En juin 1928, la romancière américaine bien connue, Willa Cather (1873-1947), est arrivée à Québec avec sa compagne, Édith Lewis. De leur domicile à New York, elles se rendaient à leur chalet à l’île de Grand Manan, au Nouveau-Brunswick. Malade, Mme Lewis a dû être hospitalisée plusieurs jours à Québec. Cette halte permit à Willa, francophile depuis toujours, de découvrir cette ville perchée sur un rocher, le Cap Diamant, et de s’imaginer la vie d’autrefois. Trois ans, plus tard, parut aux États-Unis Shadows on the Rock, inspiré de ce séjour et de
ses recherches subséquentes. En 1932, celui-ci y devint le livre le plus vendu. Traduit des années plus tard en France sous le titre Des ombres sur le rocher, Shadows demeure néanmoins très peu connu au Québec, pourtant, il raconte peut-être mieux que toute autre œuvre de fiction la vie en Nouvelle-France, à Québec, au tournant du dix-huitième siècle. D’ailleurs, l’histoire commence par le départ des derniers bateaux pour la France à l’automne de1697 et se termine en 1713, l’année du Traité d’Utrecht qui redéfinissait les frontières franco-britanniques en Amérique du Nord.
Pour palier à ce manque de connaissance et pour contribuer à sa façon aux célébrations du 400e à Québec, la Quebec Literary and Historical Society dont la magnifique bibliothèque se trouve au Collège Morrin, situé sur la Chaussée des Écossais, au cœur du Vieux-Québec, a organisé le samedi 27 septembre une colloque
consacré à ce livre remarquable qui, par sa préoccupation des rythmes de la vie et de la pérennité de la culture canadienne [française], fait penser, à bien des égards, à cet autre classique « québécois » écrit par un étranger, Louis Hémon, Maria Chapelaine.
Quatre « cathériens » (experts sur l’œuvre de Willa Cather) nous entretenaient de la femme et de son œuvre. John Murphy de Santa Fe, au Nouveau-Mexique, (extrême droite dans la photo) faisait ressortir la dimension continentale de l’ensemble de l’œuvre de Cather, son souci des « petites cultures » et son désir de faire contre poids à la culture anglo dominante. Selon Murphy, Shadows « celebrates the blossoming of French colonisation and the curious endurance of a narrow culture ». Après avoir publié plusieurs romans sur les cultures immigrantes, scandinaves surtout, situées aux limites de la frontière agricole américaine, au Nebraska et au Kansas ( My Antonia), et sur las Hispaniques du Sud-Ouest ( Death Comes to the Archbishop), elle complète le portrait en rappelant la présence française sur les rives du Saint-Laurent.
Lors de sa conférence, Robert Thacker de Canton, au New York, (extrême gauche), tenta de trouver dans l’œuvre de Cather les racines de la culture québécoise contemporaine. Certains dans l’assistance lui ont fait remarquer que Cather serait probablement surprise de constater aujourd’hui ce Québec séculaire, matérialiste et avant-gardiste. Ce à quoi Thacker a répondu qu’elle en serait probablement fort aise.
Ann Romines (seule femme), a tracé la biographie de cette jeune fille, née en Virginie huit ans après la fin de la guerre de sécession qui, jeune, s’est déplacée à Red Cloud, au Nebraska, où elle a passé sa jeunesse avant de s’inscrire à l’université du Nebraska. Pour gagner sa vie, Cather est retournée dans l’Est, à Pittsburgh, d’abord, puis à New York où elle a élu domicile pendant 40 ans. Romines a révélé l’influence sur Cather et son œuvre de chacun de ces lieux, ainsi que la nature de sa relation avec son éditrice et amie, Édith Lewis.
Enfin, Guy Reynolds, directeur du Projet Cather à l’université du Nebraska chanta les louanges de celle qu’il considère comme la plus importante « écrivaine ethnographique » de son époque. Par le contenu de son œuvre, elle dépasse les bornes du simple régionaliste, faisant preuve d’un engagement vif envers le continent. Par la portée géographique de son œuvre, Cather crée des liens innovateurs entre plusieurs régions du continent. Dans les années qui suivirent la première Guerre mondiale, l’auteure déplorait les tentatives officielles d’éradiquer la diversité linguistique dans son pays et pleurait les « apparently vanished Americas ». Selon Reynolds, Cather était un parangon de cosmopolitisme.
Avant et après chaque intervention savante, l’auditoire eut droit à la lecture en anglais et en français par de jeunes bénévoles de la Société littéraire et historique de Québec d’extraits du livre à l’étude.
Notons enfin que cette société fondée en 1824 fut la première société savante au Canada. Son histoire témoigne du développement de la vie intellectuelle du pays. Elle est maintenant le principal promoteur d’un projet de centre culture, le Morrin Centre, qui offre au public une grande variété d’activités : service de bibliothèque et d’archives, visites guidées, conférences sur l’histoire et la littérature, groupes de discussion, ateliers d’écriture et cours de poésie…
One thought on “Willa Cather à Québec”
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Ni l’auteur, Willa Cather, ni son livre aussi bien en anglais qu’en français ne semblent se trouver sur les rayons de la Grande Bibliothèque à Montréal. Bizarre ! Pourtant ton bref article nous donne le goût d’aller voir ce qu’il en est exactement avec son « Shadows on the Rock »
Pierre