Moncton à l’honneur à Calgary

Martin Durand, originaire de Mascouche, au Québec, termine son mémoire de maîtrise en géographie à l’université Laval. Il a été récipiendaire il y a deux ans d’une bourse du Conseil de la vie française en Amérique pour réaliser ce travail. Aujourd’hui, au Département de français de l’université de Calgary, dans le cadre d’un cours sur la Francophonie canadienne, dispensé par le professeur Glen Campell, Martin a eu l’occasion de faire le point sur ses recherches qui portent le titre « Évolution, consolidation et développement de l’espace francophone de Moncton, au Nouveau-Brunswick, 1960-2002 ».
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La présentation, en français bien sûr, fut bien reçue par les membres de la classe de Monsieur Campbell.
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Les principales conclusions de ce travail de 150 pages se résument ainsi :
L’hypothèse se confirme : la zone d’influence francophone du Grand Moncton a pris de l’expansion depuis 1960.
L’expansion est caractérisée par le développement de différents profils à l’étude (mondes culturel, économique, politique et linguistique).
Le nombre et la diversité des institutions francophones du Grand Moncton ont augmenté.
L’université de Moncton a joué un rôle primordial.
Il y eut ouverture d’esprit de la part des anglophones de la région face au bilinguisme et à la langue française.
L’affichage en français et l’utilisation du français comme langue du travail restent déficitaires.
L’assimilation linguistique demeure un problème, même dans les secteurs les plus francophones.
Des informateurs clés à Moncton ont partagé leur point de vue avec Martin. Il en énumère quelques uns des plus savoureux :
Moncton est de plus en plus le moteur économique de la province.
C’est un endroit où je peux vivre mes deux langues.
C’est un milieu qu’on est en train de conquérir.
Un beau discours, mais visage très anglophone.
C’est le triomphe de l’urbain dans le débat urbain-rural.
J’ai été particulièrement fier de Martin, car c’est lors de l’excursion réalisée au Nouveau-Brunswick, dans le cadre de mon cours, Le Québec et l’Amérique française, offert à Laval en octobre 1999 que ce Québécois a découvert l’Acadie. Depuis, il ne manque pas une occasion pour en approfondir ses connaissances et en faire la promotion. En 2008, Martin Durand est employé à Statistique Canada.



