Saint-Joseph-sur-Lac Huron, cité rêvée…

Aux années 1830, des bûcherons en provenance du Bas Canada, Claude Gélinas, Abraham Bédard, Baptiste Durand et d’autres encore sont venus travailler sur les rives du lac Huron. Une décennie plus tard, avec leurs familles cette fois-ci, ils sont revenus dans cette région au sol riche, au climat agréable et aux poissons en abondance. Ils ont formé la seule communauté canadienne-française se trouvant entre les colonies établies par les Jésuites sur la baie Georgienne à Midland et les autres de la région de Détroit. En peu de temps, ils seraient entourés d’autres colons, surtout mennonites et suisses. Une liste partielle des habitants occupant les rangs le long du lac se lit comme suit : Laporte, Denomme, Bedour, Contin, Bouchey, Papineau, Willet, Ducharme, Desjardins, Gravel.
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Dans cette colonie qui érigera son église, Saint-Pierre-du-Lac-Huron, en 1873 naîtra en 1870 un jeune homme exceptionnel. Narcisse Cantin rêvera d’établir ici la grande cité de Saint-Joseph, avec port sur le lac, un canal le reliant à Port Stanley sur le Lac Érié, à une distance de 60 km, une ligne ferroviaire, des centrales électriques et des industries bien sûr. Narcisse, inventeur, entrepreneur et rêveur, essayait au tournant du siècle de convaincre, sans succès, les autorités canadiennes que son projet aurait pour résultat le rapatriement de milliers de Canadiens français partis aux Etats-Unis. Saint-Joseph aurait dominé ce que Narcisse voyait déjà comme la voie maritime du Saint-Laurent. La « ville » a connu son apogée entre 1915 et 1920 alors que s’y trouvaient scierie, briqueterie, médecin et grand hôtel. C’est sans doute en raison de ce soupçon de prospérité ainsi que l’amitié forgée avec la famille de Narcisse que le Frère André est venu séjourner à Saint-Joseph en octobre 1917.
La visite du Frère André et la statue du Sacré-Cœur érigée en 1922 pourraient témoigner de la vitalité du français à Saint-Joseph à cette époque-là. Par contre, déjà à la fin du dix-neuvième siècle la plupart des pierres
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tombales dans le cimetière paroissial portaient des inscriptions en anglais. Deux des rares exceptions, celles de Urgèle Dénommée et de Narcisse Dénommée. Un observateur attentif remarquera que sur cette dernière pierre la date du décès de Narcisse, à l’âge de 47 ans en 1920, est annoncée en français, tandis que celle de son épouse, Rachel Geoffrey, trente-trois ans plus tard, est gravée en anglais. Que conclure? Entre les années 20 et 50, l’utilisation du français a diminué de manière radicale. Rachel était anglophone. Deux possibilités parmi tant d’autres.
La signalisation et les patronymes inscrits sur les boîtes aux lettres invitent le regard des villégiateurs et vacanciers, surtout ontariens et états-uniens du Michigan, qui y passent chaque été en grand nombre dans le but de tirer profit des belles plages et des dunes de la « cité de Saint-Joseph ». Qu’en dirait, son fondateur, Narcisse Cantin, père de la Voie maritime du Saint-Laurent, magicien de Saint-Joseph, patriote canadien et visionnaire?
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Champlain au collège Glendon de Toronto

