Revivre l’histoire au Fort Edmonton Park

Grande comme Québec et capitale politique comme Québec, Edmonton fut fondée en tant que fort en 1795 par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Elle devint un centre marchand de fourrure locale et point d’arrêt pour ceux et celles qui s’établissaient au centre et au nord de ce qui deviendrait l’Alberta. Puisque le gouvernement fédéral offrait à bas prix, au tournant du siècle dernier, des terres aux colons, la région autour de Fort Edmonton connut une croissance relativement rapide. Érigée en ville en 1892 avec 700 habitants, elle en comptait 9 000 treize an plus tard lorsque le statut de capitale provinciale lui fut attribué.

Aujourd’hui, au Fort Edmonton Park, sur les rives de la Nord-Saskatchewan, là où le fort original se trouvait, on peut revivre cette histoire et c’est cela que j’ai fait en cette journée de la culture, accompagné de mon collègue et ami, Jean Morisset.

Le plan du site révèle quatre espaces correspondant à quatre périodes de l’histoire d’Edmonton :

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1.     Le fort reconstitué tel qu’il était à l’apogée de la traite des fourrures ;

2.     La rue 1885 qui célèbre la nouvelle Dominion du Canada avec des maisons, des commerces et l’ambiance d’une petite ville de la frontière ;

3.     La rue 1905 qui met en évidence la formation de la nouvelle province et le choix d’Edmonton comme capitale et qui reflète les merveilles d’un nouvel âge ;

4.     La rue 1920 qui interprète le développement d’Edmonton comme métropole de l’Ouest canadien.

Étant donné le grand nombre (83) d’édifices historiques reconstitués et aménagés sur ce vaste site, ne seront présentées ici que quelques images afin de donner une idée juste de ce lieu de pédagogie et de plaisir.

Les débuts

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Le fort (extérieur).

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Le fort (intérieur).

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Campement d’autochtones et de Métis à l’extérieur du Fort Edmonton.

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Jean Morisset en grande conversation avec la Métisse, Jocelyne Pambrun que j’ai eu le bonheur de retrouver ici après avoir fait sa connaissance en juillet au Dakota du Nord.

La période 1885

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Jean Morisset en grande conversation avec un « homesteader ».

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Deux jolies « homesteaders ».

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Quincaillerie des frères Ross et Échange de fourrures.

La période 1905

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Jean Morisset en grande conversation avec des occupants de « Tent City ». En attendant la construction de leurs maisons, les bourgeois devaient se contenter de « maisons » en toile !

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Banque de Montréal.

La période 1920

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Hôtel Selkirk.

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Tramways sillonnant la ville, l’un sur le modèle torontois, l’autre sur le modèle edmontonien.

Fait inusité, dans la rue 1885, à la boulangerie Lauder, j’ai eu le plaisir de lire un message me concernant écrit en craie sur un tableau noir! À mon grand désarroi, la personne avait mal épelé mon nom !

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En observant des touristes par milliers, en mal de divertissement, se ruer depuis plus de 30 ans sur la monstruosité qui est le West Edmonton Mall—plus grand centre commercial au monde, dit-on—je criais souvent au désespoir ! Aujourd’hui, il existe en plein cœur de la ville une admirable alternative !


L’« impensable » colloque du CEFCO

Le Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest (CEFC0) existe depuis 1978. Ayant son siège social au Collège universitaire de Saint-Boniface (CUSB), il a comme objectif général la promotion de la recherche sur la vie française dans l’Ouest canadien, et cela dans les domaines suivants : histoire, littérature, folklore, musique, architecture, peinture, chant, linguistique, éducation, sociologie, politique et communications. En plus de promouvoir la recherche, le CEFCO a deux objectifs spécifiques : la documentation et la publication. La documentation est conservée aux archives du CUSB où le public universitaire et la population en général y ont accès. La publication se fait surtout par le biais des Cahiers franco-canadiens de l’Ouest qui publient, entre autres, les actes d’un colloque tenu bi annuellement à différents endroits dans les provinces de l’Ouest. Les 24 et 25 septembre derniers, celui-ci eut lieu au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta sous le thème « ‘Impenser’ la francophonie ».

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Pour amorcer en grande pompe le colloque, les organisateurs ont fait venir de la Sorbonne le professeur Jean-Michel Lacroix qui devait, selon le titre de son allocution, évoquer les enjeux de la francophonie. En fait, il s’agissait davantage d’un bilan de la situation de la francophonie à diverses échelles, statistiques à l’appui, en commençant par le global et en terminant par le local. Entre les deux, l’érudit a porté un regard peu critique sur le Canada et l’Alberta.

