Les origines de Frenchville, en Pennsylvanie (2 000 âmes) sont plutôt obscures. Selon la version la plus plausible, un richissime de Philadelphie à qui appartenait une vaste superficie au centre de la Pennsylvanie fit face, aux années 1820, à des difficultés financières. Pour se libérer d’une dette importante encourue aux mains d’un
commerçant parisien, il lui aurait cédé, par l’entremise de John Keating, agent de celui-ci à Philadelphie et « gentleman catholique exemplaire », le territoire de l’actuelle Frenchville qui avait de 1753 à 1758 appartenu à l’Archevêché de Québec. En France, le marchand a convaincu des habitants de Normandie et de Picardie de traverser l’Atlantique et de s’établir aux pays des Quakers. Entre 1830 et 1836, aidés des Sulpiciens français de Baltimore et de Philadelphie, déjà établis aux États-Unis depuis 1792, les Bilotte, Roussey, Beauseigner, Moulson, Coudriet, Renaud, Plubelle, Rougeux, Valimont, Picard et Guenot, entre autres, arrivèrent. La terre rocailleuse et la forêt abondante de la région feront en sorte qu’ils gagneront leur maigre pain comme bûcherons et draveurs, flottant les billots depuis Frenchville jusqu’à Lock Haven.située sur le tributaire ouest du Susquehanna
Une visite au cimetière de Sainte-Marie-de-l’Assomption révèle un contraste frappant entre les premières tombales, peu nombreuses et gravées en français, et les autres plus récentes. En se fiant aux pierres tombales, on peut
constater que le français comme langue écrite n’a duré qu’une génération. Toutefois, selon une histoire paroissiale de 1940 qui m’a été fournie par l’actuel curé, père Sam Bungo, rencontré au presbytère, adjacent à l’église, “the language of France has been preserved and is still spoken in the majority of households ». (La langue de France a été préservée et est encore parlée dans la majorité des foyers. ». Selon une autre histoire paroissiale publiée en 1970, une école fut établie à Frenchville vers 1850. Dans cette école, l’État exigeait que seul l’anglais soit parlé, ce qui causait certaines difficultés parce que le français était parlé exclusivement au foyer jusqu’aux années 20.
L’une des figures de proue de l’histoire de Frenchville est le père Jean-Baptiste Berbigier, né en France en 1822. À l’âge de 24 ans, il devint pasteur de la communauté et l’est resté jusqu’en 1886, après quoi, il n’y a plus eu de prêtres francophones. À l’occasion, lors de courtes absences, le père Berbigier se faisait remplacer par son cousin, M.A De LaRoque (1856), par Charles Bérard (1877) et par Eugène Cogneville.
Au presbytère, l’adjointe du Père Sam, LuAnn, m’a référé aux deux derniers francophones de Frenchville, les frères Bilotte, Kenny et Nestor. À l’aide de la maîtresse des postes, Vickie, j’ai réussi à me rendre chez Kenny. Tout au long du chemin, la signalisation routière et les noms sur les boîtes aux lettres rappelaient la véracité du nom du village dont le curé Sam disait, à la blague, vouloir changer, vue le contexte politique actuel, en « Freedomville ». Kenny et moi avons passé une demi-heure à discuter et à découvrir que nous nous comprenions très bien. Son français était rouillé, mais très riche. La conversation aurait pu durer plus longtemps, mais il attendait son courtier d’assurance. Kenny a pu confirmer ce qui était écrit dans les petites histoires paroissiales, que jusqu’aux années 20, le français demeurait la langue publique à Frenchville. Il n’était certes pas écrit, mais il était néanmoins le principal véhicule de communication interpersonnelle. Aux années 40, il était réduit à la communication au sein et la famille. Ses parents n’ont jamais accepté que les quatre enfants leur adressent la parole en anglais. Aujourd’hui, Kenny, qui dit avoir septante ans et qui espère se rendre à nonante ans, ne le parle qu’avec son frère, Nestor…quand ils jouent aux cartes…si leur femme ne sont pas là. Il n’a jamais été ni au Québec ni en France.
En se quittant, Kenny, dernier francophone à Frenchville, a accepté de se faire prendre un « portrait » devant sa bannière bleue sur laquelle est inscrite « Guardian Angel, keep our home safe ». (Ange gardien, préservons notre foyer). Il m’a ensuite invité à revenir à l’occasion du traditionnel pique-nique de Frenchville qui a lieu bon an mal an la troisième fin de semaine du mois de juillet. C’est le moment des grandes retrouvailles et la circonstance privilégiée pour fêter l’héritage français.
One thought on “Le dernier francophone à Frenchville, PA”
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Can you translate into English? My family were original settlers in Frenchville as well. The Bergey family came from Cintrey, Haut Saone area. Trying to find older ancestor decents. Thank you.
Chris Bergey