Au moment de quitter le quai, le soleil se levait sur Ludington, petite ville située sur la rive est du lac Michigan. Quatre heures de voyage nous séparent de Manitowoc, capitale maritime du Wisconsin, sur la rive ouest. Le S.S. Badger fête cette année le cinquantenaire de ses péripéties sur les Grands lacs. Mise en service en 1953, cet énorme vaisseau de 410 pieds de long, de 59 pieds de large, qui tire 19 pieds d’eau, peut recevoir 620 passagers et « avaler » 180 voitures. Son équipage compte entre 50 et 60 personnes. Sa vitesse de croisière est de 18 mph. Chose inusitée de nos jours, le Badger brûle du charbon dans ses deux moteurs, chacun d’une puissance de 3 500 chevaux. Quelle quantité de charbon brûle-t-il à chaque traversée ? 55 tonnes.
Pendant trois heures, la traversée s’est faite par beau temps. L’ambiance a été des plus agréables. Ce qui la rendait particulièrement stimulante fut la présence à bord d’une cinquantaine de membres de trois communautés d’Amish, l’une d’Indiana, l’autre du Michigan et le dernier du Wisconsin. Tout à coup, à une heure de Manitowoc, le Badger fut enveloppé d’un épais nuage de brouillard qui ne s’est dissipé qu’à l’arrivée.
Une visite au Musée maritime du Wisconsin vaut le détour, mais je ne me suis pas attardé trop longtemps, car avant de quitter Québec, j’avais promis à mon fils, Zachary, 25 ans et maniaque du football professionnel, de faire un détour par Green Bay, à 50 km de Manitowoc, afin de lui prendre une photo du stade des Packers, le fameux Lambeau Field, situé sur l’avenue Lombardi. Pour les non initiés, disons tout de go que Curley Lambeau et Vince Lombardi sont deux des plus grands entraîneurs de football à avoir jamais vécu! Évidemment, les deux
« coachaient », les Packers de Green Bay.
Dans le cadre de ce périple en Franco-Amérique, une visite à Green Bay se justifie pour une tout autre raison. Avant d’être rebaptisé « Green Bay » par les Américains, l’estuaire, qui sépare la terre ferme de la péninsule Door—le« Cape Cod du Midwest » selon les brochures touristiques—et sur lequel est située la ville de 100 000 habitants, avait reçu de ses fondateurs le nom de « baie des Puants ».
Author Archives: Dean Louder
La vallée de la Saginaw
Il y a deux ans, j’ai accepté l’invitation des éditeurs de la revue Francophonies d’Amérique à faire une recension du nouveau livre de Jean Lamarre, Les Canadiens français du Michigan : leur contribution dans le développement de la vallée de la Saginaw et de la péninsule de Keweenaw, 1840-1914, qui, soit dit en passant, a aussi paru en version anglaise aux Presses de l’université Wayne State. J’avais conclu mon compte rendu par l’observation suivante :
« Ce livre ouvre bien des pistes de recherche. Une suite s’impose. Que sont devenus les Canadiens français du Michigan depuis 1914? Leurs descendants sont encore sur place. Un regard rapide sur l’annuaire téléphonique de Houghton, Marquette, Bay City et Saginaw en témoignent, mais qu’en savons-nous? Relativement peu. »
Aujourd’hui, j’ai vérifié à Midland, troisième ville de cette conurbation tricéphale et site du siège social de la grande compagnie multinationale Dow Corning. Le bottin ne ment pas. Les Canadiens français sont encore là. Les Lafleur, Laframboise et Lefebvre sont encore là, ainsi que les Leduc dont le nom s’écrit de nos jours LaDuke.
En me dirigeant vers Ludington sur les rives du lac Michigan afin de prendre le traversier, j’ai eu le bonheur de découvrir le Père Marquette Rail Trail. Il s’agit d’une piste cyclable de 30 km, reliant Midland à Clare. Elle est
aménagée sur l’ancienne voie ferrée qui servait à transporter le bois des chantiers près de Clare à la baie Saginaw. Évidemment, je ne pouvais pas passer tout droit. Par un après-midi d’automne magnifique (76 degrés F. selon la radio), j’ai pédalé sur 20 km à partir du village de Sanford, traversant à plusieurs reprises les ponts ferroviaires.