Cardston, Alberta : berceau de la religion mormone au Canada

Tout le monde a entendu parler de Salt Lake City, capitale mondiale des Mormons et siège social de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. À peu près personne n’a entendu parler de Cardston, petite ville du sud de l’Alberta, qu’un chercheur a traité, dans un ouvrage intitulé The Mormon Presence in Canada (Edmonton : University of Alberta Press, 1992), de « pépinière des Saints des Derniers Jours au Canada ». Fondé en 1887, dix-huit ans avant la création de la province de l’Alberta, par Charles Ora Card , provenant de Logan, en Utah, ce village, malgré sa faible population (3 475 habitants en 2001) est devenu un haut lieu de la culture mormone en Amérique. À partir de Lee Creek, devenu Cardston, d’autres villages et hameaux mormons se sont établis : Magrath (1 993 habitants en 2001), Raymond (3 200 habitants en 2001), Stirling (877 habitants en 2001), Glenwood (258 habitants en 2001), Hill Spring, Spring Coulee et d’autres encore.
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La région mormone au sud de l’Alberta doit son existence à la persécution des Saints des Derniers Jours en Utah par les autorités fédérales qui tentaient d’enrayer du territoire américain la pratique de polygamie. Espérant mieux faire respecter leur liberté religieuse sous le drapeau britannique, ces expatriés ont établi leur première colonie ici au pied des Rocheuses. Une dizaine d’années plus tard, devant la pression montante du gouvernement de Washington et les difficultés engendrées par sa pratique, le « mariage pluriel » a été officiellement abandonné par l’Église. Entre temps, les Saints au Canada, avaient fait œuvre de pionnier dans le domaine de l’irrigation, de la culture de la betterave à sucre et d’autres domaines agricoles. Il n’y a pas eu de retour massif vers les Etats-Unis.
Rien ne symbolise autant la permanence des Mormons sur le territoire canadien, à partir du début du 20e siècle, que le temple érigé à Cardston entre 1913 et 1923. Il constituait le premier édifice du genre à avoir été bâti à l’extérieur des Etats-Unis et le deuxième à l’extérieur de l’Utah. Ce temple domine ce premier établissement mormon au Canada. Il s’agit d’un bâtiment résolument moderne, d’importance historique et architecturale nationale. Son plan conçu par Pope et Burton de Salt Lake City, date de 1912, et sa composition géométrique en granit blanc emprunte des thèmes anciens et modernes, notamment, aux Mayas-Aztèques et à l’« école des prairies » de Frank Lloyd Wright. L’intérieur du temple est orné de boiseries, de murales et de mobilier d’une grande richesse. Restauré méticuleusement en 1991, ce bâtiment souligne le rôle prépondérant du temple dans la théologie des Saints des Derniers Jours.
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Ce rôle n’est pas à confondre avec celui des églises ou des chapelles, édifices plus petits et ubiquistes. Dans chacun des villages ou hameaux de la région, une, deux ou trois chapelles permettent aux fidèles de poursuivre les activités et observances quotidiennes d’une religion à la fois exigeante, pratique et conviviale. Sur la façade de toute église mormone se trouve l’écriteau : « Bienvenue aux visiteurs ».
L’ambiguïté identitaire des Saints des Derniers Jours qui habitent cette zone frontalière et dont les ancêtres sont venus des Etats-Unis se manifeste parfois par la double allégéance. À Magrath, le drapeau de chacun des deux pays flotte bien en évidence au-dessus d’une résidence. Depuis des générations, il existe une mouvance constante et soutenue entre les lieux et les institutions mormons en Utah et en Idaho et ceux du sud de l’Alberta.
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Aujourd’hui, la communauté mormone la plus importante au Canada est celle de Calgary, comptant environ 25 000 adeptes, la plupart d’entre eux de souche « cardstonnienne ». Le plus grand dépositaire de littérature mormone au Canada et, par conséquent, le plus grand diffuseur aussi de la culture populaire mormone (disques, livres, bibelots, souvenirs, etc.), le Cardston Book Shop, se trouve sur la rue principale de cette municipalité. Cette librairie a deux succursales à Calgary.
À l’entrée du petit hôtel de ville de Cardston, les édiles municipaux affichent fièrement la photo de chacun des anciens maires. Celui qui occupait ce poste de 1982 à 1984 s’appelait Laurier Vadenais. Qui était-il, ce « Français »? D’où venait-il? Pour le moment, le mystère reste entier.


