Parole aux aînés de l’AARQ

L’un des défis auquel fait face l’Association acadienne de la région de Québec—et sans doute la plupart des organismes acadiens au Québec—c’est celui de la continuité, autrement dit celui de la relève. L’ensemble des membres est vieillissant. Un coup d’œil sur la photo des cinquante personnes ayant participé au dîner de la fête des rois révèle la pénurie de membres de moins 65 ans (voir billet précédent). Pourquoi cette absence de jeunesse?

Les membres de l’AARQ se divisent en quatre groupes : (1) les gens de souche acadienne nés dans une des « petites cadies » québécoises, comme Maria, Bonaventure, Havre Saint-Pierre, Natashquan, Saint-Grégoire-de-Nicolet, Saint-Jacques-de-l’Achigan, venus en ville depuis le début de la Révolution tranquille (donc des produits de l’exode rural québécois); (2) les immigrants des Provinces maritimes, surtout du Nouveau-Brunswick (ceux de fraiche date sont peu nombreux au sein de l’AARQ, la plupart d’entre eux étant arrivés aux années 60 ou 70); (3) les Québécois de souche, surtout urbain, ayant découvert leur acadienété sur le tard; (4) les époux ou épouses québécois des gens de la première catégorie. Peu importe la catégorie, les enfants de ces gens, nés et élevés pour la plupart au Québec, semblent avoir rompu avec l’identité ancestrale, se considérant avant tout « québécois ». Comme un Lévisien de catégorie 1, qui a fait sa vie d’enseignant à Amqui (autre petite cadie) pendant plus 40 ans avant de se rapprocher, à la retraite, de ses enfants et petits-enfants et des services médicaux de première ligne, me l’a avoué dimanche dernier à ce sujet : « J’ai parlé à mes enfants de l’Association et de nos activités, mais cela ne leur dit rien »!

À la suite du dîner de la fête des rois, la parole fut donnée aux 13 personnes présentes de plus de 80 ans pour qu’elles partagent avec les plus jeunes leur vécu et leur sagesse. Ici, retenons les expériences de six intervenants, un de la catégorie 1, trois de la catégorie 2, un de la catégorie 3 et une de la catégorie 4.

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Jean-Yves Landry est l’ancien président de la Société d’histoire de Sainte-Foy et vice-président de l’AARQ. Originaire de Matane, il est le dernier survivant de sa grande famille. Il vient tout juste de céder sa place au cimetière Belmont à sa sœur. Il se demande maintenant où il se retrouvera au moment du grand départ. La vocation et la passion de cet homme de 81 ans? C’est bien simple : l’histoire des Acadiens…surtout celle de ceux qui sont arrivés au Québec en 1756 à la suite du Grand Dérangement. Jean-Yves faisait remarquer aux convives qu’ils poursuivaient leurs activités de la journée, au 3200, rue d’Amours, sur les terres appartenant autrefois à leurs ancêtres acadiens venus en réfugiés. « Les Acadiens ont pris leur place au Québec », c’est là le témoignage émouvant de Jean-Yves Landry.

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La Reine du jour, Lorraine Arsenault, quitta son île à 14 ans pour étudier à l’École ménagère de Plessisville (EMP). Elle venait de terminer sa neuvième année d’études. À cette époque, à Abraham-Village (I-P-É), les études se terminaient à cet âge-là. Si on voulait poursuivre, il fallait partir, mais comment partir quand on est fille d’une femme devenue veuve à 39 ans? Heureusement, dans sa vie, il y a eu le patriote acadien Henri Blanchard (1881-1968), professeur à l’université de l’Ile-du-Prince-Édouard et président-fondateur de la Société Saint-Thomas d’Aquin, qui se rendait régulièrement au Québec y quêter des places dans les écoles et collèges pour des Acadiens de l’île. Grâce à lui, Lorraine a obtenu une bourse pour étudier à l’ÉMP. À la blague, Lorraine chuchote que cela voulait dire « enfants mal pris ». Pour payer son billet de train de Moncton à Québec, les Sœurs du sanctuaire ont organisé un Bingo. « Ces trois années à Plessisville ont changé ma vie »! conclut Lorraine Arsenault.