Saint-Joseph-sur-Lac Huron, cité rêvée…
Aux années 1830, des bûcherons en provenance du Bas Canada, Claude Gélinas, Abraham Bédard, Baptiste Durand et d’autres encore sont venus travailler sur les rives du lac Huron. Une décennie plus tard, avec leurs familles cette fois-ci, ils sont revenus dans cette région au sol riche, au climat agréable et aux poissons en abondance. Ils ont formé la seule communauté canadienne-française se trouvant entre les colonies établies par les Jésuites sur la baie Georgienne à Midland et les autres de la région de Détroit. En peu de temps, ils seraient entourés d’autres colons, surtout mennonites et suisses. Une liste partielle des habitants occupant les rangs le long du lac se lit comme suit : Laporte, Denomme, Bedour, Contin, Bouchey, Papineau, Willet, Ducharme, Desjardins, Gravel.
Dans cette colonie qui érigera son église, Saint-Pierre-du-Lac-Huron, en 1873 naîtra en 1870 un jeune homme exceptionnel. Narcisse Cantin rêvera d’établir ici la grande cité de Saint-Joseph, avec port sur le lac, un canal le reliant à Port Stanley sur le Lac Érié, à une distance de 60 km, une ligne ferroviaire, des centrales électriques et des industries bien sûr. Narcisse, inventeur, entrepreneur et rêveur, essayait au tournant du siècle de convaincre, sans succès, les autorités canadiennes que son projet aurait pour résultat le rapatriement de milliers de Canadiens français partis aux Etats-Unis. Saint-Joseph aurait dominé ce que Narcisse voyait déjà comme la voie maritime du Saint-Laurent. La « ville » a connu son apogée entre 1915 et 1920 alors que s’y trouvaient scierie, briqueterie, médecin et grand hôtel. C’est sans doute en raison de ce soupçon de prospérité ainsi que l’amitié forgée avec la famille de Narcisse que le Frère André est venu séjourner à Saint-Joseph en octobre 1917.
La visite du Frère André et la statue du Sacré-Cœur érigée en 1922 pourraient témoigner de la vitalité du français à Saint-Joseph à cette époque-là. Par contre, déjà à la fin du dix-neuvième siècle la plupart des pierres
tombales dans le cimetière paroissial portaient des inscriptions en anglais. Deux des rares exceptions, celles de Urgèle Dénommée et de Narcisse Dénommée. Un observateur attentif remarquera que sur cette dernière pierre la date du décès de Narcisse, à l’âge de 47 ans en 1920, est annoncée en français, tandis que celle de son épouse, Rachel Geoffrey, trente-trois ans plus tard, est gravée en anglais. Que conclure? Entre les années 20 et 50, l’utilisation du français a diminué de manière radicale. Rachel était anglophone. Deux possibilités parmi tant d’autres.
La signalisation et les patronymes inscrits sur les boîtes aux lettres invitent le regard des villégiateurs et vacanciers, surtout ontariens et états-uniens du Michigan, qui y passent chaque été en grand nombre dans le but de tirer profit des belles plages et des dunes de la « cité de Saint-Joseph ». Qu’en dirait, son fondateur, Narcisse Cantin, père de la Voie maritime du Saint-Laurent, magicien de Saint-Joseph, patriote canadien et visionnaire?
Champlain au collège Glendon de Toronto
Le collège Glendon se trouve dans un beau quartier de Toronto, au carrefour des rues Lawrence et Bayview. Il s’agit de la composante bilingue de l’université York dont le campus principal se situe très au nord en
banlieue. Aujourd’hui s’y tenaient deux causeries organisées sous la direction d’Yves Frenette, professeur au Département histoire. Les invités d’honneur, venus de France, nous entretenaient de l’épineuse question de histoire et de mémoire communes. Il s’agissait en fait de M. Dominique Guillemet, maître de conférence d’histoire moderne à l’université de Poitiers, et de Mme Sophie Besnier, attaché de conservation du patrimoine au Conseil général de la Charente-Maritime.
