Mexicains à la Société de généalogie de Québec

FullSizeRender-3Le mercredi soir, une fois par mois, de septembre en avril, la Société de généalogie de Québec (http://www.sgq.qc.ca) reçoit un ou une conférencier (ère). Hier soir, au Centre Noël Brulart de Sillery, la cinquantaine de membres de la Société réunis ont eu droit aux deux : conférencier (Carlos Aparacio) et conférencières (Mariela Tardan Trevino) et Ana Laura Mendez Burgoin). Ils étaient accompagnés de la grand-mère de Mariela.

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Ce contingent en provenance de Monterrey nous a entretenus des sociétés et démographies d’un passé francophone dans le Nord-Est du Mexique.

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Dans un premier temps, le professeur Aparicio a pris la parole pour nous mettre dans le contexte d’une Amérique du Nord coloniale qui évoluait au gré des grandes puissances européennes : l’Angleterre, la France et l’Espagne.

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En regardant ses cartes qui illustrent si bien la convergence des francophones, à la fois canadiens et français, autour de Taos et Santa Fe et l’émergence, à l’époque, de routes telles que les pistes de Santa Fe, San Francisco et Chihuahua, le discours de l’Abbé Casgrain, courant au Québec en 1863 et qui nous semble aujourd’hui farfelu, prend tout son sens (voir ci-bas).

Une fois la table mise par leur professeur et les itinéraires historiques, les lieux et les aires d’influence culturelles francophones identifiés, les deux étudiantes ont tour à tour pris la parole afin de raconter l’histoire de leurs familles respectives et de montrer leurs arbres généalogiques.

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En 1880, Charles Tardan, du petit village de Bosdarros, dans les Basses-Pyrénées, près de Pau, débarque à Veracruz. On peut présumer à tort ou à raison, étant donné son lieu origine, qu’il maîtrisait des éléments de base de la langue espagnole en plus de bien parler sa langue maternelle. Il se dirigera rapidement vers Mexico où il se liera d’amitié avec un autre immigrant de France, Francisco Dallet, arrivé possiblement à l’époque où la présence française au Mexique atteignait son apogée, c. 1865, dont le métier est la fabrication de chapeaux. Tardan et Dallet deviennent partenaires, mais progressivement, Tardan prend le dessus et engage dans l’entreprise deux de ses frères. En 1899, la compagnie porte le nom « Tardan Hermanos ». Aujourd’hui, il s’agit encore de la chapellerie peut-être la plus importante du pays (http://tardan.com.mx/). Qui ne voudrait pas porter un sombrero Tardan. Charles Tardan est l’aïeul de Mariela.

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L’arrivée des Bourgoin, devenus Burgoin, remonte plus loin encore. Selon Ana Laura, qui parlait à l’aide d’un interprète, son ancêtre, Domingo Burgoin (Dominique Bourguin ?) aurait déserté un navire français au large de la péninsule de Baja-California, probablement dans la mer de Cortez, près des actuelles villes de La Paz et Los Cabos, car c’est là que demeurent encore aujourd’hui la plupart des Burgoin, se réunissant régulièrement pour festoyer sur les plages au sable blanc.

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De notre point de vue, l’histoire du professeur Carlos Aparacio est fascinante. D’abord, parce que son fils de 14 ans est Québécois. Comment cela ? C’est parce qu’il est né à l’hôpital Saint-Sacrement à la suite du mariage de Carlos et son épouse, elle aussi mexicaine, rencontrée à l’Université Laval dans le cadre des cours de français ! Ensuite, parce que M. Aparicio est devenu un proche collaborateur. Comment cela ? C’est qu’au début de 2017 paraîtra aux Éditions du Septentrion une nouvelle édition de Franco-Amérique.SCAN0286

Ce sera plus qu’une réimpression, mais moins qu’un nouveau livre. Le contenu de ce livre publié en 2007 est mis à jour. De plus, il réserve plein de petites surprises dont ce bijou de Carlos Aparico inspiré de ses recherches sur la présence française et canadienne-française dans son coin de pays :

Les francophones ont joué un rôle important dans la construction historique du Nord-Est mexicain, un héritage encore visible aujourd’hui, notamment sur le plan architectural. Si l’histoire des migrations françaises métropolitaines et l’influence culturelle et politique de la France sont bien connues au Mexique, l’apport des individus et des groupes en provenance de la vallée du Saint-Laurent à l’espace francophone mexicain – et cela dès l’époque de la Nouvelle-France – reste par contre largement inconnu.

