Le jeudi 12 mai, dans le cadre du 79e congrès de l’ACFAS (anciennement L’Association canadienne pour l’avancement des sciences devenue ces dernières années L’Association francophone pour le savoir), tenu à Sherbrooke, j’ai eu le plaisir d’animer une table ronde organisée par le Centre de la Francophonie des Amériques, sur le thème « La francophonie dans les Amériques : un levier économique pour le développement global des communautés » dont les objectifs furent les suivants : (1) Sensibiliser à la Franco-Amérique et à son importance; (2) Engager une réflexion originale et novatrice sur le lien culture/économie dans le contexte des communautés franco d’Amérique; (3) Démontrer le potentiel de développement économique (et communautaire) en français dans les Amériques.
D’entrée de jeu, l’animateur cita Zachary Richard qui décrivait la situation des Franco d’Amérique en ces mots : « Notre isolement est plus fort que notre fraternité! » Succinct, mais combien profond et précis! Il renchérit par une deuxième citation, celle d’un Franco-Albertain, Michel Bouchard, qui a réussi à rompre son isolement et à voir plus grand grâce à sa découverte de la Franco-Amérique et à son intégration : « Nous sommes désemparés devant notre histoire. Elle est comme un rêve que l’on oublie en se réveillant le matin, mais qui nous tracasse. Nous sommes incapables de nous en souvenir. Je sais que ma communauté francophone (Rivière-la-Paix, AB) dépasse les frontières de mon village, ma province et même mon pays. Je revendique l’Amérique toute entière comme patrie. Je fais appel à mon histoire—histoire que je crée pour justifier mon appartenance à ce continent »
La table, consistant en quatre membres, visait donc à appuyer l’hypothèse que le fait français en Amérique peut être un levier économique pour le développement des communautés. Là où plusieurs n’y voient qu’une entrave!
D’abord, Dominique Sarny, directeur du Centre canadien de recherche sur les francophonies en milieu minoritaire (CRFM) de l’Institut français de l’Université de Regina, en Saskatchewan, prit la parole pour décrire les défis auxquels font face les communautés fransaskoises, largement rurales : exode rural, industrialisation de l’économie agricole, disparition de fermes familiales, assimilation linguistique, vieillissement, marginalisation… Au lieu de s’apitoyer sur leur sort, certains Fransaskois innovateurs ont imaginé des actions à entreprendre en collaboration avec d’autres populations partageant les mêmes préoccupations. Un projet pilote dans la région de Batoche fut établi dans le but, non de remplacer la production du blé ou l’élevage, activités au cœur de l’économie traditionnelle saskatchewannaise, mais de trouver une alternative ou une valeur ajoutée pouvant séduire, réunir et convertir les habitants et leur donner une marque de commerce. Ils se sont tournés vers l’Aubrac, petite région située dans le sud de la France, où se créèrent des associations regroupant des meilleurs producteurs et artisans du terroir. L’enthousiasme à son comble, les Fransaskois—et leur voisins métis—se mirent à explorer les possibilités qu’offrait le terroir basées sur leurs propres traditions certes, mais aussi sur de nouvelles demandes émanant des nouveaux marchés créés par l’exploitation à proximité des gisements (sables bitumineux, diamants, uranium…) qui eut pour résultat la montée en flèche de la population de la province par le biais de l’immigration de l’est du Canada ou du retour en Saskatchewan des anciens partis vers l’Alberta ou la Colombie-Britannique. Pour le moment, trois types d’activité semblent destinées à s’inscrire dans la mouvance globale de « consommation locale » et de « slow food ». Il s’agit de la mise en marché de produits de bison, de l’apiculture et de la mise en conserve de petits fruits des prairies.
Sarny a fait sourire l’assistance par sa mise en garde contre le terme « terroir » que les Anglos de l’Ouest confondent avec « terror ». Par conséquent, les Fransaskois et les Métis qui sont à l’avant-garde de ces initiatives en matière de produits du terroir sont des « terroristes ». Pas très populaire de nos jours!
