Canada, un drôle de titre pour un excellent roman

Le 7 novembre dernier, écrivant dans Le Devoir, Gilles Archambault se réjouissait du choix du romancier américain, Richard Ford, comme récipiendaire du prix Femina étranger pour son roman Canada. Préférant ne pas lire en traduction (Éditions de l’Olivier en France et chez Boréal au Québec), j’ai attendu mon arrivée aux États-Unis le 12 décembre pour m’offrir ce livre en cadeau de Noël, d’autant plus que je voulais le lire dans son contexte, le coin sud-ouest de l’Utah n’étant pas si différent, à bien des égards, des vastitudes vides du Montana et de la Saskatchewan où l’action du roman se situe. Premier attrait de ce livre en ce qui me concerne, c’est que l’histoire se déroule en 1960, l’année de mes 16 ans, à seulement 900 km de chez moi, et que le protagoniste principal et sa sœur jumelle, Dell et Berner Parsons, enfants d’un couple dysfonctionnel habitant Great Falls, dans le Montana, ont 15 ans. Deuxième attrait pour moi, c’est que le roman raconte une expérience immigrante qui pourrait, à prime à abord, ressembler à la mienne, celle d’un Américain choisissant de poursuivre sa vie au Canada.

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En bref, Canada raconte une tragédie familiale. Pour renflouer leurs finances familiales déclinantes, Bev Parsons, appuyé de son épouse, Neeva, décide d’aller dans un minuscule village du Dakota du Nord braquer une banque. Le couple finira ses jours en prison où Neeva, après avoir laissé un journal personnel de ses échecs, mettra fin à sa vie. L’on n’entendra plus parler du père. Ne voulant pas que ses enfants soient livrés à eux-mêmes, Neeva, avant d’être incarcérée, s’entend avec une connaissance, Mildred Remlinger, de faire en sorte que les enfants soient conduits de l’autre coté de la frontière, en Saskatchewan, où ils seraient pris en charge par un mystérieux exilé américain, Arthur Remlinger, frère de l’autre. Berner, fille indépendante, têtue et brave, prend la clé des champs. Elle rêve de San Francisco. C’est l’époque de « peace and love ». Dell, timide, studieux et surtout obéissant, suit la volonté de sa mère. Les jumeaux ne reverront plus jamais leurs parents.

Le récit suivra la vie de Dell qui devra s’adapter à son nouveau pays dont il ne sait rien. Le processus n’est pas facile. Les gens portent en eux des valeurs différentes. La ruralité de la Saskatchewan est envahissante, le climat est changeant et rude. Dell vit presque en otage! Comme Archambault le dit dans son article : il s’agit à la fois d’un récit initiatique convaincant et d’une chronique d’un pays, les États-Unis, aux prises avec la violence.

Bien que son tuteur attitré soit Arthur Remlinger, c’est le Métis, Charley Quarters, qui s’occupe de lui, qui dirige ses premiers pas, qui lui révèle les secrets de son nouveau pays, qui lui parle du drame de son peuple et de Louis Riel. Et c’est la copine de Remlinger, Flo La Blanc [oui, La Blanc, au lieu de Le Blanc], dont l’origine n’est jamais précisée, qui viendra à sa rescousse et réorientera sa vie au Canada par l’envoi du jeune chez son frère à Winnipeg. Celui-ci l’inscrira dans une bonne école catholique de l’endroit.

Dell Parsons se posera souvent la question « retourne-je aux States, oui ou non », mais en fin de compte il ne vivra plus aux États-Unis. Il se contentera de l’observer de Windsor où, en tant que professeur d’université, il enseignera pendant une trentaine d’années à ses étudiants de se projeter en dehors d’eux-mêmes et de regarder plus loin que le bout de leur nez. Reverra-t-il sa sœur? Qu’est devenue cette « hippie », cette sœur aux tâches de rousseur, plus vielle que lui de six minutes, qu’il aimait tant? Ce n’est qu’à la toute fin du livre, dans deux chapitres extrêmement touchants que nous le découvrons. Deux parcours si différents l’un de l’autre. Deux destins divergents. Deux pays qui se ressemblent…oui, mais avec de grosses nuances.

Tout au long de ma lecture, je cherchais dans ma tête un autre titre pour ce livre, car Canada n’évoque en rien la réflexion philosophique et existentielle qui sous-tend le récit et ne reflète que très partiellement son contenu. La beauté de ce roman, selon Archambault, oppose sans concession la naïveté et la résignation contenue d’un adolescent à la brutalité du monde. Bien d’accord avec lui, mais l’adolescent grandit, il devient homme et à la fin du récit, en tant que septuagénaire, rend un bilan sur des questions graves de la vie, du bonheur, de la solitude et de la survie.