichage est extrêmement inégal et favorise la minorité anglophone qui constitue à peine 20% de la population. Deux types d’affichage semblent se dégager de ce ramassis de pollution visuelle : affichage unilingue anglais et affichage « bilingue » à forte dominance anglaise.
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En 1968, le Nouveau-Brunswick est devenu la première province canadienne ayant l’anglais et le français comme langues officielles. Elle est encore la seule, mais la loi sur les langues officielles ne s’applique pas à l’affichage commercial. Le marchand est libre d’afficher dans la langue de son choix. Sachant que les francophones comprennent aussi l’anglais, bon nombre de commerçants ne se donnent pas la peine d’afficher dans la langue de la majorité qui est aussi, le plus souvent, la leur. Cela m’offense, choque mon œil, irrite mes sensibilités! Je me sens agressé devant un tel affichage, pas parce que je préconise un affichage à la québécoise, mais parce que je respecte les francophones de Grand Sault et sa région et j’aime leur langue. Je préférerais n’y voir que de l’anglais que de voir le français visible réduit, affaibli et ridiculisé, ce qui est le cas actuellement à Grand Sault. Rabaisser cette langue qui est, après tout, la clé de voûte de l’identité régionale est, à mes yeux, très grave.
Autre chose qui surprend à Grand Sault, c’est que les gens n’ont pas de nom à se donner. Ils ne se disent pas Acadiens, ni Brayons, ni Madawaskaïens. Pour eux, les Acadiens sont leurs concitoyens de l’est de la province, du sud au nord. Les Brayons et Madawakaïens viennent du comté avoisinant. Cependant, il arrive de traiter d’ « Acadiens » ceux qui militent ou ont milité, en faveur du français dans la région…au point de semer la zizanie au sein de la communauté. Ces « Acadiens » auraient traité d’« assimilés sans le savoir » les francophones qui n’épousaient pas leur point de vue. Une vingtaine d’années plus tard, les cicatrices de ce conflit scolaire, linguistique et communautaire demeurent. Ce malaise pourrait-il expliquer l’insouciance à l’égard de ce pot-pourri d’affiches laides? Est-il possible que personne ne veuille en parler de peur de rouvrir des plaies ou de revivifier les braises d’une lutte fratricide?
Lors de sa campagne, le nouveau maire, Paul Duffie, tout comme son adversaire, semblait respecter un bilinguisme intégral et harmonieux. L’hôtel de ville peut bien montrer l’exemple, mais comment faire pour que suivent les forces économiques en présence, elles, qui sont si déterminantes?


