Beaubassin, fondé par des colons de Port-Royal en 1672, n’existe plus depuis 250 ans. À la place, le Nova Scotia Welcome Centre. Quelle ne fut pas ma surprise d’y tomber en pleine commémoration de Jean-Jacques Mouton, chirurgien, né à Marseille vers 1689, marié à Port Royal en 1711 et établi à Beaubassin avec sa famille vers 1725.
C’est un parent de la onzième génération, Monsieur Paul S. Martin, de Lafayette, en Louisiane, qui venait tout juste de dévoiler ici même la plaque célébrant la vie de ce pionnier acadien responsable de l’établissement de l’illustre lignée des Mouton louisianais. M. Martin, 84 ans, accompagné de son épouse, son fils et sa bru, réalisait son
vingt-et-unième retour au pays de ses ancêtres. « Autrefois, je venais en auto, mais l’âge a eu raison de moi… », dit-il à regret. « I’m at home here, you know », poursuit-il avec conviction.
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Le « ghetto » français à Fredericton, NB
Dans le livre qu’il a réalisé avec Maurice Basque, Une présence qui s’affirme : la communauté acadienne et francophone de Fredericton, Greg Allain rappelle la crainte des autorités gouvernementales provinciales de vendre le terrain situé au coin des rues Priestman et Regent, à proximité du Centre communuataire Sainte-Anne,
pour la construction d’une église dans la paroisse Sainte-Anne-des-Pays-Bas, nouvellement érigée. Pourquoi cette réticence devant un objectif si louable? La réponse est très simple : la peur de contribuer à la création d’un « ghetto français » à Fredricton.
L’achat a néanmoins été conclu et la nouvelle bâtisse, au style plutôt moderne et chargé de symbolisme, fut inaugurée en 2001, 242 ans après la destruction de la chapelle qui portait ce même nom sur ces mêmes lieux
En fait, le village acadien de la Pointe Sainte-Anne se situait en 1755 (année du Grand Dérangement) aux abords de la Saint-Jean, là où est située aujourd’hui la capitale provinciale. En février 1759, selon Maurice Basque, le lieutenant anglais, Moses Hazen, agissant sous les ordres du colonel Robert Monkton à la tête d’une petite compagnie de mercenaires, arrive à la Pointe Sainte-Anne. Il ne réussit qu’à capturer trois familles acadiennes, les autres se sauvant dans les bois. Les prisonniers furent massacrés et le village réduit aux cendres.
Malgré la destruction totale de leur village, certains Acadiens réussirent à revenir s’établir dans la région, mais elle serait désormais transformée de manière radicale par de nouveaux arrivants dont la présence concrétiserait les prétentions britanniques. Fuyant la révolution américaine, 14 000 loyalistes, fidèles à la couronne britannique, débarquèrent au Nouveau-Brunswick, province nouvellement créée en 1784 en la détachant de la Nouvelle-Écosse. Ils prendraient possession des bonnes terres et rebaptiseraient les lieux Frederick’s Town afin de rendre hommage au second fil du roi George III de Grande-Bretagne.
Toujours selon Basque, la cohabitation entre loyalistes et Acadiens s’avérait très difficile. La majorité des Acadiens prirent la décision de s’établir ailleurs, surtout au Madawaska, permission que leur accorda le gouvernement du Nouveau-Brunswick en 1785. Pendant presque deux siècles, l’abandon de la région de Fredericton par les Acadiens fut plus ou moins complet. L’élection en 1960 d’un premier Ministre acadien, Louis Robichaud, et les réformes qu’il a présidées sur une période de dix ans marquèrent un retour des francophones vers la capitale provinciale.
Profitant d’une conjoncture particulière découlant de la transformation de l’ordre symbolique du Canada par les gouvernements de Pearson et Trudeau, processus qui fut couronné par la mise en application en 1969 de la loi sur les langues officielles, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, suivit l’exemple, faisant du Nouveau-Brunswick, la seule province canadienne officiellement bilingue. La dualité au niveau des services nécessitait évidemment un retour important des Acadiens et francophones vers la capitale provinciale. N’étant pas dupes, ceux-ci hésitaient à quitter leurs régions (Madawaska, baie des Chaleurs, péninsule acadienne) pour venir à Fredericton s’ils ne pouvaient y vivre en français. Dans un premier temps, pour obtenir les services dans leur langue, ils tergiversaient entre plusieurs locaux mis à leur disposition. C’est en 1978, à force de chaudes luttes, que la nouvelle communauté francophone et acadienne de Fredericton réussit à obtenir son centre communautaire qui comprendrait également une école offrant des cours depuis la maternelle jusqu’à la douzième année. Aujourd’hui, environ 1 000 élèves suivent leurs cours dans de belles salles de cours bien équipées. À l’automne 2005, on annonce 96 nouvelles inscriptions en maternel, ce qui nécessitera cinq classes au lieu de trois! Au centre, les élèves et les membres de la communauté ont accès à la bibliothèque Michaud. D’ailleurs, tous les services mis à la disposition de la communauté acadienne et francophone de Fredericton, sauf un, la Caisse populaire, située au centre-ville, se trouvent sous le même toit. Partout, à l’intérieur du Centre et de l’École se trouvent des symboles de l’histoire acadienne et des rappels de l’identité acadienne.