L’implication de la France sur les territoires mexicains est ancienne. Vers 1540, le français Marc de Nice faisait partie des expéditions espagnoles en quête des sept mythiques cités d’or de Cibola, dans les environs de la ville de Culiacán (actuel État du Sinaloa), lieu de passage important vers le Nouveau-Mexique. Mais c’est surtout entre 1861 et 1867 – soit lors de l’arrivée des troupes de Napoléon III au Mexique et la Guerre de Sécession aux États-Unis – que la présence française s’accroit. Napoléon III, empereur des Français, souhaite établir un puissant empire latin et catholique au sud des États-Unis. Ce rêve est bien accueilli dans certains milieux cléricaux sur les rives du Saint-Laurent, au point où l’abbé Casgrain envisage même la fin de l’Amérique anglo-saxonne protestante prise en étau par l’inévitable rencontre entre les catholiques du Nord et les catholiques du Sud :

Ici, comme en Europe, et plus vite encore qu’en Europe, le protestantisme se meurt. Fractionné en mille sectes, il tombe en poussière, et va se perdre dans le rationalisme. Bientôt – pour nous servir d’une expression du Comte de Maistre – l’empire du protestantisme, pressé du côté du Golfe Mexicain et du Saint-Laurent, fendra par le milieu; et les enfants de la vérité, accourant du nord et du midi, s’embrasseront sur les rives du Mississippi, où ils établiront pour jamais le règne du catholicisme [sic] (Casgrain, 1864 : 69).

Grâce notamment à l’aide apportée au gouvernement mexicain par les États-Unis, l’intervention française s’est avérée un désastre. Cet échec a provoqué l’effondrement du rêve canadien-français catholique. Vingt ans après ces événements, le gouvernement mexicain recueille des témoignages d’expériences vécues par les gens au moment de l’occupation française. Pour le Nuevo León, les rapports de cette présence dans 11 villages sont compilés un siècle plus tard dans un livre de Meynard Vazquez,  Ecos del Imperio. Des textes des partisans du gouvernement de Benito Juárez parlent des héros de la milice mexicaine et des gens qui ont pris les armes pour lutter contre les « envahisseurs » et les « traitres ». L’intervention française au Mexique aura toutefois permis l’arrivée de civils français au Nuevo León. Ces derniers transmettront un patrimoine culturel visible encore aujourd’hui, tout particulièrement dans les domaines de la danse populaire et de l’art culinaire.

La pénétration française des territoires septentrionaux espagnols se fait également à partir de la vallée du Saint-Laurent. René-Robert Cavelier de La Salle entreprend un grand voyage d’exploration en 1678, voyage qui dure cinq ans et qui le mènera d’abord aux Grands Lacs et ensuite à l’embouchure du Mississippi. C’est ici qu’il prend possession, au nom du roi de France, d’un vaste territoire qui sera connu sous le nom de Louisiane. Il récidive en 1684, en partance de la France, fondant, en compagnie de son équipage de 300 hommes à bord de quatre navires (L’Amable, La Belle, Le Joly et Le Saint-François), la colonie de Fort-Saint-Louis, sur la baie de Matagorda, en territoire texan. Située plus de 500 km à l’ouest de l’embouchure du Mississippi, la colonie fut néanmoins bien positionnée pour empêcher l’expansion territoriale des puissances coloniales rivales, l’Espagne et l’Angleterre. Mais c’était rêver en couleurs ! La Salle et son contingent réduit, ne pouvant s’entendre avec les Karankawa, un peuple autochtone établi le long  du golfe du Mexique, sont partis vers le nord chercher du renfort. En 1687, à 200 km de Fort-Saint-Louis, près de l’actuelle ville texane de Navasota, La Salle est assassiné par ses propres hommes, mettant ainsi fin à cette courte expérience coloniale au Texas (Leprohon, 1984).

Une part non négligeable des francophones du Canada s’étant établis dans la vallée du Mississippi ont poursuivi plus loin leur route atteignant les territoires actuels du Texas et du Nord-Est mexicain. La plupart d’entre eux sont d’anciens trappeurs impliqués dans la traite des fourrures  provenant de la région de Saint-Louis en Haute-Louisiane. On trouve encore aujourd’hui les traces de ces migrations au Nuevo León et au Texas où il est possible de tomber sur des patronymes canadiens tels que Dubois, Bourgoin, Labadie ou Langlois, noms dont la prononciation se fait maintenant en espagnol ou en anglais.

