The Acadian Diaspora: une histoire ayant lieu au XVIIIe siècle

 

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C’est sur les rives du lac Témiscouata, à quelques pas du Nouveau-Brunswick, que j’ai achevé ma lecture de The Acadian Diaspora de Christopher Hodson. Tout au long de ma lecture et surtout à la fin, je m’interrogeais sur les raisons pour lesquelles les plus récentes et meilleures synthèses de l’histoire douloureuse des événements entourant et découlant de la déportation de 1755 ont été écrits par des Américains—et en anglais bien sûr. Où peut-on trouver des récits en français aussi complets, stimulants, provocants et agréables de lecture que celui-ci publié en 2012 aux Presses de l’Université d’Oxford et celui de John Mack Faragher, A Great and Noble Scheme : The Tragic Story of the Expulsion of French Acadians from their American Homeland (New York : W.W. Norton, 2005). Va-t-il falloir en attendre la traduction?

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Comment se fait-il qu’un jeune historien, Christopher Hodson, élevé à Logan, en Utah, et professeur aujourd’hui à l’Université Brigham Young, située dans ce même État, s’intéresse suffisamment aux Acadiens pour consacrer dix ans de sa vie à l’étude et à la diffusion de leur pénible saga? Tout comme le candidat à la présidence des États-Unis, Mitt Romney, qui a passé 30 mois en France comme missionnaire mormon (1966-68), Chris a fait la même chose, mais 28 ans plus tard (1994-1996). Une fois de retour chez lui, il a terminé rapidement un baccalauréat et une maîtrise en histoire à l’université Utah State, avant d’entreprendre un doctorat à l’Université Northwestern, institution privée bien réputée à Evanston, en banlieue nord de Chicago, où ses connaissances du français semblaient le destiner à devenir un historien de la France d’avant 1800. Toutefois, sous l’influence d’un historien colonial, il a bifurqué vers les Acadiens, situant leur odyssée dans le contexte de la France et du Monde atlantique au XVIIIe siècle. Le sujet devint sa passion et sa thèse de doctorat le conduisant en France, au Canada et aux Etats-Unis pour consulter divers fonds d’archives. The Acadian Diaspora : an Eighteenth Century History est cette thèse révisée.

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Le thème central du livre—et Hodson l’annonce clairement dès le début—est double : (1) le rôle des Acadiens dans l’élaboration d’empires (britannique et français); (2) le rôle des empires dans la transformation des Acadiens. Le traitement accordé à la déportation (l’expulsion selon l’auteur), à ce que nous connaissons le plus et le mieux, à ce qui a toujours retenu l’attention en raison de sa violence et de sa cruauté, ne constitue même pas quinze pour cent (15%) du livre. Celui-ci explore plutôt la suite des événements : l’arrivée des 7 000 premiers exilés acadiens dans les villes portuaires des colonies anglaises (Boston, New York, Philadelphie, Annapolis, Williamsburg, Charleston et Savannah) où le destin de paria les attendait pour la plupart, le refoulement des déportés vers l’Angleterre et la France où le même sort leur était réservé à Southampton, Boulogne-sur-Mer, Cherbourg, Saint-Malo, Morlaix, Brest, Vannes, Nantes et La Rochelle; l’exploitation des réfugiés acadiens comme objet d’échange dans le grand dessein de l’empire français qui étendait ses tentacules vers la Caraïbe (Saint-Domingue), en Amérique du Sud (Guyane) et même dans les mers du Sud (Îles malouines).

À chacune de ces colonies visées, les Acadiens ont été appelés à assumer un rôle de colon, que ce soit à Môle Saint-Nicolas, à Saint-Domingue, à Cayenne et à Kouru, en Guyane et à Port Saint-Louis, aux Îles malouines, souvent en compagnie d’autres ethnies, en particulier des Allemands. Ce qui fait l’originalité de l’approche de Hodson, c’est que le lecteur entre dans la peau des personnages et des familles acadiens qui sont refoulés vers l’Europe, recrutés pour les lointaines colonies, retournés à la métropole. Les noms nous sont familiers : Doré, Gaudet, Doucet, Cyr, Boudrot, Hébert, Thériot, Benoît… On découvre le rôle de stratège et de négociateur joué par le ministre des affaires étrangères de Louis XV, Étienne-François de Stainville, duc de Choiseul. À maintes reprises Choiseul fera des « choix seuls » qui détermineront la vie ou la mort des centaines d’Acadiens ayant survécu au premier « grand dérangement ». Un autre qui a joué un rôle déterminant, Louis-Antoine Bougainville, aide de camp au marquis de Montcalm, commandant des armées françaises en Amérique du Nord et général vaincu sur les Plaines d’Abraham en september 1759. Responsable de la reddition des forces françaises à Montréal l’année suivante, Bougainville, une fois de retour en France, se mit à songer au monde austral. C’est lui en 1762 qui propose la fondation d’une colonie aux îles Malouines dans le but de faire une percée dans l’hémisphère sud, l’hémisphère nord étant bloqué aux futures incursions françaises. Il persiste dans sa conviction que cette colonie insulaire perdue ans l’Atlantique sud peut être rentable sur les plans économique et géopolitique. Il avait peut-être oublié la présence espagnole à proximité ou sous-estimé des visées britanniques partout. Après une courte visite en 1766, Bougainville quitte pour la dernière fois la colonie qu’il a fondée et entame la circumnavigation du globe qui scellera sa place dans l’histoire.

