Si je fréquente depuis sept ans le village de Drummond, au Nouveau-Brunswick, (population 900), c’est grâce à Laura Beaulieu qui me l’a fait connaître et qui m’a appris à aimer cette région aux paysages panoramiques, pittoresques et « patatisés ».
C’est ici que se sont implantés vers 1875 ses ancêtres en provenance, d’une part, de Rivière-Ouelle, au Québec (les Lavoie et Beaulieu), et, d’autre part, les Thériault et Cyr, victimes, en 1785, de la « deuxième Déportation des Acadiens » (voir texte suivant).
Lucien Beaulieu et Yvonne Lavoie, 1933
En effet, ce qui caractérise la population de ce village situé aux limites méridionales de cette région francophone à laquelle le géographe, Adrien Bérubé, a attribué le nom « Marévie » (comtés de MAdawaska, de REstigouche et de VIctoria), est l’heureux mélange des deux peuples « canayen » et acadien. Mais ce n’est pas là le plus intéressant.
Le plus emballant, c’est que pour établir leur petit château fort qui demeure de nos jours presque exclusivement francophone, ils ont dû tasser les Irlandais. La légende veut que ces nouveaux venus en provenance du Québec, contrairement aux Irlandais, savaient se servir avec aplomb de leurs scies et haches. Cela leur a donné un net avantage sur les Européens. Ils ont défriché et pris possession des meilleures terres, les McCleod, O’Regan, McClaughlin, McClusky, McCarthy prenant refuge de l’autre côté de la rivière Saint-Jean dans un secteur baptisé « Le Portage ».
L’ardeur, l’assiduité au travail et l’expansion territoriale de ces francophones ont créé un tel remous dans la capitale, Fredericton, que les gouvernants de la très loyaliste province du Nouveau-Brunwick ont convenu d’ériger une barrière contre cet étalement « frenchy ». Leur méthode était perspicace et efficace. Ils ont fait venir des Danois, formant ainsi au sud de la rivière aux Saumons la plus importante concentration de Danois au Canada. Grâce à ses églises, ses cimetières et ses odonymes, New Denmark porte encore leur marque. À chaque année,
jusque tout récemment, les Jensen, Rasmussen, Christiansen, Sorensen, Nielsen et les autres fêtaient le 19 juin l’arrivée des leurs en 1872. Leur implantation au sud de la rivière a, effectivement, mis terme à l’expansion territoriale des francophones. Pendant un siècle, les deux populations, catholique et protestante, se faisaient face, chacune de son bord.
À Drummond, au risque de perdre leur langue et, pis, leur âme, les jeunes filles catholiques recevaient la consigne en provenance de leurs parents et du curé en Chaire le dimanche matin de ne pas fréquenter ces beaux, grands blonds du village avoisinant. La plupart ont bien écouté, mais il y a eu des exceptions, comme Victorine Violette et Moguns Givskud qui ont lié leur destin le 9 novembre 1964. Deux enfants sont issus de ce mariage, leur fils, Mike, et leur fille Mia, aujourd’hui directrice de l’école élémentaire Sacré-Cœur de Grand-Sault. Qui aurait pensé autrefois qu’un jour une Givskud dirigerait la plus grande école primaire de langue française de la région!
Pour les gens qui voyagent aujourd’hui entre Québec et Montréal, Drummondville est un point de repère plutôt inintéressant. Ils s’y arrêtent peu, à moins de devoir subvenir à un besoin naturel. De même, les gens qui voyagent entre Edmundston et Fredericton ne fréquentent guère Drummond, pourtant peu à l’écart de la Trans-Canadienne. Drummond est un lieu de passage pour les gens qui empruntent le Renou, ce raccourci raboteux qui relie Edmundston à Moncton en passant par les forêts du centre du Nouveau-Brunswick.