À l’âge de 19 ans, j’habitais la région parisienne. Mon adresse : 202, rue de la Jarry, Vincennes (Seine). Depuis, la présence d’une ville du nom de Vincennes en sol américain m’a toujours fasciné. Aujourd’hui, j’ai enfin visité cette ville de 19 000 habitants, découvrant qu’elle est jumelée avec cette autre Vincennes de ma jeunesse. J’ai profité de mon passage pour m’initier à son histoire.
En 1732, afin de protéger les intérêts de la France à l’ouest des Appalaches, un petit groupe de Canadiens sous la direction de François-Marie Bissot, sieur de Vincennes (1700-1736), a construit un fort sur les rives de la Wabash.
Quatre ans plus tard, Bissot est brûlé vif au Tennessee par les Chickasaws. Quelques centaines de Canadiens continuèrent de vivre à cet endroit qui portait son nom, ainsi qu’à d’autres forts plus à l’ouest, au pays des Illinois, notamment à Kaskaskia et à Cahokia, situés sur la rive est du Mississippi, en face de Saint-Louis. Évidemment, après la Conquête et le Traité de Paris, ils se trouvaient, du jour au lendemain, des sujets britanniques.
Pour subvenir aux besoins spirituels de ces Canadiens parsemés à travers un vaste territoire s’étendant depuis les Appalaches jusqu’au grand fleuve et des Grands lacs jusqu’au Golfe du Mexique, l’Église a envoyé le père Pierre Gibault, né à Montréal en 1737. Ayant travaillé brièvement dans le commerce des fourrures avant d’être ordonné à l’âge de 31 ans, Gibault se trouvait donc bien dans sa peau à Kaskaskia, à partir de laquelle il pouvait voyager à pied, à cheval ou en canot, sur des centaines de kilomètres à la ronde, afin de rendre visite aux ouailles.
En 1775, le début de la Révolution américaine vint modifier le contexte politique et social. Les Britanniques cherchaient à consolider leurs acquis devant l’arrivée massive d’Américains en provenance de Virginie et du Kentucky qui épousaient la cause de l’indépendance des colonies anglaises. Quant aux francophones dont l’hégémonie s’est estompée sur les Plaines d’Abraham, ils étaient susceptibles d’être gagnés à la cause américaine. Connaissant le père Gibault à Kaskaskia, le Commandant américain dans l’Ouest, George Rogers Clark, vénéré aujourd’hui à Vincennes par la construction d’un monument gigantesque portant son nom, lui a demandé d’être son
émissaire auprès de ses concitoyens français à Vincennes. Traversant d’un bord à l’autre ce qui est aujourd’hui l’État de l’Illinois, un voyage de 300 Km, Gibault n’a eu aucune difficulté à rallier les Canadiens de Vincennes à la cause de la nouvelle république en formation. De nos jours, une dizaine de pierres tombales portant des noms suivants témoignent des nombreux Français de Vincennes qui ont servi sous le drapeau américain, contribuant ainsi à l’édification de la nouvelle république et à son expansion vers l’Ouest : Joseph Dubois, Pierre Grimard, Louis Victor Edeline, Michel Brouillette, Jean-Marie Philippe Le Gras, François Busseron, Nicholas Cardinal, Pierre Levry dit Martin, François Pelletier et André Languedoc.
Le révérend Jean-François Rivet n’a pas porté d’armes contre les Anglais, mais a contribué, à sa façon, au développement de Vincennes. Prêtre et éducateur d’origine martiniquaise, il fut le premier recteur de l’Académie Jefferson qui deviendrait plus tard l’université Vincennes.
En me rendant à Vincennes, j’ai trouvé au Parc historique George Rogers Clark de nombreux vestiges du patrimoine français, y compris la vieille cathédrale Saint-François Xavier. Malheureusement, très peu d’effort n’est fait pour les mettre en valeur ni pour les interpréter. Non, Vincennes sert avant tout à l’interprétation de la Guerre de l’Indépendance américaine et à la gloire de la République de l’Oncle Sam.