Non seulement les Acadiens errants devaient-ils participer à l’expansion impériale de la France, mais aussi à son développement interne. Cela s’est manifesté à deux endroits spécifiques bien documentés dans The Acadian Disaspora, l’un Belle-Île-en-Mer et l’autre le Poitou. La première situation devait être faite sur mesure pour les « défricheurs d’eau » qui étaient des Acadiens, eux qui avaient développé et perfectionné en Acadie les techniques pour exploiter les terres gagnées de la mer en construisant des digues ou aboiteaux. Malheureusement pour eux, il n’ont pas été accueilli avec enthousiasme par les premiers résidents bellilois et bretons (gourdiecs). Le projet n’a pas connu le succès escompté. En Poitou, c’était encore pire! Ces deux expériences mettent en évidence et font connaître deux « grands Acadiens de la diaspora » haut en couleur, tous deux les Leblanc : Joseph dit le Maigre (parce qu’il ne l’était pas) et Jean-Jacques, le conspirateur!

S’il est question ici de personnages historiques haut en couleur ressuscités par Christopher Hodson, il faut absolument mentionner Jean-Louis Le Loutre qui paraît en filigrane tout au long du récit. Curé et membre de la résistance en Acadie, il le restera à Belle-Île et en Poitou, après avoir purgé une peine dans une prison britannique à l’île de Jersey. À lui seul, Le Loutre que les Anglais appelaient « the otter » mériterait sa biographie et les honneurs les plus élevés offerts par les Acadiens d’aujourd’hui.

Ce ne sera qu’en 1785 que la France trouverait une « solution satisfaisante » à son « problème acadien ». Soixante-dix pourcent des Acadiens en France quitteront Nantes à bord des bateaux espagnols pour la Louisiane (territoire espagnol). Ces 1 600 personnes qui avaient été ballotés depuis l’Acadie vers la France, puis vers la Caraïbe ou les terres australes, puis vers la France de nouveau se sont fait payer par l’Espagne une dernière traversée transatlantique, jusqu’à la Nouvelle-Orléans, pour se joindre aux mille Acadiens déjà sur place, réunis au cours des années 1760 et 1770 en provenance de l’ancienne Acadie et des villes portuaires le long de l’Atlantique.

Contrairement à ce que laisse entendre l’auteur, le nouveau siècle n’a pas mis terme à la diaspora acadienne. Elle a continué tout au long du XIXe. Une nouvelle Acadie s’est formée, avec ses symboles, ses valeurs et ses rêves, mais ça c’est une autre histoire que les historiens américains n’ont pas encore pensé à nous raconter…en anglais.

Depuis 1994, les Acadiens du monde entier se rassemblent à tous les cinq ans. Le prochain Congrès mondial acadien (CMA) se tiendra en 2014. C’est dans le contexte de ce réveil et de ces célébrations que The Acadian Diaspora prend tout son sens.

4 thoughts on “The Acadian Diaspora: une histoire ayant lieu au XVIIIe siècle

  1. Très intéressant!
    Ça me donne envie de lire ce livre. Il y a des Cyr et des Thériault parmi mes ancêtres.
    l


  2. En effet, Dean, et le pire, c’est qu’une bonne partie de ce qu’ont écrit les Français sur ces événements est très ancien.
    Cela date parfois de la fin XIXe.



  3. Ma belle-mère est Poitevine (née Guillot) et sa famille serait d’origine acadienne. Des Acadiens revenus en France après la déportation.
    On peut d’ailleurs visiter une ferme acadienne de l’époque (aujourd’hui un musée) ainsi que la Ligne Acadienne (longue route droite) près d’Archigny; on y retrouve quelques batiments de l’époque qui n’ont rien a voir avec l’architecture de la région, mais plus au batiments de ferme du Canada du 18è siecle.
    http://www.archigny.net/index.php?item=6
    Merci encore Dean pour cette découverte!


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