En trente-deux ans d’enseignement à l’université Laval, je n’ai eu qu’un étudiant originaire de Blanc-Sablon, cette petite localité (1 200 habitants), située sur la Basse-Côte-Nord du Québec, à cinq kilomètres de la frontière labradorienne et inaccessible par route. Je lui ai enseigné deux fois, une fois en ma trente-et-unième année et une fois en ma dernière année. Il s’agissait de Laura-Lee Bolger, anglophone de naissance et francophone par alliance et par choix. Maintenant, étudiante à la maîtrise en géographie historique, cartographie et systèmes d’information géographique, elle m’avait mis au parfum de ce colloque qui devait avoir lieu au Labrador. Il réunirait les membres de la Eastern Historical Geographers Association qui compte plusieurs de mes amis et anciens collaborateurs dont Wilbur Zelinsky avec lequel j’avais collaboré en 1982 pour la publication de This Remarkable Continent : An Atlas of United States and Canadien Society and Cultures. Wilbur, âgé de 84 ans est venu au colloque seul en conduisant sa propre voiture depuis la Pennsylvanie, et Laura-Lee, 29 ans, se trouvaient aux deux extrêmes de la pyramide des âges des participants au colloque. La participation de Laura-Lee
au colloque nous a permis de nous rendre véritablement compte des liens étroits qui lient les gens des deux côtés du détroit de Belle-Île, cet entonnoir hydrographique qui canalise le courant froid du Labrador et qui fait vivre sur plus de quatre siècles pêcheurs, chasseurs de phoques et baleiniers. Aussitôt arrivée à L’Anse aux Meadow, Laura-Lee (Québécoise) est tombée dans les bras de Bonnie (Terre-neuviènne), une amie de la famille qui faisait de l’interprétation sur le site. Au lendemain, à Battle Harbour, elle renouerait, à son insu, avec Jenetta (Labradorienne), sa cousine, qui y travaille comme cuisinière. Laura-Lee n’avait revu ni l’une ni l’autre de ces deux femmes depuis 1995, moment où elle avait quitté Blanc-Sablon pour poursuivre ses études à Sherbrooke, puis à Québec.
Autre coïncidence qui me rapproche, personnellement, de Laura-Lee : en 1971 sa belle-sœur, Diane Pintal avait suivi mon tout premier séminaire de second cycle offert à Laval. Grâce donc à Diane et à Laura-Lee, j’ai réussi dans ma carrière à littéralement boucler la boucle générationnelle.
Pourquoi vingt-quatre géographes, dont moi et Laura-Lee, nous étions-nous déplacés à l’Anse aux Meadow sur l’extrême point de la péninsule septentrionale de Terre-neuve?
Découvert en 1960, à la suite de longues années d’étude, par les Norvégiens, Anne Stine et Helge Ingstad, ce lieu
est celui du premier établissement européen reconnu en Amérique du Nord. Il pourrait s’agir du campement de Vinland qui fut établi par Leif Ericsson et qui fut de courte durée. Vers l’an 1 000, des marins scandinaves implantèrent ici une base à partir de laquelle ils explorèrent des régions plus au sud. On peut y trouver des traces de fer forgé et d’outils de menuiserie, ce qui fait croire que la fabrication et la réparation de barques étaient importantes. Selon l’interprétation qu’en fait Parcs Canada, l’éloignement de leur patrie et les conflits avec des autochtones auraient pu inciter les Scandinaves à abandonner ce site qui devint en 1978 le premier site culturel à figurer sur la liste du patrimoine mondial de la convention de l’UNESCO.
Depuis la découverte du site, Parcs Canada, se basant sur des fouilles archéologiques majeures, essaie de reproduire le plus fidèlement possible des structures d’habitation et de travail. L’interprétation se fait à l’intérieur comme à l’extérieur par les gens habillés en costumes d’époque. Ailleurs, des creux et des monticules rendent témoignage de ce qui aurait pu être un atelier ou un entrepôt.