Fort Walsh et la Montagne aux cyprès

L’Alberta et la Saskatchewan fêtent en 2005 leur centenaire. Avant d’accéder au statut de province, il a fallu, selon le mythe fondateur, apporter la paix et faire respecter les lois canadiennes dans ces territoires. À la suite du massacre de la Montagne aux cyprès, ce rôle revenait à la Police montée du Nord-Ouest, organisée par Sir John A. MacDonald,
Aujourd’hui, c’est au Centre d’interprétation de Fort Walsh, au cœur des collines, que l’arrivée dans l’Ouest de cette force policière est commémorée. Cela se fait de la même manière qu’au Village du Haut-Canada en Ontario et au Village acadien de Caraquet, c’est-à-dire avec des personnages modernes qui assument des identités et des fonctions d’antan. Malheureusement, pour les voir et écouter, il aurait fallu arriver à ce site historique avant la fête de l’Action de grâce.
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En 1875, ayant trois objectifs, la Police montée du Nord-ouest a établi le Fort Walsh : (1) créer une présence du gouvernement d’Ottawa dans l’Ouest; (2) faire respecter les lois canadiennes et (3) encourager les Autochtones à signer des traités et à s’établir sur des réserves. Ces objectifs s’étaient précisés à la suite du massacre de la Montagne aux cyprès en 1873. Cette tuerie, en grande partie le résultat du commerce illégal du whiskey le long de la piste de Fort Benton, qui reliait cette région stratégique du nouveau pays à Fort Benton, au Montana, terminus pour les bateaux à vapeur sur le Missouri. Se trouvant à environ 200 km, Fort Benton constituait, à cette époque, la principale source d’approvisionnement des gens du Nord-ouest canadien. Tout au long du chemin, des « wolfers », genre de voyous, faisaient la loi. Étant montés du Montana faire commerce aux postes de traite de Farwell et de Soloman, situés dans les collines, ils prétendaient, sous l’influence de leur produit, s’être volés un cheval. Évidemment ils ont accusé des autochtones et sont entrés dans le camp des Nakotas, affamés, affaiblis et sans défense, tirant sur hommes, femmes et enfants..
Une fois le fort établi deux ans plus tard, il devint un lieu de rassemblement d’explorateurs, marchands de fourrure, chasseurs et vagabonds de tout acabit. Un village s’est bâti à côté du fort et comptait, à son apogée en 1880, 1000 habitants. On pouvait y trouver, entre autres, deux hôtels, un restaurant, plusieurs salles de billard, un tailleur et une forge. Sur les collines environnantes se trouvaient une véritable mosaïque de camps amérindiens : Cri, Assiniboine, Pied-noir et Sioux.
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Voici l’inscription en quatre langues (anglais, français et deux langues amérindiennes) sur le socle d’une statue à Fort Walsh qui marque la rencontre pacifique entre Police montée et Amérindien :
« En 1873, le gouvernement de Sir John A. MacDonald créa la police à cheval du nord-ouest pour faire respecter la souveraineté et les lois canadiennes dans les nouveaux territoires. Moins de deux ans plus tard, c’était chose faite, et la colonisation des prairies canadiennes était commencée. À ce moment-là, la police possédait déjà sa réputation d’équité et de zèle ».


