Glen Pitre : père du cinéma cadien et ami de longue date

C’est en Louisiane, en 1977, que j’ai commencé ma quête. Oui. celle qui m’emmènerait aux quatre coins de l’Amérique du Nord à la recherche des populations francophones. Je faisais alors partie d’une équipe de recherche, Projet Louisiane, composée de professeurs canadiens et d’étudiants du Québec et de Louisiane, qui avait pour mission d’étudier la renaissance linguistique et les transformations culturelles qui s’y produisaient à l’époque. Les membres de l’équipe étaient déployés à travers le sud de la Louisiane, dans diverses communautés cadiennes et créoles : Mamou, Pont Breaux, Parks, Lafourche, Terrebonne, Westwego, Lafayette, Avoyelles…alouette. Chacun devait réaliser des entrevues auprès des maisonnées. Ses quelques 600 entrevues enregistrées sur audio cassettes fournissent un instantané de la situation linguistique de l’état du français en Louisiane au moment où les derniers locuteurs unilingues disparaissaient.

Glen Pitre fut l’un des jeunes Cadiens faisant partie de l’équipe. Né et élevé à Cut Off, à une cinquante de kilomètres au sud de la Nouvelle-Orléans, sur la bande de terre ferme qui sépare bayou Lafourche des marais, il poursuivait ses années-là des études en arts visuels et sciences de l’environnement à l’Université Harvard. Aujourd’hui, Glen dit à la blague que c’est nous du Projet Louisiane, avec l’argent de la Fondation Ford, qui lui avions offert sa première « vraie job ». Il passait l’été à interviewer son monde et à faire marcher ses appareils de photo. C’était un jeune homme dont l’avenir s’annonçait brillant. Il fonde à Cut Off, en 1977, sa propre compagnie de production cinématographique, Côte Blanche Productions.  À mon humble avis et sans parti pris, à la veille de ses 60 ans, il est le doyen des cinéastes louisianais et sans doute le meilleur, ce qui n’est pas peu dire. Glen Pitre peut porter fièrement le titre de « père du cinéma cadien ».

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Avec lui, sa conjointe, proche collaboratrice et coproductrice, Michelle Benoît, Productions Côte blanche a, depuis 2009, pignon sur rue dans le Faubourg Marigny, à quatre pâtés de maisons du Vieux-Carré, au cœur de la ville la plus belle et la plus résiliente des États-Unis.

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Lors de mon passage récent à la Nouvelle-Orléans, j’ai pu profiter de l’hospitalité de Glen et Michelle et être témoin de leur terrible passion pour leur profession et de leur amour authentique et de leur engagement inlassable à l’endroit de cette ville qui se remet tranquillement et douloureusement de la destruction provoquée en 2005 par l’ouragan Katrina.

Si Glen et Michelle habitent la rue Marigny, leur lieu de travail est maintenant directement en arrière de leur maison, sur la rue Mandeville. Katrina avait enlevé le toit de la vieille caserne des pompiers désuete et abandonnée. Se portant acquéreurs de cette ruine, ils la rénovent. Elle fait peau neuve. Le couple  y aménage  bureaux et offrent en location les studios à un demi-douzaine d’artistes. S’y loge également le bureau du correspondant du New York Times, celui qui assure, pour le grand journal, la couverture de l’actualité dans les États du Sud.

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Résidence

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Vieille caserne

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Cour interieure communicant  entre résidence et Vieille caserne

Grâce à une salle de spectacle comptant une soixantaine de places, la caserne accueille chaque semaine des événements à caractère culturel. J’ai eu le plaisir d’y assister, dans le cadre du New Orleans Fringe Festival, à la pièce de théâtre Cajun Face, un « two woman show » mettant en vedette Sarah Mikayla Brown et Lian Cheramie . La pièce trace un portrait contemporain de la culture cadienne dans une perspective féministe.

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Cajun Face

Ce n’est pas ici l’endroit où dresser la longue liste de films produits aux Productions Côte blanche. Mentionnons seulement celui présenté au Festival de Cannes en 1986 qui a lancé la carrière de cinéaste de Glen et deux des plus récents. Le premier a renouvelé le cinéma cadien ; le deuxième illustre la diversité des sujets abordés et fait montre de la collaboration des Productions Côte blanche avec leurs homologues français (France) et, bien sûr, de la volonté et de la capacité de la Maison de tourner en français ; le troisième contribue à une meilleure compréhension du terme « créole » et souligne la résilience des Néo-Orléanais à la suite de la tragédie de l’été 2005.

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Belizaire le Cajun (1986)

Il s’agit de l’histoire de Belizaire Breaux, un traiteur villageois, natif du Sud de la Louisiane qui est pris dans un violent conflit entre son peuple et les anglophones fraîchement arrivés dans leur région.

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Cigarettes & nylons (2009)

Trois Françaises mariées à des GI américains en temps de guerre se trouvent dans les « camps de mariées » où une petite trousse contenant, entre autres, cigarettes et bas en nylon, leur est attribuée. Petit échantillon des 6 500 Françaises qui ont connu ce sort. Comment s’adaptent-elles à la pression de «s’américaniser » dans les Camps Chesterfield et Lucky Strike et, une fois rendues aux États-Unis, à leurs nouvelles vies ?

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American Creole (2012)

Genre documentaire, Don Vappie, musicien de jazz et Créole de la Nouvelle-Orléans, réfléchit sur ce que veut dire être Créole. « On n’est pas noir, on n’est pas blanc ! ». « La Nouvelle-Orléans, c’est chez nous, mais qu’est-ce qui en reste ? Est-ce que ça vaut pas la peine de la rebâtir ? » Voilà la question que pose le film. Et the answer is overwhelmingly yes !

L’engagement du couple Pitre/Benoît est exemplaire à cet égard. Leur investissement en sous, sueurs et sang pour que la Nouvelle-Orléans revive nous inspire.