1977, l’année de la naissance de Georgette LeBlanc, je me promenais entre les paroisses de Calcasieu et Cameron, aux confins sud-ouest de la Louisiane. Assoiffé en arrivant à Grand Chenier, petite localité qui domine l’une des nombreuses ceintures boisées et surélevées par rapport au pays plat, vestiges d’anciennes plages aujourd’hui isolées de la mer par des lisières de marais (ou de mèches, comme on dit en français louisianais), où trônent chênes, latanier et cheptel, j’épie, dans un bar, des hommes portant des chapeaux de cow-boy. Évidemment des Texans (ou Texiens en cadien), m’étais-je dit. Mais non, en tendant l’oreille, je m’aperçois qu’ils jasent en français. Des cow-boys cadiens! J’avais mon voyage!
Dans son deuxième recueil de poésie, Amédé, pour lequel le Conseil supérieur de la langue française vient de lui attribuer le prix Émile-Olivier, Georgette LeBlanc, originaire de la Baie Saint-Marie, en Nouvelle-Écosse, par le biais de son personnage, Alma, sujet de son premier recueil, primé en 2007 par les instances acadienne et québécoise (Antonine-Maillet-Acadie Vie/Félix-Leclerc), nous livre une histoire de camaraderie entre deux de ces cow-boys, Amédé et Lejeune, qui s’occupent de leurs troupeaux quelque part dans ce tumultueux univers qui s’étend depuis la Louisiane jusqu’au Grand Texas.
Selon les jurés du prix Émile-Olivier, ce recueil constitue « une véritable célébration de la langue ». Et j’ajouterais « de la langue orale », car il est écrit comme les gens du peuple acadiens et cadiens le parlent. Quelques extraits pour s’en rendre compte :
et c’est du fond de la cale que ça venit
un son comme une pluie
fine
comme une poussière de loin
oreilles creuses dans la mer de la coquille
un braquement
une chaleur
une pesanteur
du sable trempe entre les orteils
et j’étions pus dans le logis
j’étions derrière les rideaux
* * * * *
le Village avait été trop pris par la mort
par les sacs remplis, par la récolte finie
trop pris par la boucane des serpents
pour entendre les gros vents qu’aviont braqué
pour sentir le courant que la vision de Rose
avait fait passer à travers Amédé
* * * * *
Amédé aurait pu dire à cte moment-là
il aurait pu chanter que c’était une grande déchirure
qu’il avait entendu le skirt du ciel se défaire
chaque fibre, chaque point de travail
comme si le corps qui l’avait habitée était rinque venu trop plein
trop plein de vie, trop plein de tout ça qui guette
comme s’il y avait plusse de place dans le ciel
À l’avis de Raoul Boudreau, professeur de littératures à l’Université de Moncton et récipiendaire du prix Maguerite-Maillet, attribué la semaine dernière par la Société nationale de l’Acadie (SNA) et l’Association des professeurs des littératures acadiennes et québécois de l’Atlantique (APLAQA) pour souligner la contribution d’un professeur retraité ou en fin de carrière au développement et à l’étude des littératures acadiennes et francophones d’Amérique, la publication d’Alma, suivi de celle d’Amédé, marque un tournant dans le cheminement de la littérature acadienne, mise en route il y a une cinquantaine d’années par Antonine Maillet.
Robert Viau, fondateur de l’APLAQA et Raoul Boudreau, lauréat, Hôtel Clarendon
Pour pouvoir se consacrer entièrement à sa plume, cette jeune poète, nouvelle mère de famille et figure de proue émergente de la littérature acadienne a renoncé à un poste de professeure à l’université Sainte-Anne (Nouvelle-Écosse). En plus de louanger son grand talent d’écrivaine, il faut évidemment admirer son audace, son courage et sa confiance !