D’entrée de jeu, Monsieur Guillemet mentionnait le grand port « canadien » de La Rochelle d’une part et la « zone acadienne » de Poitiers d’autre part. Il a souligné l’importance des cinq prochaines années pour commémorer la naissance du fait français en Amérique. Il nous a rappelé l’étymologie du mot « commémorer » qui veut dire « mémoire en partage ». Pourquoi commémorer? Parce que nous sommes à l’ère du désenchantement du monde. Mais on ne commémore plus comme on commémorait. Autrefois, de telles fêtes ou célébrations se réalisaient sous l’égide de l’Église ou de l’État. Plus maintenant. L’Église s’est retirée de cette sphère d’activité. L’État aussi. Celui-ci propose et n’impose plus. Les acteurs, formes et valeurs ont changé. De nos jours, ce sont, le plus souvent, les villes et régions qui prennent en mains les commémorations dont il existe presque sans exception une composante scientifique sous forme de colloque, de forum ou d’exposition. La tenue de telles activités n’assure toutefois pas la diffusion du savoir. En plus de répondre à la quête des origines, une autre fonction de la commémoration contemporaine serait la fabrication du consensus dans les sociétés diversifiées et l’inclusion des groupes exclus des manuels scolaires. Pour terminer, Dominique Guillemet a souligné la méconnaissance des Français de la francophonie nord-américaine.
Madame Besnier a présenté un projet concret qui lie la France et le Canada, la mise en œuvre à Brouage, lieu de naissance de Samuel de Champlain, d’une Maison dont une partie importante du financement, sinon la plus importante, viendra d’ici. La construction de ce centre d’interprétation commencera le 15 octobre prochain. L’ouverture est prévue pour le 26 juin 2004. Sophie Besnier souligne l’importance de cette initiative pour rappeler aux Français la signification de Champlain, peu connu en comparaison avec Jacques Cartier.
À la fin de la séance, les participants ont eu droit à une carte allégorique confectionnée au Laboratoire de cartographie de l’université Laval, sous la direction de MM. Adrien Bérubé, Dean Louder et Christian Morissonneau. Ayant pour titre « FRANCOPHONIE EN AMÉRIQUE : Samuel de Champlain amorce 4 siècles de communications », cette carte commémore, à la manière des géographes, les réalisations du grand géographe qui était Champlain.
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« The county »
Y a-t-il une route plus ennuyeuse que la 401 entre Montréal et Toronto? Probablement que non, mais le voyage entre les deux villes n’a pas à être aussi ennuyeux que cela. De nombreux « parkways » s’offrent dont celui du Long Sault entre Cornwall et Brockville et celui des Mille Iles avant d’arriver à Kingston. Mais le plus beau, à mon avis, et celui des Loyalistes qui est aussi la route provinciale 33 entre Kingston et Trenton. Tout comme la 138 au Québec qui arrête à l’embouchure du Saguenay, obligeant le voyageur de prendre le traversier pour Tadoussac, il en est de même sur la 33 ontarienne. Avant d’atteindre Picton, le chef lieu de cette pittoresque région, on doit obligatoirement monter à bord du traversier Glenora, avec service gratuit à toutes les quinze minutes.
On est sur la péninsule Quinte, dans le comté du Prince-Édouard, que les Ontariens appèlent simplement et affectueusement « the county ». Il s’agit d’une région où habitent à peine 20 000 personnes, une région qui fut peuplée de Loyalistes après le « grand malentendu »(big disagreement, selon une source rencontrée sur les lieux) entre l’Angleterre et ses colonies américaines. Aujourd’hui, l’identité loyaliste est encore très forte. Les gens de souche la portent fièrement et s’inquiètent de ce qui leur arrive au fur et à mesure que les gens de l’extérieur découvrent la région, avec ses plages (0301), sa « mer » (0302) et ses dunes de sable (0303) et viennent s’installer.
Les « envahisseurs » dont on entend le plus parler, sont des retraités de Toronto qui, en vendant leur propriété dans la métropole du Canada, ont les moyens d’acheter d’énormes terrains dans l’une ou l’autre des petites municipalités du county et d’ainsi influencer le cours de la vie péninsulaire.
Au lendemain des élections en Ontario, les gens du county semblent bien heureux des résultats. « Après treize ans d’erreurs (NPD) et de terreur (PC), peut-être que les bons temps vont revenir », me disait un vieux cycliste au Parc provincial Sandbank.