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Puisque la notion d’« impenser » échappe au commun des mortels, aussi savants soient-ils, les participants ont eu droit, au début du colloque, à une allocution de 60 minutes par celui qui semble l’avoir élaborée dans un article paru en 2003 dans la revue Francophonies d’Amérique. Personnellement, après avoir écouté attentivement la communication prononcée par Mourad Ali-Khodja, sociologue à l’université de Moncton, intitulée « Entre contraintes et émancipation : les enjeux et les défis des savoirs en milieu minoritaires », je n’en savais pas plus.

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C’est grâce à Pierre-Yves Mocquais, professeur de littérature à l’université de Calgary, qui, le lendemain, lors de sa propre communication intitulée « Discours francophones minoritaires dans les Prairies : entre mémoire et utopie », au cours de laquelle il a résumé en trois minutes, en début de présentation, le propos du professeur Ali-Khoda, que les esprits moins vifs, comme moi, ont commencé à piger !

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Une table ronde d’envergure et le lancement d’un petit livre assez inusité sont venus ponctuer la monotonie des séances de communications qui se suivent les unes après les autres, interminablement, lors des colloques scientifiques. Dans le premier cas, cinq écrivains de l’Ouest, sous la houlette du romancier franco-manitobain bien connu, Roger Léveillé ont prêté leur concours pour « impenser ». Il s’agissait de Laurier Gareau de Saskatchewan (auteur/traducteur), de Marc Prescott du Manitoba (dramaturge), de Barthélemy Bolivar du Manitoba (poète), de Lise Gaboury-Diallo du Manitoba (poète, écrivaine) et de Paulette Dubé d’Alberta (romancière). Les échanges animés, éclairants et parfois hilarants marquèrent l’occasion. À titre d’exemples:

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Pourquoi une auteure de langue maternelle française choisit-elle d’écrire en anglais ? « D’abord », selon Paulette Dubé, « parce que c’est plus facile ! » Ensuite, « c’est un ‘cadeau ’ que l’on peut offrir aux Anglo pour les aider à nous connaître mieux ». Comment se fait-il qu’un dramaturge francophone ait trouvé son inspiration en lisant Shakespeare et Longfellow et d’autres grands artisans de la littérature anglaise et américaine et non—ou si peu—chez les auteurs de langue française ? Prescott fournit la réponse : « pour moi, les cours d’anglais au Secondaire étaient extraordinaires, inspirants, passionnants on lisait de grandes œuvres ; les cours de français, par contre, c’était la grammaire et la syntaxe ! »

Laurier Gareau a traduit la pièce de théâtre conçue par Ken Brown et Daniel Cournoyer qui rend accessible aux francophones d’ailleurs la culture de l’Ouest profond. Dans Cow-boy Poétré, interprétée ici par quatre jeunes Franco-Albertains, on découvre ce qui suit :

Un triangle amoureux entre une belle chanteuse countryet deux bull-riders—l’un Franco-Albertain et l’autre Québécois… La pièce met l’accent sur une réalité en évolution et dessine une cartographie fort éloquente de la diaspora francophone nord-américaine.

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Ce qui est encourageant à ces colloques, c’est de constater la présence d’une relève en études franco. Le jeune Français, Émmanuel Michaux qui prépare un doctorat à l’université Laval sur les Métis francophones du Canada, a montré des cartes inédites de cette population méconnue. Nicole Nolette, originaire de Falher (AB) et doctorante en littérature à l’université McGill, a été encensée par les littéraires plus âgés dans la salle lors de sa communication portant sur les œuvres de deux Tremblay, Joé de Saskatachewan (Elephant Wake), et Larry de Chicoutimi (The Dragonfly of Chicoutimi). Éva Lemaire, Française habitant Edmonton, innove dans le développement de nouvelles méthodologies pour explorer l’identité franco-albertaine. Jimmy Thibeault, pur produit du système universitaire francophone hors Québec (maîtrise au campus Saint-Jean, doctorat à l’université d’Ottawa, post doctorat à l’université de Moncton) s’annonce comme futur chef de file dans le domaine de la littérature franco-canadienne. La liste des membres de la relève est longue !