L’importance du Centre communautaire Sainte-Anne a dépassé de loin les frontières de la ville de Fredericton et de la province du Nouveau-Brunswick. Il s’est agi du premier centre communautaire et scolaire au Canada. Sa réalisation a facilité l’obtention par les francophones de tels centres dans d’autres villes, comme le Centre Frontenac à Kingston et la Cité des Rocheuses à Calgary, pour ne nommer que ceux-là. Sans eux, la survie des communautés francophones minoritaires en milieu urbaine serait incertaine, sinon impossible.
Drummond, NB, pas Drummondville, QC
Si je fréquente depuis sept ans le village de Drummond, au Nouveau-Brunswick, (population 900), c’est grâce à Laura Beaulieu qui me l’a fait connaître et qui m’a appris à aimer cette région aux paysages panoramiques, pittoresques et « patatisés ».
C’est ici que se sont implantés vers 1875 ses ancêtres en provenance, d’une part, de Rivière-Ouelle, au Québec (les Lavoie et Beaulieu), et, d’autre part, les Thériault et Cyr, victimes, en 1785, de la « deuxième Déportation des Acadiens » (voir texte suivant).
Lucien Beaulieu et Yvonne Lavoie, 1933
En effet, ce qui caractérise la population de ce village situé aux limites méridionales de cette région francophone à laquelle le géographe, Adrien Bérubé, a attribué le nom « Marévie » (comtés de MAdawaska, de REstigouche et de VIctoria), est l’heureux mélange des deux peuples « canayen » et acadien. Mais ce n’est pas là le plus intéressant.
Le plus emballant, c’est que pour établir leur petit château fort qui demeure de nos jours presque exclusivement francophone, ils ont dû tasser les Irlandais. La légende veut que ces nouveaux venus en provenance du Québec, contrairement aux Irlandais, savaient se servir avec aplomb de leurs scies et haches. Cela leur a donné un net avantage sur les Européens. Ils ont défriché et pris possession des meilleures terres, les McCleod, O’Regan, McClaughlin, McClusky, McCarthy prenant refuge de l’autre côté de la rivière Saint-Jean dans un secteur baptisé « Le Portage ».
L’ardeur, l’assiduité au travail et l’expansion territoriale de ces francophones ont créé un tel remous dans la capitale, Fredericton, que les gouvernants de la très loyaliste province du Nouveau-Brunwick ont convenu d’ériger une barrière contre cet étalement « frenchy ». Leur méthode était perspicace et efficace. Ils ont fait venir des Danois, formant ainsi au sud de la rivière aux Saumons la plus importante concentration de Danois au Canada. Grâce à ses églises, ses cimetières et ses odonymes, New Denmark porte encore leur marque. À chaque année,
jusque tout récemment, les Jensen, Rasmussen, Christiansen, Sorensen, Nielsen et les autres fêtaient le 19 juin l’arrivée des leurs en 1872. Leur implantation au sud de la rivière a, effectivement, mis terme à l’expansion territoriale des francophones. Pendant un siècle, les deux populations, catholique et protestante, se faisaient face, chacune de son bord.
À Drummond, au risque de perdre leur langue et, pis, leur âme, les jeunes filles catholiques recevaient la consigne en provenance de leurs parents et du curé en Chaire le dimanche matin de ne pas fréquenter ces beaux, grands blonds du village avoisinant. La plupart ont bien écouté, mais il y a eu des exceptions, comme Victorine Violette et Moguns Givskud qui ont lié leur destin le 9 novembre 1964. Deux enfants sont issus de ce mariage, leur fils, Mike, et leur fille Mia, aujourd’hui directrice de l’école élémentaire Sacré-Cœur de Grand-Sault. Qui aurait pensé autrefois qu’un jour une Givskud dirigerait la plus grande école primaire de langue française de la région!
Pour les gens qui voyagent aujourd’hui entre Québec et Montréal, Drummondville est un point de repère plutôt inintéressant. Ils s’y arrêtent peu, à moins de devoir subvenir à un besoin naturel. De même, les gens qui voyagent entre Edmundston et Fredericton ne fréquentent guère Drummond, pourtant peu à l’écart de la Trans-Canadienne. Drummond est un lieu de passage pour les gens qui empruntent le Renou, ce raccourci raboteux qui relie Edmundston à Moncton en passant par les forêts du centre du Nouveau-Brunswick.