La Francophonie internationale en miniature

Ce qui a toujours caractérisé les communautés francophones de l’Ouest est la diversité de leurs populations. Canadien français, Français, Suisse, Belge et Franco-Américain, établis ici depuis un siècle et plus, se trouvent aujourd’hui face aux nouveaux immigrants du Maghreb, d’Afrique et des Antilles que nous avons vus en relativement grand nombre au Collège universitaire de Saint-Boniface.. Justement, l’un des grands défis auxquels font face les communautés dites de souche est d’intégrer ces nouveaux venus. Il en a été souvent question au colloque du CEFCO.
Au Manitoba et en Saskatchewan, cette diversité traditionnelle, même au sein d’une population catholique et blanche, est frappante. Aujourd’hui, nous avons visité trois de ces milieux : Saint-Léon, Notre-Dame-de-Lourdes et Bellegarde. En parcourant les quelques kilomètres qui séparent Saint-Léon de Notre-Dame, nous avons aussi appris la triste histoire du hameau de Cardinal.
En suivant l’un de ces longs, étroits et droits chemins, on arrive à Saint-Léon où les drapeaux canadien et franco-manitobain saluent notre arrivée. Le village est très tranquille. Deux centres d’activités principaux : le petit « centre d’achats » et l’école. L’église qui domine au centre du village et les noms sur les pierres tombales témoignent de la provenance des habitants du village, Québécois en très grande majorité.
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Aujourd’hui, les grandes nouvelles au village tournent autour d’une entente de 75 000 000$ signée avec la compagnie Sequoia Energy pour l’établissement à Saint-Léon d’un parc éolien qui créera une douzaine de nouveaux emplois.
Déjà passé par ici en 1982, je ne m’étais pas aperçu du hameau de Cardinal. Hameau? Difficile à dire. Il s’agit d’un regroupement d’une demi-douzaine de maisons autour d’une chapelle abandonnée. Aucun service, ni d’épicerie ni
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de poste d’essence, n’est disponible ici. Toutefois, c’est le genre d’endroit qui aurait attiré au moins une personne célèbre : le docteur André de Leyssac (1925-1999). Sur une plaque située dans une aire de pique-nique devant la chapelle, on peut lire que ce érudit, venu de France et établi à Winnipeg, avait quitté la ville pour s’établir à Cardinal afin d’être près de la nature, de mieux réfléchir et se détendre.
La chapelle de Cardinal est symbole des aspirations et déceptions des colons. Arrivés l’année précédente et organisés en Société de Saint-Louis, Cyprien Cardinal, Jean-Baptiste Château, Jean Schumacher, Théophile Toutant et Lucien Vigier ont travaillé entre 1927 et 1929 à l’érection de cette belle chapelle blanche. L’édifice n’a reçu ni prêtre ni bénédiction qu’en 1935 lorsque l’Archevêque Yelle fit savoir officiellement que le père Champagne pourrait y dire la messe pendant les mois d’hiver. À l’exception de la messe, seulement trois autres cérémonies religieuses eurent lieu ici : en 1945 le baptême d’Élise Fouasse, en 1949 celui de Robert Pittet et en 1950 le mariage du couple André Talbot et Thérèse Cérénini. Combien ne fut pas ma surprise, une demi-heure plus tard, dans le nouveau cimetière de Notre-Dame-de-Lourde de tomber par hasard sur la pierre tombale de ce même couple.
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Château, Toutant, Schumacher, Château, Vigier! Ce ne sont pas des noms « canadiens ». Non, ce sont les gens venus en 1891 de l’est de la France et de Suisse, accompagnés du Chanoine Dom Benoît qui leur avait donné rendez-vous au port d’Anvers. Ils ont fondé la localité de Notre-Dame-de-Lourdes. Quatre ans plus tard, à la demande du chanoine, plusieurs chanoinesses arrivent à Notre-Dame de Lyon, en France. Elles ont évidemment laissé leur marque sur le village. Peu nombreuses et vieillissantes, elles y sont encore de nous jours.
À ce premier groupe de colons se sont ajoutés par la suite des Bretons et d’autres groupes encore. Le directeur du collège régional de Notre-Dame, Denis Bibault, m’a fourni un plan du village montrant la disposition de chaque famille résidente avec son nom. Mentionnons en quelques-uns qui reviennent le plus souvent : Delaquis, Dupasquier, Jamault, Deleurme et Pantel.
Les deux écoles de Notre Dame se font face : du côté nord, l’École primaire et du côté sud, le Collège régional qui attire ses étudiants d’aussi loin que Saint-Léon. La situation du collège est un peu inquiétante en ce sens que le nombre d’élèves (112) n’est que la moitié de ce qu’il était il y a à peine cinq ans. Parmi les diplômés des dernières années dont le village est particulièrement fier est J-P Viguier, joueur d’attaque des Thrashers d’Atlanta de la Ligue nationale de hockey. En admirant son équipement de hockey au Musée, à côté des objets religieux des chanoines et chanoinesses et des outils des pionniers, j’ai eu l’audace de demander à Annette Delaquis qui me servait de guide si J-P parlait français. « Évidemment, fut sa réponse, il est allé au Collège ici ».
Le Centre Dom-Benoît est le centre névralgique du village, regroupant, en plus des fonctions municipales, les bureaux des deux autres paliers de gouvernement : fédéral et provincial. Modernes, propres et bien aménagés, ses locaux et le personnel qui les occupent sont accueillants et efficaces. Le dynamisme de Notre-Dame-de-Lourdes semble exemplaire.
Je ne peux en dire autant de Bellegarde, hameau, grand comme Cardinal, dans le coin sud-est de la Saskatchewan, que je désirais depuis longtemps visiter à cause de ses origines belges. La redécouverte de sa francité est encore très récente, telle qu’en témoigne la vieille maison arborant une nouvelle enseigne
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Le Québec, le Canada, la Suisse, « les » France (Jura, Savoie, Bretagne…) et la Belgique…une francophonie internationale en miniature indélébilement inscrite dans le paysage des Prairies canadiennes.