Enfin, l’« impensable » s’est produit au lendemain du colloque. Les participants avaient été conviés à une excursion d’une journée à Jasper avec départ à 6h30 et retour prévu pour 23h. Pas surprenant que l’excursion se soit avérée un échec! Personne ou presque n’a voulu y aller. Il est « impensable » qu’à la place des lointaines montagnes Rocheuses, la possibilité de réaliser l’une ou l’autre des trois excursions suivantes dans les environs d’Edmonton en ce dimanche matin n’ait pas été envisagée : (1) Messe à la paroisse Saint-Joachim au centre-ville d’Edmonton, suivie d’une balade à Beaumont ; (2) Journée de la culture au Parc du Fort Edmonton où l’histoire de la région depuis ses origines franco/métisse/indienne jusqu’aux années 1930 est interprétée ; (3) Exploration des antécédents franco de l’axe géographique Saint-Albert/Morinville/Legal.


« Bilinguisme officiel » à Beaumont, AB

Attirés à Beaumont par les informations diffusées par le père Jean-Baptise Morin (1852-1911), né à Saint-Paul, près de Joliette, au Québec, agent de la colonisation dans le Nord-Ouest, les premières familles canadiennes-françaises arrivèrent en 1892. En 1894, à la demande de Monseigneur Vital Grandin, le père Albert Lacombe acheta, pour la somme de 50$, dix acres de terrain pour la construction d’une église. La paroisse fut nommée Saint-Vital en l’honneur de l’Évêque. Le 30 juin 1895, la première messe y était célébrée. Par la suite, la communauté, située à une vingtaine de km au sud-est d’Edmonton, prit le nom de Beaumont.

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Aujourd’hui, Beaumont est l’une des trois localités en Alberta ayant officiellement acquis le statut de municipalité bilingue, les deux autres étant Legal et Bonnyville. La belle église centenaire surplombe les environs qui manifestent encore un certain cachet français, mais où les résidents parlent de moins en moins cette langue. Le développement résidentiel est rapide et dense. Les nouveaux lotissements respectent les origines du village portant, par exemple, les noms tels que « Place Chaleureuse » et « Beauval ».

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Fait à noter, les deux candidats aux prochaines élections, MM. Bérubé (sans accents) et Poitras, sont de toute évidence d’ascendance canadienne-français, mais n’utilisent pas le français pour attirer des électeurs.

En arrière de l’église, le cimetière est divisé en deux parties, très différente l’une de l’autre. Dans le secteur le plus vieux, les pierres tombales sont monumentales. Les inscriptions nécrologiques sont, dans la vaste majorité des cas, en français, tandis que dans le nouveau secteur, les pierres, toutes au ras du sol, n’informent que par l’utilisation de la langue anglaise.


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La dénomination des commerces est un méli-mélo. Certains, comme la clinique dentaire et la garderie projettent une image fidèle au statut de « municipalité officiellement bilingue ». D’autres—la majorité, comme le salon de barbier—s’affichent uniquement en anglais.

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Les livres savants sur la francophonie canadienne se multiplient

Chez Septentrion, Territoires francophones : études géographique sur la vitalité des communautés francophones du Canada, réalisé sous la direction du géographe, Anne Gilbert, vient de paraître—un autre gros livre de plus de 400 pages consacré à la francophonie canadienne. Bientôt, je livrerai mon opinion à son sujet.

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Ce qui suit est une recension d’un autre livre du genre publié en 2008 chez Fides, rédigée par moi-même, et parue dans les Cahiers de géographie du Québec, 53:150, 2009, pp. 470-472.

THÉRIAULT, Joseph-Yvon, GILBERT, Anne et CARDINAL, Linda (dir.)

L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations

Il y a un quart de siècle, en publiant Du continent perdu à l’archipel retrouvé: le Québec et l‘Amérique française, nous nous sentions bien seuls. Des collègues chercheurs nous mettaient en garde contre les écueils sur lesquels échoueraient nos carrières en battant un cheval mort! « L’Amérique française ? C’est fini cette histoire-là », chuchotaient les uns. « Mettez-vous à la fine pointe des recherches en études canadiennes et québécoises », marmonnaient les autres. Pourtant, nous avons persévéré et croyons avoir pavé la voie vers un nouveau champ d’études valable, contribuant à l’émergence d’un réseau de recherche original, celui de la recherche en francophonie canadienne, centré partiellement, mais pas exclusivement sur le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) à l’Université d’Ottawa et l’Institut canadien de recherche sur les langues officielles (ICMRL) à l’Université de Moncton. D’ailleurs, ce sont ces deux institutions du haut savoir en francophonie canadienne, avec l’appui du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, qui se sont concertés pour assurer la parution de L’Espace francophone en milieu minoritaire au Canada.


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Le sous-titre de cette brique de 562 pages, contenant 13 articles, écrits par 19 auteurs, séparés en trois sections (Populations, communautés et représentations de soi; Institutions, espaces et mobilisations; Politique, droit et autonomie) exprime bien son objectif : faire le point sur les enjeux et les mobilisations des minorités francophones du Canada depuis la parution dix ans plus tôt (1999) d’un autre ouvrage d’envergure, Francophonies minoritaires au Canada : état des lieux.