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Né à Saint-Quentin, au Nouveau-Brunswick, Albert Gagnon a déménage en Abitibi à l’âge de deux ans et demi. C’est l’époque de la colonisation. C’est l’époque de la Crise économique! Ils seront 16 enfants, 10 garçons et 6 filles. Au début des années 50, en quête d’une meilleure vie, Albert et son frère s’enrôlent. Le Canada est en guerre en Corée. « Cela ne pourrait pas être pire là-bas qu’ici » se sont-ils dit les garçons. Ils se rendent d’abord à Grand-Mère, puis à Montréal où ils apprennent que le pont de Trois-Rivières vient de s’effondrer. De Montréal à Wainwright, en Alberta, pour un peu d’entraînement. Ensuite, Seattle et, enfin, la Corée. Son frère y trouvera la mort et y sera enterré.

Le 7 novembre dernier, Albert faisait partie d’un contingent de huit Canadiens à se rendre en Corée commémorer le soixantième anniversaire de la Guerre de Corée. Il était le seul représentant du Québec et le seul véritable soldat, un petit caporal, accompagné de cinq généraux et de deux majors—tous du Canada anglais.

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Les Allain, c’est une grande famille de Négouac, au Nouveau-Brunswick. Elvine en fait partie. À 16 ans, elle est venue à Québec comme dame de compagnie. Trois ans plus tard, en 1942, elle lie son destin à celui d’un homme avec lequel elle passera les 69 prochaines années de sa vie, surtout à Valleyfield, au bord de l’eau dans une maison de leur propre fabrication, mais plus tard, pour se rapprocher de leur fils, notaire à Québec, à Sainte-Foy, en arrière du Château Bonne Entente. Son mari l’a quittée le mois dernier à la suite d’une vilaine chute dans leur cuisine en rénovation. Ils n’ont donc pas réalisé leur rêve le plus cher, celui de fêter ensemble en 2012 leur 70e anniversaire de mariage.

« J’ai dû lutter pour devenir ce que je suis, une décoratrice », relate Elvine. Heureusement qu’elle s’est toujours trouvée bien entourée. Dans les moments de découragement, les amis et ses patrons lui disaient « Tu peux réussir, tout ce que tu touches, tu as de la facilité… » À 89 ans, après toutes ses années au Québec, et malgré ses nombreuses réalisations, Elvine, comme plusieurs de son pays natal, souffre de ce qu’ils considèrent une inadéquation linguistique : « Je ne me sens pas l’aise en français, je suis bien meilleur en anglais »!

Cela ne paraît pas!

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Ce n’est qu’il y a sept ans, en rencontrant Rita Cormier de la Garde, présidente de l’AARQ, lors des activités paroissiales, que Fernand ait pris véritablement connaissance de ses racines acadiennes. Fils de Francis Boudreau, député Unioniste de Saint-Sauveur de 1944 à 1970, Fernand a grandi avec Duplessis et l’Union nationale. Qu’y avait-t-il de plus Québécois pur que cela?

Marié à Thérèse Benoît depuis 62 ans, ils ont quatre enfants et 13 petits-enfants. « Plus on s’endure, plus on s’aime » dit-il. Fernand Boudreau termine par rendre hommage à ses vaillants ancêtres acadiens des Ïles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord.

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Doyenne de l’AARQ à 92 ans, Renée Falardeau a connu les Acadiens grâce à son mari. Fille de Québec, secrétaire pendant 25 ans et veuve à 45 ans, elle se marie en 1981, en deuxième noces, à Benoît Babin, Acadien né à Maria, en Gaspésie, et décédé à Québec en 2007. « Pendant 26 ans, j’en ai entendu parler de la Gaspésie…et des Acadiens », raconte-t-elle sur un ton résigné.

Insistant sur le fait qu’elle n’ait rien d’Acadien en elle, Renée leur consentit néanmoins beaucoup d’affection et toute son admiration et avoue se sentir bien avec eux.

Tout comme moi d’ailleurs!