Le collège Glendon se trouve dans un beau quartier de Toronto, au carrefour des rues Lawrence et Bayview. Il s’agit de la composante bilingue de l’université York dont le campus principal se situe très au nord en
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banlieue. Aujourd’hui s’y tenaient deux causeries organisées sous la direction d’Yves Frenette, professeur au Département histoire. Les invités d’honneur, venus de France, nous entretenaient de l’épineuse question de histoire et de mémoire communes. Il s’agissait en fait de M. Dominique Guillemet, maître de conférence d’histoire moderne à l’université de Poitiers, et de Mme Sophie Besnier, attaché de conservation du patrimoine au Conseil général de la Charente-Maritime.
D’entrée de jeu, Monsieur Guillemet mentionnait le grand port « canadien » de La Rochelle d’une part et la « zone acadienne » de Poitiers d’autre part. Il a souligné l’importance des cinq prochaines années pour commémorer la naissance du fait français en Amérique. Il nous a rappelé l’étymologie du mot « commémorer » qui veut dire « mémoire en partage ». Pourquoi commémorer? Parce que nous sommes à l’ère du désenchantement du monde. Mais on ne commémore plus comme on commémorait. Autrefois, de telles fêtes ou célébrations se réalisaient sous l’égide de l’Église ou de l’État. Plus maintenant. L’Église s’est retirée de cette sphère d’activité. L’État aussi. Celui-ci propose et n’impose plus. Les acteurs, formes et valeurs ont changé. De nos jours, ce sont, le plus souvent, les villes et régions qui prennent en mains les commémorations dont il existe presque sans exception une composante scientifique sous forme de colloque, de forum ou d’exposition. La tenue de telles activités n’assure toutefois pas la diffusion du savoir. En plus de répondre à la quête des origines, une autre fonction de la commémoration contemporaine serait la fabrication du consensus dans les sociétés diversifiées et l’inclusion des groupes exclus des manuels scolaires. Pour terminer, Dominique Guillemet a souligné la méconnaissance des Français de la francophonie nord-américaine.
Madame Besnier a présenté un projet concret qui lie la France et le Canada, la mise en œuvre à Brouage, lieu de naissance de Samuel de Champlain, d’une Maison dont une partie importante du financement, sinon la plus importante, viendra d’ici. La construction de ce centre d’interprétation commencera le 15 octobre prochain. L’ouverture est prévue pour le 26 juin 2004. Sophie Besnier souligne l’importance de cette initiative pour rappeler aux Français la signification de Champlain, peu connu en comparaison avec Jacques Cartier.
À la fin de la séance, les participants ont eu droit à une carte allégorique confectionnée au Laboratoire de cartographie de l’université Laval, sous la direction de MM. Adrien Bérubé, Dean Louder et Christian Morissonneau. Ayant pour titre « FRANCOPHONIE EN AMÉRIQUE : Samuel de Champlain amorce 4 siècles de communications », cette carte commémore, à la manière des géographes, les réalisations du grand géographe qui était Champlain.
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« The county »

Y a-t-il une route plus ennuyeuse que la 401 entre Montréal et Toronto? Probablement que non, mais le voyage entre les deux villes n’a pas à être aussi ennuyeux que cela. De nombreux « parkways » s’offrent dont celui du Long Sault entre Cornwall et Brockville et celui des Mille Iles avant d’arriver à Kingston. Mais le plus beau, à mon avis, et celui des Loyalistes qui est aussi la route provinciale 33 entre Kingston et Trenton. Tout comme la 138 au Québec qui arrête à l’embouchure du Saguenay, obligeant le voyageur de prendre le traversier pour Tadoussac, il en est de même sur la 33 ontarienne. Avant d’atteindre Picton, le chef lieu de cette pittoresque région, on doit obligatoirement monter à bord du traversier Glenora, avec service gratuit à toutes les quinze minutes.
On est sur la péninsule Quinte, dans le comté du Prince-Édouard, que les Ontariens appèlent simplement et affectueusement « the county ». Il s’agit d’une région où habitent à peine 20 000 personnes, une région qui fut peuplée de Loyalistes après le « grand malentendu »(big disagreement, selon une source rencontrée sur les lieux) entre l’Angleterre et ses colonies américaines. Aujourd’hui, l’identité loyaliste est encore très forte. Les gens de souche la portent fièrement et s’inquiètent de ce qui leur arrive au fur et à mesure que les gens de l’extérieur découvrent la région, avec ses plages (0301), sa « mer » (0302) et ses dunes de sable (0303) et viennent s’installer.
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Les « envahisseurs » dont on entend le plus parler, sont des retraités de Toronto qui, en vendant leur propriété dans la métropole du Canada, ont les moyens d’acheter d’énormes terrains dans l’une ou l’autre des petites municipalités du county et d’ainsi influencer le cours de la vie péninsulaire.
Au lendemain des élections en Ontario, les gens du county semblent bien heureux des résultats. « Après treize ans d’erreurs (NPD) et de terreur (PC), peut-être que les bons temps vont revenir », me disait un vieux cycliste au Parc provincial Sandbank.


C’est un départ!

