Pour les friands de l’histoire française, de l’histoire américaine et de l’histoire de l’art, quel meilleur livre que The Great Journey : Americans in Paris, de l’auteur états-unien bien connu David McCullough dont la plume a déjà produit des œuvres immenses telles John Adams, Truman, The Path Between the Seas et The Johnstown Flood? Cette fois-ci, McCullough fait la démonstration d’être beaucoup plus qu’un historien doué et un vulgarisateur hors pair. Il s’agit aussi d’un fin connaisseur de l’art, d’un aficionado de la peinture et de la sculpture!
En 1831, au solde du roi Louis-Philippe de la Monarchie de Juillet, Alexis de Tocqueville voyage en Amérique afin d’étudier le système pénitencier. Il voit beaucoup plus grand observant, analysant et commentant la démocratie telle qu’elle existe en Amérique. De Tocqueville deviendra célèbre à la fois en Europe et en Amérique pour son œuvre en plusieurs tomes, De la démocratie en Amérique.
Cela, on le sait bien! Ce que l’on sait moins, c’est qu’à pareille époque de nombreux citoyens de la nouvelle république traversaient l’Atlantique dans le sans contraire afin de se ressourcer à Paris dans les domaines de l’art, de la médecine, de la littérature et de l’architecture. Pour la plupart, ces gens n’avaient jamais quitté leur pays. Ils ne connaissaient en1830 que les États du littoral de l’Atlantique : Maine, Massachusetts, New York, Pennsylvanie, Virginie… L’aventure parisienne ne comportait aucune garantie de succès, au contraire! Or, McCullough démontre qu’à partir de 1830 et tout au long du XiXe siècle, ces « pionniers » (car « Not all pioneers went west », dit-il) ont rapporté de Paris des connaissances, des techniques et une vision qui ont altéré le cours de l’histoire du pays neuf.
La liste des noms d’Américains séjournant à Paris et s’inspirant de sa beauté, de sa majesté et de son environnement intellectuel, scientifique et artistique se lit comme un Who’s Who de la culture américaine : Samuel F.B. Morse (peintre, mais ensuite inventeur du système télégraphique qui a facilité le développement de l’Ouest du continent américain et l’essor de la communication à l’échelle de la planète); James Fenimore Cooper (auteur de Last of the Mohicans, The Prairie et combien d’autres classiques de la littérature américaine), ainsi que Ralph Waldo Emerson, Mark Twain, Nathanial Hawthorne et Henry James, tous des figures de proue. Le célèbre portraitiste George P. A. Healy et le sculpteur au nom français, à cause de son père immigrant à New York, Augustus Saint-Gaudens, ont tiré profit des longues années passées à Paris pour parfaire leurs talents. L’une des seules, sinon la seule, impressionnistes américaines, Mary Cassart a pu bénéficier de son association avec Monnet, Renoir, Velasquez et Dega. Johnson Singer Sargent en est un autre qui s’épanouit à Paris.
À l’époque, rien aux États-Unis ne pouvait se comparer à l’École de médecine de Paris. On y trouvait aussi l’Hôpital des enfants malades, l’Hôpital de la charité, l’Hôtel Dieu. Elizabeth Blackwell, première femme médecin aux États-Unis vint étudier ici. Wendell Holmes se rappellerait, des années plus tard, les étudiants qui s’empilaient en arrière du chef chirurgien Baron Guillaume Dupuytren afin de le voir opérer. De tous les enseignants et praticiens des arts médicaux à Paris, au milieu du XIXe siècle, aucun ne jouissait d’autant d’estime que Pierre-Charles-Alexandre Louis. Pendant 20 ans, son influence jaillissait sur les jeunes Américains sous sa tutelle. Les Américains éduqués en médecine à Paris, Mason Warren en tête, surent mettre en application à la Harvard Medical School les leçons apprises à Paris.
Certains Américains vivent l’histoire pénible de la Guerre de sécession dans la Ville lumière. Harriet Beecher Stowe, auteure de Uncle Tom’s Cabin, livre anti-esclavagiste qui a enflammé sa nation, a trouvé une certaine paix dans l’âme à Paris. D’autres, fuyant la période tumultueuse des années 1870 (la Guerre franco-prussienne et l’épisode de la Commune), rapportent chez eux des histoires sordides des communards qui, selon McCullough, n’avaient rien à voir avec le communisme. Une exception majeure, l’Ambassadeur des États-Unis à Paris, Elihu Washburne, que McCullough monte en héros pour sa volonté de rester en poste, de rendre service et de ne pas porter jugement sur cette pénible période. Né dans le comté d’Androscoggin, près de Lewiston, dans le Maine, le jeune Washburne a tôt pris la route de l’Ouest, s’établissant et faisant fortune à Galena, en Illinois. Il représenterait sa région au Congrès des États-Unis, avant d’être nommé Ambassadeur à Paris, largement à cause de sa femme, Adèle Gratiot Washburne qui, née de parents français à Galena et éduquée par les sœurs à Saint-Louis, parlait couramment français.
Enfin, le traitement que réserve McCullough à l’égard de la construction des deux mégastructures de la fin du siècle et du lien qui existait entre elles et entre leurs concepteurs porte à la réflexion. Il s’agit bien sûr de la tour Eiffel et de la Statue de la liberté dont la France ferait cadeau aux Etats-Unis.
Le terrain de l’Exposition universelle de 1889.
La Statue de la liberté qui se lève au-dessus de Paris (peinture de Victor Dargaud)
Ces deux images relevées de The Great Journey ne sont qu’un petit échantillon d’une cinquantaine de reproductions d’œuvres d’art qui embellissent les pages de ce livre et en rendent la lecture si agréable.
Sur les différents aller et retours intellectuels, littéraires, touristiques, etc. entre les États-Unis et la France, mais plutôt d’un point de vue français, et particulièrement avec l’Ouest en pleine découverte, il est intéressant de lire la thèse de Tangi Villerbu : La Conquête de l’Ouest, Le récit français de la nation américaine au XIXe siècle [http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=1413]. On sort alors de l’incontournable Tocqueville pour se rendre compte que les échanges et les regards croisés ont été effectivement très nombreux.
Et, au passage, merci pour ce blogue qui montre une Amérique un peu différente de celle qu’on à l’habitude de voir.