Holyoke, Massachusetts le jour de la Toussaint

Holyoke, quel beau nom ! Quel triste spectacle de déchéance qui marque son centre et celui de la plupart des « milltowns » de la Nouvelle-Angleterre vers lesquelles des centaines de milliers de Canadiens français se sont autrefois expatriés dans le but d’améliorer leur sort !  À la longue, ils ont réussi. Aujourd’hui, ils ont échappé à l’emprise du « ghetto ethnique » s’établissant de l’autre côté de la rivière Connecticut dans les beaux secteurs de South Hadley. Cela ne n’est pas fait d’un coup sec. Au passage, ils ont quitté les bas fonds de South Holyoke, avec ses canaux, usines et institutions ethno religieuses pour monter la côte vers High Street, toponyme qui reflète à la fois une réalité topographique et socio-économique.

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Le quartier canadien de South Holyoke n’est plus. Aujourd’hui, il s’agit d’un quartier portoricain, mais certains vestiges du milieu bâti témoignent du passage des Canayens devenus Franco-Américains.

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Usines à papier abandonnées

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Terrain vague, occupé jusqu’à la fin des années 80 par l’église de la paroisse du Précieux Sang, en arrière plan la résidence des sœurs

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Façade de la résidence des sœurs, où la « soupe populaire » est servie, mais pas par les sœurs qui n’y sont évidemment plus.

L’école secondaire du Précieux Sang, elle aussi est partie remplacée par un terrain de jeu peu fréquenté par les enfants du quartier. C’est ici que notre guide, René Beauchemin, fit son cours secondaire au début des années 1960. L’enseignement se faisait encore dans les deux langues, les matières « molles » en français et les sciences et mathématiques en anglais. Les élèves parlaient anglais entre eux en dehors de l’école.

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Aujourd’hui, la clientèle qui fréquente les clubs sociaux de South Holyoke parle espagnol, mais les raisons sociales de langue française sont maintenues.

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La boulangerie appartenant au père de René Beauchemin se trouvait en face de l’église du Précieux Sang. Elle y est encore, Langelier’s Bakery, mais fermée. Quand notre guide avait 13 ans, son père a acheté de Monsieur Langelier son entreprise, gardant le nom. Cinq ans plus tard, en 1965. le père décède laissant la boulangerie à René qui en fera son gagne-pain pendant 39 ans avant de devoir abandonner en 2003. Chez les Franco-Américains de la région, sa recette pour la tourtière demeure légendaire !

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Aujourd’hui, dans une école de métiers, René enseigne les arts culinaires aux élèves portoricains. Lorsqu’ils parlent entre eux en espagnol en sa présence, René prend sa revanche en leur parlant en français. Ils n’ont aucune notion de ce qu’était South Holyoke avant l’arrivée de leur communauté et s’en fichent éperdument.

Cette tournée à Holyoke, nous la devons à Stephen Gazillo dont la petite histoire mérite d’être racontée ici.

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Sur le campus de Mount Holyoke College  : Billie Kase, René Beauchemin, Dean Louder, Joe Gazillo, Stephan, Joanie (son épouse)

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En 1976, après avoir terminé son baccalauréat en géographie à l’Université Clark (Worcester, Massachusetts), Steve s’est inscrit à la maîtrise dans la même discipline à l’Université Laval. C’est comme cela que nous nous étions connus. Il avait d’ailleurs passé quelques semaines à se loger au sous-sol chez nous. L’une des raisons qui avait incité Steve à étudier au Québec, c’est qu’il s’agissait d’une sorte de retour aux sources, car sa mère était venue au monde à Thetford Mines. Lorsqu’elle n’avait que huit ans, sa famille a quitté le Québec à la faveur de Biddeford, dans le Maine. Plus tard, un autre déplacement vers le centre du Massachusetts, à Holyoke, où elle a rencontré Monsieur Gazillo, bel homme d’origine italienne. Cinq enfants sont nés de leur union dont les deux derniers figurent dans la photo ci-haut.

Une fois son diplôme obtenu, Steve est rentré aux États-Unis et nous n’avons eu que des contacts sporadiques. Je savais que Steve travaillait à New York dans le domaine de l’aménagement des systèmes de transport. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il travaillait au 91e étage du World Trade Center. Le matin du 11 septembre 2001, avant d’entrer au bureau, il s’était arrêté chez Krispy Kreem acheter des beignes en vue d’une réunion plus tard en matinée. Cela lui a fort probablement sauvé la vie. Ce jour-là, treize personnes de son entourage immédiat furent victimes des terroristes.

Aujourd’hui, chez lui à Longmeadow, banlieue cossue au sud de Springfield, Steve peut en parler de manière posée, ce qui ne fut pas toujours le cas. Il m’a emmené dans son bureau me montrer une œuvre d’art, intitulé « Moving toward Manhattan », réalisée bien avant l’attaque sur le WTC par un artiste peu connu du nom de Green. Un jour, longtemps après l’attaque, assis dans une réunion, Steve fut estomaqué de voir, accroché au mur de la salle de conférences, un tableau montrant la silhouette de Manhattan et 13 marcheurs déambulant vers les Twin Tours.

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Bouleversé, Steve fit les recherches nécessaires pour en obtenir une lithographie qui lui rappelle quotidiennement la folie des hommes et la force de l’amitié !

 

2 thoughts on “Holyoke, Massachusetts le jour de la Toussaint

  1. Un gros bonjour à Dean de Thomas Antil et Suzanne Messier. Steve Gazillo nous a envoyé le lien de ton blog. Comme Franco-Américain natif de Holyoke, je me souviens de Langelier’s Bakery. Lorsque ma mère est décédée le mois de mars dernier à Holyoke, nous avons perdu la dernière personne dans notre famille qui a appris le français comme langue maternelle (elle est née et a grandi dans la paroisse de la Nativité à l’autre côté de la rivière à Chicopee). Je suis fier de pouvoir parler français et continuer son héritage mais je peux le faire seulement parce que, comme Steve, j’ai choisi à étudier à Québec. Je trouve ça triste mais en même temps normal que le français soit remplacé par l’espagnol. J’espère seulement que les Puertoricains et autres immigrants qui habitent aujourd’hui dans les anciens « Petits Canada » aient un jour la possibilité de mieux s’intégrer dans la société américaine, comme l’ont fait les franco-américains et les autres groupes avant eux. Thomas Antil, Québec, Québec


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