Ile-Sainte-Croix : Atterrissage des Français en Amérique, 1604

À peine dix kilomètres au nord-ouest de St. Andrews-by-the-Sea, au milieu de la baie de Passamaquoddy, se situe l’Ile-Sainte-Croix, si petite en superficie, si grande en portée historique! En 1604, Pierre de Guas, Sieur de Monts, gentilhomme et courtisan français, y établit un avant poste. Cet établissement est la première tentative de
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colonisation permanente réalisée par les Français sur le territoire qu’ils appellent La Cadie ou L’Acadie. Les expériences des Français dans l’Ile-Sainte-Croix leur font acquérir les connaissances nécessaires pour s’adapter au milieu et créer des liens avec les peuples autochtones. Ces connaissances jettent les bases de l’établissement d’une présence française dans le nord-est de l’Amérique du Nord et, éventuellement, plus loin.
Afin de célébrer avec éclat les 400 ans de présence française en Amérique et de géographie canadienne, Parcs Canada construit en ce moment un belvédère interprétatif donnant directement sur l’île. Les nombreux panneaux installés interprètent les lieux.
Sieur de Monts baptise l’île et Samuel de Champlain en donne la description : « L’île est couverte de peupliers, de bouleaux, d’érables et de chênes. Elle est naturellement bien située et facile à fortifier…C’est le meilleur endroit que nous avons vu pour nous installer en raison de sa situation, de la beauté du paysage et des liens que nous souhaitons nouer avec des peuples autochtones qui habitent le long de ses côtes et à l’intérieur de ses terres et parmi lesquels nous serons appelés à vivre. À marée basse, les crustacés et les coquillages abondent… »
Mais l’île n’est pas si accueillante que cela. Afin d’échapper au froid et au terrible hiver qu’ils avaient connus, le sieur de Monts décida de déménager et de fonder un nouvel établissement. À l’aide de deux pinasses, ils ont transporté le bois cumulé à l’Ile-Sainte-Croix à Port-Royal où ils croyaient le climat plus tempéré et agréable. Ce premier hiver à l’Ile-Ste-Croix en fut un de désespoir. Soixante-dix hommes ont connu la misère hivernale, parmi
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lesquels des nobles, des artisans, des ouvriers, des ministres du culte catholique et protestant, des chirurgiens et des soldats. Ils avaient apporté ce qu’ils jugeaient indispensable pour former une véritable colonie : armes, céréales, ustensiles, outils, produits à troquer.
C’est Champlain aussi qui dresse une carte précise de l’Acadie. En effet, de mai 1604 à août 1605, Champlain, voyageant en barque, en pinasse, en canot ou à pied, fait le relevé de l’actuelle côte sud de la Nouvelle-Écosse, de la baie de Fundy et de toute la région sud jusqu’au Cap Cod. D’août 1605 jusqu’à son retour en France en août 1607, il continue à explorer l’Acadie depuis l’Habitation de Port Royal. L’année suivante, en 1608, il fond Québec et jette les bases de l’Empire français en Amérique. En tout, ce grand géographe traversa l’Atlantique 25 fois, amorçant ainsi quatre siècles de vie française en Amérique.


Le jour du Seigneur à St. Andrews, N-B

Ce qui fait le charme de cette petite ville de 1 700 habitants (2 500 en été), au Nouveau-Brunswick, est son site géographique entouré de la mer. Il fit de St. Andrews-by-the-Sea, en 1900, la première ville de villégiature au Canada. Pour répondre à cette nouvelle fonction quoi de mieux qu’un grand hôtel, L’Algonquin, un point de repère néo-brunswickois qui rivalise en beauté, majesté et originalité avec les autres diadèmes du collier d’auberges de luxe appartenant autrefois au Canadian Pacific (Château Frontenac à Québec, Reine-Élisabeth à Montréal, Royal York à Toronto, Palisser à Calgary, Empress, à Victoria pour ne nommer que ceux-là).
En ce dimanche matin, ce qui saute aux yeux à St. Andrews c’est le nombre de fidèles qui se dirigent vers les six églises qui se tiennent toutes à cinq minutes de marche les unes des autres. Les gens sont pour la plupart descendants des Loyalistes de l’Empire uni, de diverses religions, venus ici des États-Unis à la suite de la Guerre d’indépendance, Des clochers d’église émanent des sons métalliques—mais mélodieux—d’hymnes. Ces appels à la messe ou à la réunion de culte ne se font pas simultanément, mais successivement, comme s’ils étaient orchestrés par un maestro. Un véritable concert dominical à ciel ouvert!
La plus vieille des églises est celle des Presbytériens, Greenock Church, érigée en 1824. Les proportions harmonieuses et les détails classiques mettent en évidence un plan simple et symétrique. Le chêne vert sculpté sur la flèche de l’église symbolise Greenock, village d’Écosse, où habitait le bienfaiteur de l’église.
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Les églises unie et baptiste datent des années 1865. La première impressionne par sa sobriété et sa simplicité. La deuxième étonne par la flamboyance de ses couleurs et par son style gothique tout en bois.
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Les églises anglicane et catholique datent des années 1880. De l’intérieur, la toiture de la première est faite comme la cale invertie d’un navire. Cela sert à rappeler aux fidèles recueillis dans l’enceinte de l’église que les fonds pour la construire sont venus surtout des activités maritimes. Sur le devant de la deuxième, une statue bien sûr de Saint-André et une plaque remémorant Laura d’Hervilly Thebaud. Même Google n’offre pas d’indice quant à l’identité de cette personne d’héritage français!
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Pour compléter le portrait des églises de St. Andrews et pour montrer que l’architecture ecclésiastique de nos jours est davantage axée sur la fonctionnalité que sur l’esthétique, il faut faire place à l’église pentecôtiste.
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Lewiston, ME : centre franco-américain en REdevenir

