Retour au « chalet lointain » … et au travail

Voyager du sud au nord en plein mois de février, de l’Arizona-sud (Arizona) à l’Arizona-nord (Alberta) n’est pas une sinécure. Quelle expérience déprimante! De +25 celsius à -25! Aussitôt arrivé en Utah, la neige a « poigné » dans les hauteurs. Entre Kanab et Panguitch, il ne fallait pas rouler à plus de 50 km à l’heure et surtout ne pas dépasser. Je me retrouvais au Québec, mais sans pneus d’hiver! Redescendu dans les vallées, à moins de 4 000 pieds d’altitude le beau temps reprenait! Entre Circleville et Sigurd, une autre chaînette de montagnes, autre tempête, autre manque de visibilité. Enfin à Richfield, beau soleil, mais à Salina, à 25 km plus loin, impossible de voir à 100 mètres. Voilà, l’histoire de ma traversée hivernale du corridor que l’on appelle le «Intermountain West », d’un Arizona à l’autre. Pourquoi deux Arizonas? C’est que l’Arizona et l’Alberta se ressemblent à bien des égards. D’abord, les deux sont désertiques, les pratiques agricoles assujetties à des techniques d’irrigation très sophistiquées. Certains comportements sont identiques. Le port du chapeau et de bottes de cowboy et la conduite de « pick-up » sont courants. La politique est conservatrice et le rodéo très populaire. Il y a un quart de siècle, dans son ouvrage intitulé Nine Nations of America, le journaliste au Washington Post d’origine franco, Joël Garreau, baptisa ce vaste territoire s’étendant depuis le moyen nord albertain au Rim Mogollon en Arizona, le « empty quarter » Voilà une autre caractéristique partagée par les deux Arizonas, nord et sud, ainsi que par tous les États se trouvant entre les deux: Montana, Idaho, Utah et Nevada. De loin, l’Alberta est la plus états-unienne des provinces canadiennes!

Malgré tout le travail qui m’y attendait, c’était avec soulagement que j’ai enfin retrouvé mon « chalet lointain » à Raymond » (voir ce blogue en date du 30 juillet 2008). Depuis, la rédaction d’un article Carnet d’un vagabond instruit.doc qui fera partie du numéro 154 de la revue Québec Français consacré à la Francophonie des Amériques et la préparation de deux conférences à base de Power Point, l’une en français, l’autre en anglais m’ont tenu assez occupé. Les conférences seront prononcées entre les 19 et 26 mars dans le Midwest (Chicago, Kalamazoo, Milwaukee) et le Nord-est (New Haven, Bridgewater, Worcester et Nashua) des États-Unis. Une séance de rodage en anglais est prévue pour Lethbridge, en Alberta, le soir du 2 mars. Une autre, en français, dix jours plus tard, à Grand Sault, au Nouveau-Brunswick.

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Donc, bientôt un retour au bercail!


Page (AZ): une pensée pour mon père

Bienvenue à Page, établie en 1957 aux limites septentrionales de l’État d’Arizona, en plein désert, à proximité des terres des Navajos. Autrefois, à force d’accompagner mon père lors de ses déplacements à Page, je connaissais assez bien les lieux . Pendant une vingtaine d’années (1957-1976), Bert Louder conduisait pour le compte de Hi-Land Dairy un camion semi-remorque de Murray, Utah, près de Salt Lake, à Page, une distance de 600 kilométres. Il faisait la livraison du lait aux nombreux petits bourgs fondés aux années 1860 le long de ce qui est aujourd’hui la route nationale 89: Gunnison, Salina, Richfield, Monroe, Panguitch, Kanab et, enfin, Page, nouvelle ville née du projet de construction du barrage Glen Canyon, ouvert enfin le 22 septembre 1966. Trois fois par semaine l’été et deux fois par semaine l’hiver, « Dad » faisait la longue navette. Après quelques heures de sommeil au Page Boy, le premier motel à y avoir été construit et qui y fait piètre figure aujourd’hui à côté des Holiday Inn, Best Western et Days Inn, il remontait dans son camion et retournait vers le nord, ramassant, au fur et à mesure, des boîtes et pots vides aux mêmes endroits que la veille, les transportant à la laiterie pour remplissage et redistribution.

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En plus de monter la capacité de production de l’électricité pour tout le sud-ouest des États-Unis, le barrage Glen Canyon a donné lieu à une activité récréo-touristique fébrile. Des milliers d’amateurs de sports nautiques tirent profit de l’existence de l’immense lac créé par le barrage. Portant le nom de John Wesley Powell, ingénieur et explorateur ayant dirigé en 1869 et 1871-72 des expéditions scientifiques sur le Colorado et la Green, le lac ne fait toutefois pas l’unanimité, car ses eaux ont modifié l’écologie de la région et submergé certaines formations géologiques et morphologiques uniques au monde.

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À chaque passage par ici, le fils ne peut que penser à son père et au nombre incalculable de kilomètres qu’il a parcourus en 20 ans afin de gagner sa vie et de créer une légende le long de la 89. Certains se remémorent encore Bert.

