Le « ghetto » français à Fredericton, NB

Dans le livre qu’il a réalisé avec Maurice Basque, Une présence qui s’affirme : la communauté acadienne et francophone de Fredericton, Greg Allain rappelle la crainte des autorités gouvernementales provinciales de vendre le terrain situé au coin des rues Priestman et Regent, à proximité du Centre communuataire Sainte-Anne,
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pour la construction d’une église dans la paroisse Sainte-Anne-des-Pays-Bas, nouvellement érigée. Pourquoi cette réticence devant un objectif si louable? La réponse est très simple : la peur de contribuer à la création d’un « ghetto français » à Fredricton.
L’achat a néanmoins été conclu et la nouvelle bâtisse, au style plutôt moderne et chargé de symbolisme, fut inaugurée en 2001, 242 ans après la destruction de la chapelle qui portait ce même nom sur ces mêmes lieux
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En fait, le village acadien de la Pointe Sainte-Anne se situait en 1755 (année du Grand Dérangement) aux abords de la Saint-Jean, là où est située aujourd’hui la capitale provinciale. En février 1759, selon Maurice Basque, le lieutenant anglais, Moses Hazen, agissant sous les ordres du colonel Robert Monkton à la tête d’une petite compagnie de mercenaires, arrive à la Pointe Sainte-Anne. Il ne réussit qu’à capturer trois familles acadiennes, les autres se sauvant dans les bois. Les prisonniers furent massacrés et le village réduit aux cendres.
Malgré la destruction totale de leur village, certains Acadiens réussirent à revenir s’établir dans la région, mais elle serait désormais transformée de manière radicale par de nouveaux arrivants dont la présence concrétiserait les prétentions britanniques. Fuyant la révolution américaine, 14 000 loyalistes, fidèles à la couronne britannique, débarquèrent au Nouveau-Brunswick, province nouvellement créée en 1784 en la détachant de la Nouvelle-Écosse. Ils prendraient possession des bonnes terres et rebaptiseraient les lieux Frederick’s Town afin de rendre hommage au second fil du roi George III de Grande-Bretagne.
Toujours selon Basque, la cohabitation entre loyalistes et Acadiens s’avérait très difficile. La majorité des Acadiens prirent la décision de s’établir ailleurs, surtout au Madawaska, permission que leur accorda le gouvernement du Nouveau-Brunswick en 1785. Pendant presque deux siècles, l’abandon de la région de Fredericton par les Acadiens fut plus ou moins complet. L’élection en 1960 d’un premier Ministre acadien, Louis Robichaud, et les réformes qu’il a présidées sur une période de dix ans marquèrent un retour des francophones vers la capitale provinciale.
Profitant d’une conjoncture particulière découlant de la transformation de l’ordre symbolique du Canada par les gouvernements de Pearson et Trudeau, processus qui fut couronné par la mise en application en 1969 de la loi sur les langues officielles, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, suivit l’exemple, faisant du Nouveau-Brunswick, la seule province canadienne officiellement bilingue. La dualité au niveau des services nécessitait évidemment un retour important des Acadiens et francophones vers la capitale provinciale. N’étant pas dupes, ceux-ci hésitaient à quitter leurs régions (Madawaska, baie des Chaleurs, péninsule acadienne) pour venir à Fredericton s’ils ne pouvaient y vivre en français. Dans un premier temps, pour obtenir les services dans leur langue, ils tergiversaient entre plusieurs locaux mis à leur disposition. C’est en 1978, à force de chaudes luttes, que la nouvelle communauté francophone et acadienne de Fredericton réussit à obtenir son centre communautaire qui comprendrait également une école offrant des cours depuis la maternelle jusqu’à la douzième année. Aujourd’hui, environ 1 000 élèves suivent leurs cours dans de belles salles de cours bien équipées. À l’automne 2005, on annonce 96 nouvelles inscriptions en maternel, ce qui nécessitera cinq classes au lieu de trois! Au centre, les élèves et les membres de la communauté ont accès à la bibliothèque Michaud. D’ailleurs, tous les services mis à la disposition de la communauté acadienne et francophone de Fredericton, sauf un, la Caisse populaire, située au centre-ville, se trouvent sous le même toit. Partout, à l’intérieur du Centre et de l’École se trouvent des symboles de l’histoire acadienne et des rappels de l’identité acadienne.
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L’importance du Centre communautaire Sainte-Anne a dépassé de loin les frontières de la ville de Fredericton et de la province du Nouveau-Brunswick. Il s’est agi du premier centre communautaire et scolaire au Canada. Sa réalisation a facilité l’obtention par les francophones de tels centres dans d’autres villes, comme le Centre Frontenac à Kingston et la Cité des Rocheuses à Calgary, pour ne nommer que ceux-là. Sans eux, la survie des communautés francophones minoritaires en milieu urbaine serait incertaine, sinon impossible.