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Mis en parallèle, les titres de ces deux anthologies pourraient faire croire que les enjeux et les mobilisations consécutifs à l’adoption en 1982 de la Charte canadienne des droits et libertés ont transformé la réalité franco-canadienne. Des lieux—francophonies au pluriel—on serait passé à un espace—francophonie au singulier. Or, tel est loin d’être le cas. La plupart des textes ici en témoignent et les déplacements sur le terrain le démontrent. Il n’y a pas de retour vers une identité pancanadienne. D’abord, est-ce qu’il y en a déjà eu? Les Acadiens, par exemple, n’ont jamais été des Canayens ni des Canadiens français.

À des fins de cette recension, deux chapitres du livre sont particulièrement pertinents, celui des géographes Anne Gilbert et Marie Lefebvre et celui du politicologue Anne-Andrée Denault. En faisant appel à la notion de vitalité linguistique en milieu minoritaire, Gilbert et Lefebvre évoquent l’existence d’un « espace sous tension ». Pour en faire l’analyse, elles définissent et opérationnalisent le concept. Elles découvrent des milieux de vie extrêmement fragiles et remarquent une situation paradoxale où les jeunes s’anglicisent de plus en plus tout en faisant preuve d’une grande confiance dans l’avenir. Pour ces deux chercheures, deux thèses s’affrontent en ce qui a trait aux communautés francophones du Canada, l’une davantage pessimiste, l’autre légèrement optimiste. Elles croient prématuré de privilégier l’une ou l’autre.

Pour sa part, Denault se penche sur l’épineuse question des rapports entre les Québécois et les Francophones hors Québec (comme on le disait aux années 1970 et 1980). Elle examine les positions tenues par les divers gouvernements du Québec de 1970 à 2007 à l’égard des minorités francophones. Au cours de son analyse, elle cherche à vérifier l’affirmation suivante tant véhiculée depuis les États généraux du Canada français de 1967 : le Québec a abandonné les francophones des autres provinces! Denault prétend que toutes les formations politiques du Québec, peu importe leur couleur, ont eu un souci immuable à l’endroit des francophones de l’extérieur du Québec. L’État québécois, à travers le temps et par le biais de son Secrétariat des affaires intergouvernementales canadiennes, a tenté d’encourager et de faciliter la collaboration avec les communautés franco-canadiennes et acadienne. Cette évolution a abouti, selon Denault, à l’inauguration à Québec le 17 octobre 2008 du Centre de la Francophonie des Amériques dont la mission est « de contribuer à la promotion et à la mise en valeur d’une francophonie porteuse d’avenir pour la langue française par le renforcement et l’enrichissement des relations entre francophones et francophiles ». Son texte fait toutefois abstraction du Secrétariat permanent des peuples francophones (SPPF), établi sous le patronage du Parti Québécois en 1978 et démantelé par les Libéraux en 1992. Bien qu’à vocation internationale, le nouveau Centre des Amériques fait la plus grande place à la francophonie canadienne.

Si le titre d’un livre contient le mot « espace », les lecteurs—et surtout les géographes—peuvent s’attendre à y voir des cartes. Or, dans cet ample ouvrage, il n’y en a qu’une. Vers la fin du livre (page 521), Johanne Poirier de l’Université libre de Bruxelles, dans un article portant le lourd titre « Au-delà des droits linguistiques et du fédéralisme classique : favoriser l’autonomie institutionnelle des francophonies minoritaires du Canada », essaie d’illustrer son propos à l’aide d’une carte quasi illisible intitulée « Proportion des communautés de langue officielle en situation minoritaire par première langue officielle parlée (PLOB) ». Fiouf! Cette lacune cartographique explique partiellement l’absence d’une liste des figures qui aurait pu se justifier compte de la présence d’une douzaine de photographies saupoudrées à travers les pages. Comparé à son parent, Francophonies minoritaires au Canada : état des lieux, richement illustré, Espace francophone au Canada fait pitié. Autre carence, un index, instrument fort utile dans un très long ouvrage de référence. Par contre, chacun des 13 articles est abondamment documenté par une bibliographie la plus à jour possible.

