Quand on séjourne en Utah, on ne s’attend pas à voir des missionnaires mormons comme on en voit en grand nombre (85 000) ailleurs dans le monde. Pourtant, il y en a ! C’est insensé se dit-on, tout le monde ici est Mormon. Qui veulent-ils convertir ? Qui peuvent-il convertir ?
Et bien non, cette perception est erronée. Sur les 2,8 millions d’habitants de cet État, seulement 1 700 000 ou 61% partagent la foi des Saints des Derniers Jours et ce pourcentage est constamment à la baisse depuis 50 ans. Cherchent-ils donc à faire de nouvelles adeptes auprès du 39% restant ? Possiblement, mais à Saint George, dans le coin sud-ouest de l’Utah, il existe une stratégie plus subtile qui s’opère, surtout auprès des francophones. Je m’explique.
À l’époque de la Guerre civile aux États-Unis, les Mormons qui avaient choisi en 1847, de s’établir dans la région du Grand Lac Salé, se trouvaient, en raison du conflit qui sévissait dans l’Est, dans l’impossibilité, de s’approvisionner en certaines matières dont le coton. Par conséquent, le prophète Brigham Young a ordonné aux Saints de poursuivre leur poussée vers le sud, fondant en 1861, à 500 km de Salt Lake, la « Cotton Mission ». Dans un autre billet, je vous ai déjà parlé des « racines québécoises » de cette colonie mormone (https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2011/02/09/la-famille-leavitt-des-cantons-de-lest-pionniers-mormo/). C’était un milieu rude, difficile, éprouvant, désertique—un milieu qui a mis à l’épreuve la foi de ces pionniers. Dix ans exactement, après leur arrivée, ils ont néanmoins exercé leur foi en amorçant la construction d’un temple, l’édifice le plus sacré qui puisse exister aux yeux des adeptes du mormonisme. Six ans plus tard, la construction fut achevée. Celui-ci constitue encore aujourd’hui le point de mire de la ville de Saint George et le point de repère le plus important de toute la région. Par sa blancheur et sa hauteur, il est clairement visible aux automobilistes voyageant sur la très achalandée I-15 entre Los Angeles/Las Vegas et Salt Lake City.
Le Centre de visiteurs attenant au temple accueille, bon an mal an, plus de 100 000 visiteurs dont 20 000 Français. Il s’agit du groupe international le plus important. Comment expliquer ce phénomène? C’est que les Français sont de grands voyageurs. Ils achètent un forfait sur le Sud-Ouest américain, atterrissant à Los Angeles. Ils visitent Disneyland, Universal Studios, Hollywood et quoi encore. Une fois la visite de la Cité des anges terminée, les autocars bondés (42 passagers) quittent pour Las Vegas, capitale mondiale de jeux et spectacles. Ensuite, le grand barrage Hoover (Boulder Dam), le Grand Canyon, d’abord le côté sud (South Rim), puis le côté nord (North Rim). Entre les deux, ils arrêtent à la réserve navajo s’approvisionner en joaillerie à l’usage de turquoise. Un autre grand barrage, le Glen Canyon qui a créé à partir de 1962, en amont, l’immense lac Powell, les attend à l’entrée de l’Utah en route vers les parcs nationaux de Zion et de Bryce. Le retour vers Las Vegas, pour une deuxième visite, et Los Angeles pour le vol de retour sur Paris passe obligatoirement par Saint George. D’où l’arrêt au Centre de visiteurs, entre mars et octobre, d’environ 500 autocars remplis de touristes francophones.
Pour les accueillir, faire l’interprétation des lieux et promulguer la foi mormone, des missionnaires francophones sont toujours présents. En 2009, il s’agissait de deux jeunes Québécoises (https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2009/01/22/deux-quebecoises-en-utah-au-service-de-leur-eglise/). Aujourd’hui, les visiteurs de langue française sont reçus par Claude et Josiane Danguy, un couple de Valence, en France, qui se consacrent sans rémunération pendant 18 mois à cette tâche qu’ils déclarent fort agréable et par la jeune et belle Camille Kints, Sainte des Derniers Jours de Tahiti, elle aussi venue passer 18 mois au service de son église.
Qui plus est, pendant les plus récentes rénovations du Centre de visiteurs, les responsables ont innové en faisant une place encore plus grande aux francophones en ce qui a trait à l’affichage. Qui aurait pensé trouver, dans le désert de l’Utah, de l’affichage en français? Pourtant, c’est le cas ici. Placées bien en évidence, à égalité avec l’anglais, dans plusieurs présentoirs, les affichettes explicatives se lisent à la canadienne.
Observation intéressante de la part des Danguy : « En France, essayer de partager notre foi avec nos voisins et concitoyens relève de l’impossible. Ils ne veulent rien savoir. Ici, c’est tout le contraire, ils [les Français) veulent tout savoir…et le plus rapidement possible ».
Évidemment, l’autocar démarre…Vroooooom !