Y a-t-il meilleur endroit aux États-Unis que Lewiston pour fêter le prolétariat en ce 1er mai? Dominée pendant un siècle par les usines du textile des compagnies telles que Bates, Continental et Oxford, aujourd’hui silencieuses mais néanmoins omniprésentes, la ville renaît sous le pic des démolisseurs, la vision des urbanistes et l’arrivée de nouveaux immigrants. Les anciennes « facteries » en briques rouges, de taille gargantuesque, rappellent le déplacement entre 1860 et 1930 du tiers de la population du Québec vers la Nouvelle-Angleterre, ce Québec d’en bas dont il était question en 1900. Lewiston fut la destination privilégiée des milliers de Canadiens de la rive sud de Québec, de la Beauce, du Bas-du-Fleuve et d’ailleurs. Avant de monter à bord du Grand Tronc et de descendre
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vers le Maine, certains d’entre eux avaient tenté leur chance sur les fermes ou dans les petites industries des Cantons de l’Est. Ces nouveaux arrivants se regroupaient, avec leurs familles, dans les immeubles à quatre étages situés près de leurs lieux de travail et autour de leur église, leur école et d’autres institutions. La paroisse Sainte-Marie, aujourd’hui désaffectée et désacralisée, en est un formidable exemple. Il y en a d’autres comme celle de Saint Pierre & Saint-Paul. Ces quartiers portaient l’empreinte de leur population et le nom « Petit Canada ».
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La communauté franco-américaine de Lewiston se redéfinit à présent autour de trois institutions : (1) L’université du Maine-sud, campus Lewiston-Auburn possédant la Franco-American Heritage Collection, la plus imposante archive franco-américaine du Maine dont la responsabilité relève de Barry Rodrigue, érudit, et de Donat Boisvert; coordonnateur. (2) Le Franco-American Center at St. Mary’s, un projet récent de 4 500 000$ mené par Rita Dubé et Lionel Guay, maire de Lewiston, dont le but est de faire de l’Église Sainte-Marie un centre d’interprétation et d’exposition de première classe; (3) La Franco-American Genealogical Society, située dans une ancienne école de la ville-jumelle de Lewiston, Auburn. Elle est bâtie sur l’œuvre du père Léo Bégin (1902-1980) et fonctionne sous la gouverne spirituelle et intellectuelle du père Youville Labonté
De plus, la communauté franco-américaine de Lewiston-Auburn est appelée de nos jours à assurer une certaine intégration d’une nouvelle vague d’immigration francophone, celle des Somaliens, Togolais, Ivoiriens et d’autres francophones d’Afrique. Voilà une grande occasion pour réaliser une revitalisation linguistique et un développement international.


Mémorial aux pêcheurs : Gloucester, MA

Ici, en 1623, une compagnie de pêcheurs et de cultivateurs de Dorchester, en Angleterre, sous la direction du Révérend John White, a fondé la colonie de la baie du Massachusetts. Depuis ce moment, les pêcheries ont constitué une activité économique primordiale et ininterrompue à Gloucester. Mais la population de ce port de mer en a payé le gros prix, tel qu’un témoigne le mémorial aux pêcheurs, une statue d’un capitaine à la barre en pleine tempête. Elle est entourée d’une série de dix plaques métalliques montées sur des blocs de béton et contenant les noms des 5 366 hommes morts en mer. Le mémorial rend hommage également aux vaillantes veuves qui ont souvent lutté seules pour élever leurs enfants ainsi qu’à certains de ces enfants qui ont choisi, malgré tout, de suivre dans les traces de leur père.
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Des rues de Gloucester sont encore de nos jours remplies des arômes émanant des conserveries, comme celle de Gorton dont le produit est bien connu des amateurs du poisson congelé.
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