Si au début des années 1980, les chercheurs chevronnés en sciences sociales au Québec se moquaient de ceux qui tentaient de « déterrer des vieilles histoires du Canada français », tel n’est plus le cas. Ce livre, marqué par une grande participation de jeunes chercheurs de la nouvelle génération, en est la preuve. Les recherches en francophonie canadienne vont bon train, mais il s’agit là d’un champ tronqué—partiel. Les francophones des États-Unis sont deux fois plus nombreux que ceux du Canada à l’extérieur du Québec. Ceux de ce pays qui se disent d’origine ethnique française, canadienne-française ou acadienne sont deux fois plus nombreux que ceux du Canada, y compris le Québec. Force est de s’en rendre compte, d’engager un dialogue avec des chercheurs poursuivant des études sur les autres collectivités franco des Amériques et d’élaborer un champ d’études véritablement franco-amériquaines. Aujourd’hui, cette mission s’inscrit explicitement au programme d’action du Centre de la recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) à l’université d’Ottawa.


Pays de la Sagouine ou King’s Landing: choix difficile

Le Nouveau-Brunswick est bien servi en parcs d’attraction. Trois sites ont été aménagés ces dernières années pour présenter et interpréter les principales cultures en présence dans cette seule province officiellement bilingue du Canada qui compte environ 750 000 habitants dont le tiers de langue française et les autres largement d’ascendance loyaliste (population réfugiée restée fidèle à la couronne britannique lors de la guerre d’indépendance des treize colonies américaines). Le Forum des jeunes ambassadeurs à Moncton m’a fourni l’occasion cette semaine de visiter deux des trois : Le Pays de la Sagouine et King’s Landing. Ayant visité en octobre 2002 (hors saison), le Village historique acadien, à Caraquet, je n’en garde qu’un vague souvenir. Ce court récit se limitera, donc, aux impressions glanées sur les lieux d’un site d’attraction touristique acadien, d’une part, et d’un centre touristique loyaliste, d’autre part. Le premier est un « centre de célébration », tandis que le deuxième est davantage un « centre d’interprétation ».

Le Pays de la Sagouine, situé à 60 km au nord de Moncton, célèbre l’œuvre littéraire d’Antonine Maillet et, par ricochet, la survie d’un peuple voué en 1755 à la disparition par déportation. Le visage de la Sagouine, cette femme de ménage imprégnée de sagesse et du gros bon sens, annonce l’entrée sur le site à Bouctouche.

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En suivant le sentier qui passe devant le restaurant L’Ordre du bon temps qui offre un buffet acadien et un brunch acadien, selon les jours et les heures, et des soupers théâtre la plupart des soirs d’été, on arrive au pont qui mène à l’île-aux-Puces, là où habitent les personnages issus de l’imaginaire fécond de Mme Maillet : Citrouille, Nome, Peigne, Michel-Archange, la sainte, les chicaneuses, les filles du barbier, les catchineux et les autres qui divertissent par la parole et par le chant. Le cœur est à la fête et les plus grosses dansent avec les plus maigres!

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King’s Landing est une tout autre histoire. Il ne s’agit pas d’une célébration de la vie et de la survie, mais plutôt de l’interprétation d’une époque révolue et d’un espace méconnu. A été reconstitué sur les rives du Saint-Jean, à 40 km à l’ouest de la capitale, Fredericton, le milieu rural—loyaliste et victorien—du Nouveau-Brunswick du dix-neuvième siècle. Contrairement aux structures (maisons, granges, hangars, etc.) du Pays de la Sagouine, celles de King’s Landing sont authentiques, ayant été récupérées, déplacées et aménagées à la fin des années 60, avant la construction du barrage, car bons nombreux d’entre elles étaient menacées par le niveau d’eau. Aujourd’hui, dans un cadre naturel enchanteur, le personnel en costume d’époque tente d’interpréter avec exactitude la vie d’autrefois.

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Ce qui fait le charme de King’s Landing par rapport au Pays de la Sagouine, c’est la présence d’animaux et les odeurs de la basse-cour! Partout, ça pue! Mais ça pue agréablement! L’odeur des excréments se mêle à celle des champs en production, à celle de fumée émanant de la forge et à celle engendrée par la meunerie et la scierie. Les chevaux transportent les visiteurs qui le désirent et les bêtes à cornes et les moutons leur font des sourires.

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Cette année, pour la première fois, la Sagouine parle anglais! Deux fois par jour, à 11h et à 14h, est présenté en anglais des Maritimes l’un de ses monologues. Les uns disent que c’est par choix pour rendre la culture acadienne accessible aux anglophones et pour favoriser une plus grande compréhension culturelle. Les autres disent que c’est par nécessité, à cause de la récente baisse de fréquentation au site, le marché francophone, largement québécois, étant peut-être saturé. Cette question ne se pose pas à King’s Landing où le bilinguisme à la canadienne emporte…pour le meilleur ou pour le pire!