Le lancement l’autre jour d’un livre paru en anglais en 1972 fut pour moi l’occasion de grandes réjouissances. Pas parce que Notre parti est pris m’épatait particulièrement–je ne le connaissais pas–mais parce que l’une de mes anciennes étudiantes, Héloïse Duhaime, en avait assuré la traduction. Ensemble, Héloise et moi avons vécu des moments forts en Franco-Amérique. Je voudrais en raconter deux ici avant de placer un mot au sujet du livre de Malcolm Reid.
À l’automne 1995, Héloïse s’est inscrite au cours Le Québec et l’Amérique française offert par mon collègue Cécyle Trépanier et moi au Département de géographie de l’université Laval. Il s’agissait d’un cours qui comportait une excursion en « milieu minoritaire », là où les francophones constituent une minorité significative de la population. Ce trimestre-là, nos avons opté pour l’Ontario français. C’était avec trépidation que notre petite bande lavalloise a quitté Québec à destination de Sudbury. Voici ce qui, à la suite de l’excursion, fut consigné à mon journal de bord:
De retour en Nouvel-Ontario pour la première fois depuis 1983, nous avons passé la soirée du deuxième référendum québécois sur la question nationale (celui du 30 octobre 1995) dans les locaux des étudiants franco-ontariens de l’université Laurentienne. Que d’émotions [au lancement du livre de Malcolm Reid, Héloïse me rappela la tension palpable de cette soirée-là] ! À quelques exceptions près, les étudiants de l’université Laval, qui avaient déjà voté par anticipation, manifestaient une préférence pour l’option souverainiste soit pour le OUI, tandis que les Franco-Ontariens semblaient unanimement en faveur de l’option fédéraliste, soit pour le NON. Inutile de dire qu’en début de soirée l’inquiétude régnait du côté franco-ontarien. Lorsqu’en fin de soirée, les résultats commençaient à rentrer de Montréal et que la flèche rouge (NON) se rapprochait petit à petit de la flèche bleue (OUI), les sourires revenaient. Et quand le résultat du vote de Westmount, riche ville anglophone, fut affiché (plus de 95% en faveur du NON), les Franco-Ontariens ne pouvaient plus contenir leur joie. Ils rompaient de manière non-équivoque les liens de solidarité historique, culturelle et linguistique entre eux et le Québec et se ralliaient autour du plus grand symbole de la domination anglaise au Québec!
Pour Héloïse et les autres étudiants québécois, c’était une belle leçon…dure à avaler cependant. Dans le contexte canadien, devant les exigences et réalités politiques du moment, la solidarité historique, culturelle et linguistique a ses limites. Se rendant compte de la précarité de leur position au sein d’une fédération canadienne ne pouvant plus compter sur le Québec comme l’une de ses composantes, les communautés franco-canadiennes ne peuvent que souhaiter un Québec le plus fort possible, mais toujours lié par les règles de confédération. Aux yeux de la plupart, leur survie en tant que groupe en dépend!
L’automne suivant (1996), j’ai eu le bonheur d’aider Héloïse à réaliser l’un de ses rêves: visiter la Louisiane. Dans une salle de cours à Pointe de l’Église, en compagnie de Mme Porter, une septuagénaire qui venait à l’école converser en cadien avec les élèves, nous avons eu le plaisir de nous initier aux programmes d’immersion française à la louisianaise.
N’ayant vieilli d’un iota en douze ans, ni l’un ni l’autre, Héloïse et moi, nous trouvions de nouveau ensemble cette semaine à la librairie « Le Vaisseau d’or » pour marquer la publication de Notre parti est pris, traduit deThe Shouting Signpainters, publié en 1972 à New York (Monthly Review Press) et à Toronto (McClelland and Stewart) et pour souligner l’excellent travail de traduction réalisé par Héloïse qui, après avoir étudié à Laval et terminé un baccalauréat en communications à l’université de Sherbrooke, est en voie de terminer sa maîtrise en traductologie à l’université Concordia.
Ce livre de Malcolm Reid que l’historien de Québec, Jean Provencher, qualifie en préface de « oeuvre de passeur » est le reflet d’une époque. Le jeune Canadien anglais d’Ottawa débarque au Québec à la fin des années 1960, brûlant, comme Provencher le dit, d’être en prise directe avec ce que vit le Montréal français. Sans complaisance et toujours avec empathie, Reid arpente la ville, observe les gens, s’interroge… Shouting Signpainters fera le point sur cette expérience en cherchant à interpréter les événements et les personnages et à les faire comprendre à l’autre Solitude. Le livre fut bien reçu au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. Un livre qui a fait son temps? Sûrement pas, car maintenant, richement illustré par l’auteur lui-même (voir les deux exemples ci-après), l’oeuvre du passeur continue, sauf que la passation se fait à la nouvelle génération de Québécois, dont la traductrice, qui n’a pas connu l’époque des « Partipristes ». Terminons par ces paroles de l’auteur de la préface:
Le passeur continue de s’interroger. Mais qu’il sache que si, en son temps, il s’était fait passeur de savoir auprès de ses compatriotes de langue anglaise, il devient maintenant, grâce à cet ouvrage traduit avec doigté par Héloïse Duhaime, passeur de mémoire auprès des jeunes Québécois d’aujourd’hui qui n’ont pas connu cette époque où des gars, des filles, de leur âge espéraient « éveiller les consciences à la révolution »,