Peut-on se lasser de traverser le fleuve entre Québec et Lévis ?
Je ne le crois pas. Moi, je cherche les occasions, la plus récente se présentant jeudi dernier, le premier jour du mois de septembre quand je répondais à la convocation de notre petit groupe d’« écriveux », les Scribouillards, qui se réunissent régulièrement pour faire marcher nos imaginations, écrire ce qui nous vient à l’esprit, découvrir des recoins de Québec et sa région et tisser les liens d’amitié. Que de bonheur ! Et cette fois-ci, la destination : la maison natale de Louis Fréchette située à trente mètres de la piste cyclable de la Rive sud dans le quartier de Lévis que l’on appelait autrefois Saint-David (4385, rue Saint-Laurent).
Maison Louis-Fréchette
Pas besoin, ici, d’aller dans le détail sur la vie de Louis Fréchette. Suffit de dire qu’il est né le 16 novembre 1839 à Saint-Joseph-de-la-Pointe de Lévy, dans la foulée de la rébellion des patriotes. En fait, c’est cette année-là que Lord Durham avait rapporté que les Bas-Canadiens constituaient un peuple sans histoire et sans littérature. Avant de mourir le 31 mai 1908 à Montréal, Fréchette lui rend la monnaie de sa pièce devenant poète, dramaturge, écrivain et homme politique. Il a marqué son époque et la littérature canadienne-française en émergence.
À la suite de la visite de la maison Louis-Fréchette, j’ai livré ma réflexion à mes amis scribouillards de la manière suivante :
Deux Louis
C’est avec joie que j’ai reçu le courriel de Marie nous annonçant que Louis Fréchette était autre chose qu’une salle au Grand Théâtre. Notre atelier de cette semaine serait une occasion en or pour moi de découvrir ce pionnier de la littérature québécoise dont je connaissais si peu. Merci Marie !
En faisant le tour de sa maison, plusieurs pensées m’ont traversé l’esprit. Mentionnons en deux. D’abord, la vie de cet homme fut le résultat d’un tas de choix personnels : où habiter, quelle profession suivre, travailler pour l’argent ou travailler pour le plaisir et la satisfaction, chercher la gloire ou rester humble, s’affirmer ou s’abaisser ? Sa vie reflète également les choix de société, ceux des Québécois du 19e siècle. S’avouer vaincus devant le désastre de 1837-38 et se soumettre aux diktats du Lord Durham, continuer à vivre sous le joug du clergé ou trouver une porte de sortie sans offenser Dieu, chercher à collaborer avec les autorités ou inventer des moyens pour les contrarier, rester dans les lieux sûrs au pays où tenter sa chance ailleurs dans l’inconnu ou le moins connu ?
N’est-ce pas les mêmes choix auxquels Maria Chapdelaine fit face : rester au pays et épouser Eutrope Gagnon, vivre la grande aventure des Sauvages accompagnée de François Paradis, quitter Péribonka et fuir vers les États-Unis avec Lorenzo Surprenant qui lui offrait mer et monde—au moins une ville avec trottoirs pour marcher et vitrines pour musarder.
Et là, je me suis imaginé un conte…disons une rencontre à Paris en 1880. Le lauréat, Louis Fréchette, sort de son bref entretien avec son héros, Victor Hugo. L’attend dans la rue un jeune garçon de 10 ans du nom de Louis Hémon.
-Parlez-moi du Canada, dit le gamin.
-Que veux-tu savoir, réplique Fréchette.
-Tout, rejoint petit Louis.
Les deux Louis se rendent au Jardin de Luxembourg s’asseoir sur un banc devant l’un des étangs où des enfants poussent leurs voiliers miniatures. Grand Louis dévoile à Petit Louis les secrets de ces quelques arpents de neige dont il est issu et qu’il aime. Il lui explique cette relation difficile entre les deux nations qu’on appelle depuis 13 ans le Canada. Il lui explique que ce nouveau Canada a usurpé le nom de l’ancien. Il sème dans le cœur et dans la tête de Louis Hémon ce désir et scelle son destin de passer outre-Atlantique et de s’installer le temps de deux saisons dans le Québec profond. Un jour, se dit petit Louis, j’écrirai le premier classique de la littérature canadienne-française.
Louis Fréchette ne reverra plus Louis Hémon. Il meurt en 1908, trois ans avant l’arrivée au Lac-Saint-Jean de l’autre. Il n’aura pas l’occasion de lire le grand classique, de savourer et de critiquer les propos de ce Français qui, après avoir apprivoisé le Québec et les Québécois, partira vers l’Ouest pour essayer de cerner et de comprendre cet autre Canada. Il n’arrivera pas à bout de son rêve, car, à Chapleau, dans le nord de l’Ontario, il sera happé par un train et mourra sur le champ.
La deuxième étincelle qui m’a allumé lors de cette visite chez Louis Fréchette est l’extrait tiré de Mémoires intimes qui a lancé cet exercice d’écriture : en apprenant le désir de son fils de devenir poète, le père de Louis le prévient de « se résigner à mourir à l’hôpital ». N’est-ce pas ce qui est arrivé à l’autre grand poète québécois de la génération suivante. Émile Nelligan n’est-il pas mort à l’« hôpital » ? Le père de Louis Fréchette, Louis-Marthe, tout comme David, ce père irlandais d’Émile, était réfractaire à l’idée que son fils devienne poète.
Qu’y a-t-il chez les poètes qui déclenche ce genre de dédain et de mépris ?