Les Louisianais ont le don d’épater! Charles Larroque ne fait pas exception. Faisant allusion à tous les malheurs qui frappent le sud de la Louisiane depuis cinq ou six ans (Katrina, la nappe d’« huile » BP, les inondations de cette semaine), Larroque exclame : « Les gens restent, mais le pays est déporté! »
Lors de son intervention intitulée « Réflexions sur un bayou : l’incubation d’une économie culturelle franco-louisianaise », le Cadien prétend que pour le bien-être social et le développement économique en Louisiane, il faudra « réveiller » le français. Pour devenir une force majeure en Louisiane, des priorités s’imposent, chacune soutenue par un objectif précis :
Priorité 1 : Développer une main d’œuvre francophone
Objectif : Privilégier un volet vocationnel à l’enseignement du français en Louisiane afin d’engendrer une autonomie économique au sein de la communauté franco-louisianaise.
Priorité 2 : Soutenir la population franco-louisianaise existante.
Objectif : Tendre la main aux Cadiens, Créoles et aux Indiens francophones pour les aider à reconnaître le potentiel de leur langue d’héritage quant aux possibilités économiques.
Priorité 3 : Étendre les marchés pour la culture franco-louisianaise
Objectif : Collaborer avec des partenaires afin d‘identifier et de multiplier les produits et services provenant de la Louisiane francophone.
Pour illustrer son propos, Larroque prit l’exemple de la communauté créole de Promised Land, située sur le Têche, à mi-chemin entre Pont-Breaux et Saint-Martinville. Ici, le niveau de revenu des gens est faible, mais le sens de communauté est fort. Le développement socio-économique pourrait s’insérer dans une logique d’écotourisme visant des solutions locales, appuyées par les instances internationales de la Francophonie.
Enfin, six moyens pour donner du poids à une « franconomie » en Louisiane : revendiquer, éduquer, « créoliser », s’organiser, collaborer, créer.
Par une communication intitulée « Le EMBA de l’Université de Sherbrooke, un outil de développement endémique », Alain Tremblay et Sébastien Reyt, respectivement directeur adjoint et correspondant à l’international du Centre Laurent-Beaudoin de l’Université de Sherbrooke, présentèrent un projet de coopération répondant aux exigences d’une demande formulée par la partie antillaise aux prises avec une situation politique et sociale inacceptable résultant des rapports avec la France métropolitaine. Le projet vise à donner une formation nord-américaine aux cadres et à réorienter des liens économiques de manière à se rapprocher du Québec et de la Franco-Amérique.
Jusqu’ici, les retombées du projet s’avèrent favorables pour les deux parties. Grâce à cette antenne à Guadeloupe, le Centre Laurent-Beaudoin est en bonne posture pour étendre son action à la Martinique, à Saint-Martin et en Guyane. Dans les Antilles, il semble y avoir préjugé favorable envers le système d’éducations québécois. Plusieurs étudiants antillais y trouvent leur compte en réalisant des études post secondaires à Sherbrooke. Le nombre de bons candidats dépasse de loin le nombre de places disponibles et personne, à ce jour, ne semble souffrir de dépaysement.
Par contre, tout n’est pas rose. Plusieurs obstacles surgirent en cours de route dont l’approche du financement de la formation en France, la résistance aux changements de la part de certains patrons guadeloupéens, les exigences et le rythme des études au Québec, le climat social volatile à Guadeloupe qui donna lieu en février 2009 à une grève de six semaines qui a paralysé le pays et, enfin, le désir éphémère de changement.
À la suite de cette table ronde, les organisateurs lancent une série de questions qui invitent à la réflexion. Évidemment, ceux et celles qui liront ce billet sont priés, si le cœur leur en dit, d’y donner suite.
•Est-ce que l’économie pourrait être le moyen privilégie pour créer des liens entre les Franco d’Amérique?
•Comment l’économie pourrait-elle être stratégique et bénéfique pour le développement et le maintien des communautés?
•Est-ce que le succès économique de quelques entrepreneurs franco garantit la vitalité de leurs communautés?
•Comment faire de l’économie un véritable levier pour assurer l’épanouissement des communautés?
•En faisant du développement économique et communautaire, quelle stratégie envisager pour assurer le couplé identité/économie?
•Grâce aux produits issus du terroir, serait-il possible de s’insérer dans la mouvance de « consommation locale », de « slow food » , de « franco responsabilité » ?
•Comment prévoir les conséquences, positives ou néfastes, des projets de développement économique?
•Comment faire de l’économie un outil pouvant affermir l’identité et renforcer les communautés, au lieu d’un mécanisme contribuant à l’assimilation et à la perte?
Parlant terroir, il faudra bien réapprendre à râtisser large. #frcan