Saint-Pierre et Miquelon : la réalisation d’un rêve d’enfance

Enfant, à force de tourner les pages et de scruter les cartes de l’atlas que mes parents m’avaient offert en cadeau, je l’ai usé rapidement, mais pas avant d’avoir découvert sur une carte de l’Amérique du Nord—ou du Canada, je ne m’en souviens plus—un petit coin de la France. Juste en dessous de Newfoundland, c’était marqué St. Pierre & Miquelon (Fr). Est-ce possible que la France existe en Amérique? J’aimerais donc voir cela, me suis-je dit à huit ans. Cinquante-quatre ans plus tard, je m’y suis en fin rendu, accompagné du gros Jim Lansing d’Albany, NY, que j’ai rencontré à bord de l’Artheus, le bateau qui nous a transportés de Fortune, TN, à Saint-Pierre. L’an dernier, Jim, dans la trentaine avancée, avait fait la même découverte que moi et s’était promis de mettre Saint-Pierre à son prochain itinéraire qui l’emenerait à Terre-Neuve, au Labrador et au Québec via Blanc-Sablon. Ici, le Nordik Express l’attendrait pour le conduire, lui et sa voiture en conteneur, à Natashquan . De là, Jim comptait emprunter le nouveau tronçon de la 138 pour se rendre à Québec avant de rentrer chez lui. Je lui ai donné l’adresse d’un C&C à Baie Saint-Paul.
À ce temps-ci de l’année, la brume couvre le passage entre Fortune et Saint-Pierre. Après un voyage d’une heure trente sur une mer agitée, l’apparition du phare, situé sur la pointe du petit havre, et, quelques minutes plus tard, de l’édifice de la douane annonce enfin l’arrivée. La vérification des papiers est de rigueur ici et tous les passagers se
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font renifler par un chien appartenant aux autorités françaises, histoire de s’assurer de l’absence de stupéfiants. Le bureau de postes sur la Place du Général-Charles-De Gaulle, les voitures de marque française (comparées aux mastodontes américains) et les menus en euros servent de rappels que nous sommes en France.
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Ce qui saute aux yeux sur cette île au climat plutôt grisâtre et terne est la couleur des résidences, des commerces, des clubs et de l’énorme lycée. Les couleurs reflètent la gaieté. Ce sentiment est renforcé encore davantage par la musique d’un carrousel qui amuse les enfants de Saint-Pierre dont le nombre est impressionnant. Seule la cathédrale, d’ordinaire la structure la plus extravagante d’un village, déçoit par sa banalité.
Si les enfants sont relativement plus nombreux ici qu’au Québec et qu’en France métropolitaine, il faut en prendre en soin! En fait, c’est ce que font les jeunes gendarmes mobiles. Mobiles! Oui, car ces jeunes membres de la gendarmerie nationale, portant le képi à broderie jaune, changent de département d’outre-mer à tous les trois mois.
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Roland avait fait trois mois en Guyane avant de venir ici où il lui reste un mois avant de rentrer en France. David repartira aussi dans un mois. Ce dernier avoue que le travail à Saint-Pierre est inintéressant. Il n’y a ni criminalité, ni délinquance. Les deux rêvent d’être mutés en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie. À Saint-Pierre et Miquelon, disent les deux, le tour est vite fait! Les gendarmes mobiles, au nombre de trente, vivent en célibataires. Femmes ou blondes restent en France. Par contre, il y a une vingtaine de gendarmes réguliers qui portent le képi à broderie blanche. Ils viennent de la métropole avec leurs familles pour une période de trois à cinq ans. Selon Roland et David, aucun gendarme n’est de la place et les insulaires n’apprécient pas toujours cette présence autoritaire venue de la métropole, surtout celle des jeunes gendarmes mobiles!
Roland et David m’ont indiqué le chemin vers un autre point de rassemblent du village, le fronton basque. Tout l’été, dans un petit centre culturel à l’écriteau en basque s’organisent des compétitions de pelote, ce sport qui teste habilité, agilité et endurance.
Chez un commerçant de souliers, j’ai rencontré Glen Brooks et Carmella Goguen, charmant couple de Moncton, prisonniers de Saint-Pierre. Oui, prisonniers! Glen, ancien membre de la gendarmerie royale du Canada et pilote, et Carmella étaient arrivés à l’aéroport de Saint-Pierre de Moncton deux jours auparavant en route vers la capitale de Terre-neuve, St. John’s. Comptant passer une seule nuit à Saint-Pierre, ils s’apprêtaient à y passer leur troisième…et peut-être plusieurs autres encore, car le manque de visibilité résultant de l’épais brouillard ne permettait pas le décollage de leur Cessna. De bonne humeur, malgré tout, ils pouvaient difficilement trouver meilleur endroit pour découvrir, se reposer et manger.
En regagnant Terre-neuve, j’ai voyagé avec la famille Plantais qui devait s’installer le jour même dans sa résidence d’été sur la péninsule Burin. Il s’agit d’un genre de chalet appartenant à l’épouse terre-neuvienne de Guy, saint-pierrais. Cette union témoigne des liens étroits qui existent entre les Français de Saint-Pierre et Miquelon et leurs voisins canadiens. En 1978, en quête du travail, Guy est venu à Québec. Il n’en a pas trouvé suffisamment pour y rester. Toutefois, pendant un an, il s’est bien amusé à faire de la musique, seul et avec un petit groupe. Les Québécois ont trouvé cet accordéoniste saint-pierrais pas mal exotique! Son fils, Philippe, rêve d’aller en France, à Brest ou à Toulon, pour faire, comme il dit, de la marine militaire. J’ai posé à son père la question suivante : « comment un jeune homme comme lui, n’ayant connu que Saint-Pierre et le bout de la péninsule Burin à Terre-neuve, peut-il s’adapter à la vie trépidante en France? » Guy m’a assuré que son fils n’aurait aucune difficulté, d’autant plus que sa sœur aînée habite déjà Marseille. Et les autres membres de la famille? Un frère à St. John’s et une autre sœur à Calgary. Voilà, le destin aujourd’hui des jeunes saint-pierrais. En un mot : partir.
Les insulaires n’ont cessé de me dire de revenir en août ou en septembre quand il ferait beau soleil à tous les jours. Je pense qu’ils exagéraient un peu, mais j’ai envie de retourner voir et de vivre davantage mon rêve d’enfance.