Hier, en empruntant à Québec le pont Pierre-Laporte au début de mon voyage, je ne pouvais m’empêcher de penser
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à Jack Waterman. Vous souvenez-vous de lui? Il s’agit bien sûr du héros du roman Volkswagen Blues, ce roman de la route écrit par Jacques Poulin en 1989, sans doute sous l’inspiration de l’œuvre du grand écrivain franco-américain, Jack Kerouac. Dans Volkswagen Blues, accompagné d’un personnage énigmatique d’origine métisse, La Grande Sauterelle qu’il a prise sur le pouce en Gaspésie, Waterman, en campeur de marque VW, quitte la ville de Québec à la recherche de Théo, parent à Jack, qui avait fait ses adieux à son Québec natal il y a si longtemps, préférant tenter l’aventure continentale. San Francisco, dernière adresse que Théo avait laissée, deviendra l’ultime destination du couple. Ils s’y rendront en passant par de nombreux hauts lieux de la Franco-Amérique.
À moi maintenant de suivre dans leurs traces. Pas nécessairement leur parcours, car la Franco-Amérique est vaste et jalonnée de diverses manières. À chacun de trouver sa piste. Toutefois, j’essayerai de respecter l’ » esprit de Waterman « , en renouant avec la Franco-Amérique et en l’explorant plus à fond. Première halte, Montréal, point d’embarcation vers les pays d’en haut, point de départ des voyageurs et coureurs de bois. J’ai passé la nuit chez mon fils, Mathieu, dans l’est de la ville, à l’ombre du stade Olympique dont je vois le mât de sa fenêtre de cuisine. Tantôt, malgré la pluie, je vais réintégrer mon « canot », stationné devant la porte pour reprendre le chemin.
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Le voyageur solitaire est toujours heureux de recevoir des nouvelles. Pourquoi donc ne pas me faire part d’une piste de la Franco-Amérique que vous avez découverte ?


Dans la tradition de Steinbeck… au rythme de l’escargot

Depuis plus d’un quart de siècle, je parcours la Franco-Amérique, la plupart du temps avec mes étudiants de l’université Laval.
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Nos passages sont inscrits sur la carte de l’Amérique. Le 1er septembre 2003, j’ai pris ma retraite de l’université Laval où j’avais enseigné depuis 32 ans. Le 3 octobre 2003, j’ai commencé les pérégrinations qui sont décrites dans ce journal. Je l’ai fait un peu à la manière du grand écrivain John Steinbeck qui, en 1960, à l’âge de 58 ans, avec son chien, Charley, a quitté son domicile à New York dans un petit campeur, fait sur mesure pour lui. Son but : redécouvrir son pays. Ayant laissé des classiques comme Raisins de la colère et Des souris et des hommes, Steinbeck, à la fin de sa vie, nous a légué un petit livre léger, de lecture fort agréable, basé sur son journal de bord, Voyage avec Charley : récit.
Disons tout de suite que les véhicules récréatifs ne sont plus ce qu’ils étaient en 1960. Aujourd’hui, il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets—du humble Boler au château ambulant fabriqué chez Prévost. Pour ma part, j’ai choisi la Safari condo, petite fourgonnette GMC transformée en campeur chez Nadeau à Saint-Frédéric-de-Beauce. C’est avec lui, ce modèle SC dit Junior, que j’ai emprunté en solitaire les chemins de la Franco-Amérique dans le but de satisfaire à cinq objectifs :
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• Célébrer la fin de ma carrière de professeur d’université en faisant ce qui a toujours caractérisé mon enseignement: EXPLORER.
• Renouveler mes connaissances et revoir des amis faits au cours d’explorations antérieures de la Franco-Amérique..
• Réaliser un travail d’Ambassadeur pour le Conseil de la vie française en Amérique (CVFA).
• Apprendre à mieux connaître mes enfants et petits-enfants qui habitent tous au loin.
• Renouer avec ma culture de base et le « pays » qui m’a donné la vie, le plateau du Colorado et le pays des Mormons.
Petit à petit, comme l’escargot dont mon campeur porte l’image, j’allais sillonner le continent. Au rythme du temps, des gens rencontrés et des paysages, j’ai fait mon journal, sous forme de chroniques. Ces reportages, anecdotes, témoignages et bilans, accompagnés de plus de mille photos couvrant trois voyages en vingt-et-un mois (voir carte) furent étalés jusqu’au 30 juin 2008 (date de sa fermeture), à l’échelle planétaire sur le site Internet du CVFA. À Guy
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Lefebvre, dernier directeur général de cette vénérable organisation, je dois des sincères remerciements. C’est à la lecture de ces chroniques et à la suite de la publication en avril 2008 chez eux de Franco-Amérique que Denis Vaugeois et Gilles Herman des Éditions du Septentrion m’ont suggéré de transformer les chroniques en blogues et de les afficher sur leur site internet… quelques photos en moins. Je remercie sincèrement MM. Vaugeois et Herman et les félicite de leur passion et de leur esprit d’aventure, deux éléments ayant depuis toujours caractérisé la Franco-Amérique. Je suis fier de faire partie de leur écurie.
Bon voyage et bonne lecture!