Examinons le tableau suivant :
Population de Lake Havasu City
Date Nombre habitants
1er janvier 1964 0
1er juillet 2003 60 000
1er février 2004 110 000
1er juillet 2004 (est.) 60 000
Au Québec, on connaît des villes développées au milieu du siècle dernier, les villes comme Fermont, Gagnon, Schefferville et Arvida, toutes des villes qui ont vu le jour et pris leur essor en fonction de l’exploitation ou de la transformation du minerai—des villes minières ou industrielles.
Lake Havasu City est née en 1964 d’un autre concept et le tableau ci-dessus dit tout. Robert P. McColloch, père, fondateur, et son planificateur en chef, C.V. Wood, fils, ont envisagé la création d’une ville sur les berges du Colorado, transformé pour les fins de la cause en petit lac. Elle serait basée sur l’exploitation du beau temps, du tourisme et de la villégiature.
Une fois le lac en place et une île artificielle de 6 kilomètres de circonférence bien aménagée, il fallait trouver un pont pour relier l’île à la terre ferme. McColloch et Wood en ont trouvé un à vendre à Londres, et pas n’importe lequel, il s’agissait bien du pont de Londres qu’ils ont acheté au prix de 2 400 000$. Pour 4 500 000 $ de plus, ils l’ont fait déménager et reconstruire au lac Havasu. Pour que le pont soit bien à sa place, ils ont aussi fait construire à droite en traversant, un English Village et à gauche, le London Bridge Resort et marina.
Plusieurs lieux de séjour et de vacances, comme le Islander, devant lequel flottent deux drapeaux, et un énorme terrain de camping, le Crazy Horse, comptant un millier emplacements pour véhicules récréatifs, accueillent surtout des gens du troisième âge, rassemblés de partout en Amérique, comme, par exemple, Arthur et Bernadette LeBlanc, de Chéticamp, en Nouvelle-Écosse, venus pour la sixième année de suite, en motorisé remorquant la petite voiture, afin de passer quatre mois sous le soleil du Sud-Ouest. Les LeBlanc, tout heureux de parler français dans
ce milieu hispano-anglais, ont une histoire intéressante. Vers 1967, ils ont quitté l’île-du-Cap-Breton pour que Art trouve du travail à Toronto. Ils y ont passé trente ans de leur vie et y ont élevé leurs deux filles qui habitent aujourd’hui Sudbury. Une fois « retirés » en 1998, comme me l’a expliqué Bernadette, ils sont rentrés de leur exil, mais l’hiver à Margaree Harbour, près de Chéticamp n’est guère plus intéressant qu’à Havre Saint-Pierre. C’est préférable, disent-ils, de s’en éloigner. À mesure que les années passent cependant, ils trouvent la distance entre la Nouvelle-Écosse et l’Arizona de plus en plus grande et il sera question au retour cette année de vendre leur Challenger et ses accessoires.
Possédant une réserve de l’autre côté du lac, en Californie, les Chemeheuvi (première nation) ont appris à tirer profit de la nouvelle ville, surtout l’hiver, quand sa population double. Un bateau,Le Dreamcatcher ,part du quai du « village anglais » à toutes heures, transportant gratuitement des joueurs et joueuses au casino de Havasu Landing, chez les Chemeheuvi.
Contrairement à Fermont, Schefferville, Gagnon et, qui sait, peut-être même Arvida, Lake Havasu City ne sera jamais « fermée ». Non, tout au contraire, d’autres rêveurs, comme McColloch, conçoivent de nouvelles villes similaires qui s’implanteront, dans les années à venir, en amont et en aval de celle-ci. Ce qui fait son charme—et ce voyageur l’a trouvée charmante—est la vulgarité et l’absurdité. Le mélange de cultures, de paysages, de climats qui n’ont rien à voir les uns avec les autres frise le ridicule. Il existe ici une hybridité à faire rêver le plus ardent des post-modernistes. Par contre, le charme est également attribuable à des valeurs plus traditionnelles véhiculées par des gens détendus, heureux, loquaces.