Aurais-je pu choisir un moment plus difficile pour reprendre la route ? Le choix a été dicté en grande partie par le calendrier chrétien, car je tenais absolument à être en Louisiane pour mardi gras qui arrive tôt cette année (8 février). Oui, la Louisiane! C’est un retour dans ce pays que j’ai commencé à fréquenter en 1969 à titre de touriste. J’y ai vécu en tant que chercheur en 1977 et 1978. Faisant partie d’une équipe de recherche canadienne bénéficiant d’un octroi de la Fondation Ford, j’étudiais, avec mes collègues, le renouveau ethnique et linguistique qui semblait s’y enclencher. Pour le faire, nous avons parcouru dans tous les sens la partie méridionale de cet État américain qui fascine tant le monde francophone. Nous y avons enregistré sur cassettes des entretiens chez des centaines de Cadiens et Créoles qui subissaient avec politesse, patience et enthousiasme nos interrogations. Les quelques 600 cassettes que nous avons rapportées du terrain constituaient—et constituent encore de nos jours—le meilleur échantillon du français parlé en Louisiane à cette époque-là—époque révolue, car malgré les efforts soutenus du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) et en dépit de nombreux appuis des pays de la Francophonie, le nombre de locuteurs du français continuent à diminuer. En 2005, plus d’un quart de siècle plus tard, il était temps que je rapatrie la partie de ce patrimoine louisianais qui avaient, toutes ces années durant, demeuré en ma possession.
Partant de Québec par temps très froid (-26 C.), je croyais que les choses ne pourraient aller qu’en s’améliorant. Erreur! À la frontière, le douanier, après avoir étudié la lettre qui m’a été fournie par le directeur du Centre d’éco-tourisme autorisant le dépôt de mes « documents » dans ses archives à l’université de la Louisiane-Lafayette, et effectué une légère fouille, me demande si je suis au courant de la tempête qui sévira bientôt sur le territoire que je devrai bientôt traverser. En écoutant la radio des postes du Maine, du New-Hampshire et du Massachusetts, je le deviendrais. Les prophètes de malheur en ondes prédisent la « tempête du siècle ». Je me dis que le siècle est très jeune. Il n’a que cinq ans. Donc, histoire courte, tempête petite, surtout pour quelqu’un de Québec habitué aux intempéries de l’hiver.
Mais hélas, près de Hartford, au Connecticut, il devenait de plus en plus évident que poursuivre mon chemin
comporterait des risques importants. Emprunter par mauvais temps le pont Tappan See et, ensuite, le
Garden State Parkway dans le but de traverser la grande région de NewYork s’annonçait particulièrement périlleux. J’ai pris refuge au Motel 6 de Southington, situé à la sortie 32 de la très passante I-84. Je n’étais pas le seul. Un brave homme remorquant un U-Haul a eu la même idée. Et plusieurs autres ont suivi notre exemple, stationnant leurs voitures près de ma Safari condo.
Au lendemain matin, j’ai reçu un message de l’un de mes fils sur lequel je peux toujours compter pour donner de bons conseils :
Salut Ppa!
Ne bouge surtout pas de cet hotel tant que ce n’est pas sécuritaire. Tu devrais prendre la journée de demain pour écouter du bon football et relaxer
Et c’est exactement ce que j’ai fait. Otage de la « tempête du siècle », j’ai regardé à la télévision la victoire des Aigles de Philadelphie sur les Faucons d’Atlanta et des Patriotes de la Nouvelle-Angleterre sur les Forgerons de Pittsburgh.