Le 4 juin1965, un mariage à Salt Lake City entre Dean Louder et Billie Kase. À ma droite, le garçon d’honneur, Clint Butler, originaire de Hill Spring, petit bled situé sur la lisière d’un piedmont des Montagnes rocheuses, à 100 km au sud-ouest de Lethbridge, en Alberta.
Clint et moi nous étions connus en France, en 1962. L’expérience que nous y avons vécue pendant trente mois a transformé la vie de l’un et de l’autre. Des souvenirs impérissables se créèrent et des liens fraternels se forgèrent. De la situation de frères que nous étions devenus aux années soixante, il ne restait plus grande chose une vingtaine d’années plus tard. Nous nous étions perdu de vue. La rupture semblait complète.
Un certain dimanche matin du mois de juin 2009, à la recherche des traces de mon « frère », je me suis rendu à l’église mormone de Hill Spring à attendre que l’un des fidèles sorte afin de prendre des renseignements sur la famille Butler. On m’apprend qu’il n’y a plus de Butler dans le coin, que Monsieur Asael et Mme Effie sont morts et enterrés à Cardston depuis belle lurette, que l’aîné de la famille pourrait peut-être se trouver au village avoisinant, Glenwood. Quinze minutes plus tard, même scénario. À la porte de l’église de Glenwood, on m’apprend que Lavere n’habite plus ici, qu’à sa retraite il a déménagé à Lethbridge. Par contre, son fils et son petit-fils font encore partie de la paroisse et se trouvent fort probablement à l’intérieur de l’église. Mon interlocuteur ira voir et reviendra quelques minutes plus tard, une jolie jeune dame sur le bras. C’est l’épouse du petit-fils. Bien qu’elle ait entendu parler de ce grand oncle que je cherche, elle n’en sait rien. Grand-papa Lavere saurait, me dit-elle, en m’offrant son numéro de téléphone.
Quelques heures plus tard, un coup de fil chez Lavere s’avère infructueux. Il me renvoie à sa sœur, LaPriel, aussi résidente de Lethbridge qui, avant de retrouver dans un fond de tiroir un ancien numéro de téléphone de leur frère, me suggère de prendre contact avec un autre frère, Sylvan, en Idaho, qui aurait certes des nouvelles du cadet de la famille. J’aurai vite fait le tour de la famille!
Avec le numéro fourni par LaPriel, j’arrive à joindre un répondeur à Fort Wayne, en Indiana, et reconnaît la voix de mon compère d’autrefois. Quelques jours plus tard, alors que je revenais au chalet du Parc provincial Writing-on-Stone, le cellulaire sonne. C’est lui, Clint! Que de bonheur de se retrouver après tant d’années, de découvrir des causes de la rupture et de pouvoir y remédier en se promettant de rester en contact.
Ce travail de détective donna lieu à une découverte retentissante : le Great Canadian Barn Dance. En fait, à tous les soirs de l’été, sauf le dimanche, et à certaines occasions au cours de l’année, à Hill Spring, Lloyd, Larry, Trevor et toute la grande famille Kunkel reçoivent le public à dîner et à danser dans leur grange. À 18h pile, Lloyd prononce la bénédicité et les gens se servent. Au menu: rosbif, poulet, pommes de terre au four, petits pois et carottes, salade au chou, fèves au lard, petit pain…à volonté. L’assiette n’est pas assez grande! À boire : café, thé glacé, limonade, eau…pas de bière, pas de vin. Pendant le repas, Lloyd ou Trevor intervient pour inviter leurs convives à retourner se servir. Après le service à table d’un délicieux dessert aux cerises à crème fouettée, la famille Kunkel, jeunes et moins jeunes, interprètent quelques chansons country. Plusieurs « volontaires » de la salle se joignent aux musiciens pour battre le rythme et faire de la percussion.
Mon assiette
À 19h15, le repas fini, ceux qui le veulent montent au deuxième étage de l’immense grange pour y suivre pendant 45 minutes des leçons de danse. On met l’emphase sur le 2-step et la danse en ligne. À 20h, les nouveaux apprentis et les danseurs expérimentés peuvent mettre à exécution leurs habilités : 2-step, polka, valse, sets carrés, danse en ligne.
Ceux qui n’ont pas le pied dansant peuvent se promener sur le magnifique terrain vallonné ou profiter d’un attelage pour faire le tour du lac en hayride.
Au téléphone, mon vieux copain, Clint, m’avait dit ne pas être retourné dans son patelin depuis le décès de sa mère il y a une quinzaine d’années. Fiouf! Cette campagne bucolique, ce paysage virginal, ces gens chaleureux doivent sûrement lui manquer!