Charles Beaubien est un bel exemple de migration canadienne dans ces vastes contrées. Né à Nicolet en 1800, Beaubien quitte le Séminaire de l’endroit où il a étudié jusqu’en 1821, l’année même de l’indépendance du Mexique et de l’ouverture du principal lien terrestre entre le Missouri et le Nouveau-Mexique, la fameuse piste de Santa Fé. Inspiré par les exploits d’antan de Cavelier de La Salle, Beaubien se rend à Kaskaskia, au cœur des pays des Illinois, pour ensuite se diriger vers la ville néo-mexicaine de Taos en 1823. Trois ans plus tard, en 1826, il ravive une ancienne route commerciale connue sous le nom de piste de Chihuahua qui relie les villes de Sante Fé et de Mexico, ouvrant ainsi la porte à un commerce florissant en plein cœur du Mexique. L’intégration de Charles « Don Carlos » Beaubien (Sabin, 1995 : 29) à l’économie mexicaine lui permet d’ailleurs d’obtenir, dès 1829, la nationalité mexicaine. Il devient maire de Taos en 1834 avant d’être nommé juge au milieu des années 1840. À la même époque, le gouverneur du Mexique, Manuel Armijo, lui concède en copropriété, avec son ami Guadalupe Miranda, une terre de près de 7 000 km2 à quelques dizaines de kilomètres au nord-est de Taos.  À la suite de la conquête de 1846 des territoires néo-mexicains et texans, les actes de propriété seront reconnus par le gouvernement américain (Demers, 2001). Du coup, Beaubien devient alors citoyen étatsunien en plus d’être nommé gouverneur par intérim du nouvel État à une époque où plusieurs francophones reprennent la piste de Santa Fé en vue de gagner la Californie.

L’histoire du gendre de Charles Beaubien n’est pas moins intéressante. Lucien Bonaparte Maxwell est né à Kaskaskia en 1818, il est le fils de l’Irlandais, Hugh Maxwell, et de la fille du coureur du bois, Pierre Ménard. Ayant appris de son grand-père les voies du pays, il est parti vers l’Ouest faisant équipe avec Kit Carson dans la compagnie d’exploration sous les ordres de John C. Frémont. En 1844, à Taos, il se marie avec Luz Beaubien, la fille de Charles. Grâce à cette alliance, Lucien se joindra à une famille notable et deviendra l’un des plus grands propriétaires terriens du Nouveau-Mexique. Sur une plaque commémorative au cimetière Mountain View dans la ville de Cimarron portant son nom il est inscrit : Mountain Man, Scout, Rancher & Farmer (Murphy, 1983).

Ancienne, l’existence du fait français en territoire mexicain diffère selon son origine : il peut, d’une part, provenir directement de la métropole française ou, d’autre part, avoir suivi les pistes commerciales continentales que s’approprient les trappeurs et commerçants canadiens-français et métis du Canada ou de la Louisiane. Toutefois, au-delà des différences d’origine, ces deux réalités s’adaptent au gré des circonstances historiques et des conflits politiques et militaires qui définissent l’espace mexicain au xixe siècle. Ce qui est certain, c’est que la frontière actuelle entre le Mexique et les États-Unis coupe en deux un espace franco qui accueillait jadis des composantes à la fois françaises et canadiennes.

Références

CASGRAIN, Henri-Raymond (dit abbé Casgrain) (1864), Histoire de la Mère Marie de l’Incarnation, première supérieure des Ursulines de la Nouvelle-France, Québec, Desbarats.

DEMERS, Maurice (2001), « Foreigners on the New Mexican Land Grants: A Case Study of the Beaubien-Miranda Land Grant », The Trans-Mississippi West/History 373, Albuquerque, University of New Mexico. (Inédit)

LEPROHON, Pierre (1984), Cavelier de La Salle : Fondateur de la Louisiane, Paris, André Bonne.

MURPHY, Lawrence (1983), Lucien Bonaparte Maxwell : Napoleon of the Southwest, Norman, University of Oklahoma Press

SABIN, Edwin L. (1995), Kit Carson Days, 1809–1868, vol. 1, Lincoln, University of Nebraska Press.

VÁZQUEZ, Meynardo (1994), Ecos del Imperio. Testimonios de la Intervención francesa en pueblos de Nuevo León, Monterrey, Universidad Autónoma de Nuevo León.

 

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