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Albert R. Louder (1912-2001)


Snowflake (AZ) sans neige

Pour tâter le pouls d’une région, rien de mieux que de la visiter muni d’un bon roman dont l’action s’y passe ou d’une biographie de quelqu’un s’y étant profondément enraciné. Cette fois-ci, en traversant l’Utah et l’Arizona, je fus particulièrement bien servi. Au début du voyage à Salt Lake, un ami, Ben Bennion, me suggéra la lecture d’une nouvelle autobiographie, Rascal by Nature, Christian by Yearning de Levi S. Peterson (University of Utah Press, 2006).

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Ben ajouta sans explication, « je crois que tu y découvriras des affinités ». Il avait raison. Non seulement, étions-nous, Levi et moi, issus du même milieu culturel, mais nous nous trouvions également, à un moment donné, en marge de cette culture qui nous avait formés. De plus, Levi et moi avons appris le français, à la même « école » en France, lui huit ans avant moi (1954-1956). Dans Rascal by Nature, il en parle. Levi, aussi, connut une longue carrière comme professeur d’université, à Weber State University (Ogden, en Utah).

Depuis ma tendre enfance, j’avais entendu parler des nombreuses colonies mormones fondées en Arizona à la fin du XIXe siècle: entre autres Safford, Thatcher, Springerville, Heber, Taylor et bien sûr celle portant le joli nom de Snowflake, fondée en 1875 par William Flake et Erastus Snow, deux fidèles adeptes de la religion établie en 1847 sur les rives du grand Lac salé, à 1 000 kilomètres plus au nord. À la suite de ma lecture du livre de Peterson dans lequel il décrivait si lucidement et passionnément l’oeuvre pionnière de ces ancêtres dans ce désert, ainsi que son enfance et son adolescence dans une famille reconstituée aux prises, d’une part, avec la modernité et, d’autre part, avec les traditions dont les fondements avaient été polygames, je ne pouvais ne pas passer par Snowflake.

À prime abord, la déception se lisait sur mon visage. Levi Peterson m’avait prévenu par courriel que son village natal, dans son état actuel, le déprimait profondément. Dans ce village de 5 000 habitants, Il reste relativement peu de vestiges de son riche patrimoine. La rue principale est un pot pourri de bâtiments commerciaux aussi minables les uns que les autres. La bibliothèque municipale se trouve dans une espèce de cabanon recouvert de tôle. Le bijou du paysage actuel, le temple, construit en 2002, se trouve à deux kilomètres du centre du village sur une butte, rebaptisée pour l’occasion Temple Hill au lieu du nom traditionnel de Pinhead, autrefois terrain de jeux de Levi et ses amis. Un promoteur s’est servi de l’aménagement de cet édifice sacré pour aménager à proximité un terrain de golf et pour réaliser tout autour un lotissement en prévision de la construction et de la vente de maisons de prestige. Curieux mélange de sacré et de profane.

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Le sourire m’est enfin revenu en découvrant au centre du village, mais en retrait, trois maisons ancestrales ayant appartenu aux familles Flake, Freeman et Smith.

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Se rendre à Snowflake de Phoenix implique la montée vertigineuse et la descente graduelle d’une formation géologique aussi originale que spectaculaire, le « Mogollon Rim », un escarpement qui définit la limite septentrionale du plateau du Colorado. Constitué de calcaire et de grès ayant subi l’influence de l’érosion et de l’action séismique et recouvert de pins de type « Ponderosa » (Pinus ponderosa), le « Rim » qui monte jusqu’à 2 300 mètres d’altitude (dénivellation de 1 000 mètres) fait contraste avec le plateau et le désert plus bas.

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En dépit de ce qui pourrait faire croire son joli nom de flocon, il y a rarement de la neige à Snowflake.


Pris au dépourvu à ASU par Jennifer Michaud

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À la suite d’une deuxième rencontre émotive en cinq jours avec une amie d’enfance, Wendy Whitaker, au restaurant Mi Amigo’s dont elle est son mari, Noel Candland, sont propriétaires et qui est situé au coin des chemins Gilbert et Southern à Mesa, j’ai décidé de me rendre à Arizona State University (ASU) en vélo renouer avec son Département de géographie où j’avais été professeur invité en 1985-1986. J’ai découvert que le département de géographie ne s’appelait plus de même et qu’il avait déménagé dans un nouvel édifice, l’un des plus hauts du campus, le pavillon Lattie-Coors. Me trompant d’un étage–le School of Geographic Science étant situé au cinquième–j’ai trouvé quelque chose–ou plutôt quelqu’un de bien plus intéressant au quatrième. Au centre d’études médiévales et de la renaissance, je suis passé devant une porte affichant les mots suivants: Jennifer Michaud, program coordinator. Elle était entrouverte et une femme aux allures agréables travaillait devant son ordinateur. N’ayant point de gêne, j’y fais irruption: « Hum, Jennifer Michaud, joli nom français, parlez-vous français? » « Un ti peu », répond-t-elle, surprise.

« D’où venez-vous » je lui demande, « pas d’Arizona, probablement du Maine, n’est-ce pas? »

« Yes, how did you know? »

« Votre nom, your name gives you away. »

Et bien, Jennifer Michaud de Winslow, près de Waterville, au coeur de la francophonie du Maine, dont les origines sont canadiennes-française des deux bords, maternel (Labbé) et paternel, et dont le père parle français. Ce sont ses grand-parents qui ont quitté le Québec pour s’établir aux États. Venue en Arizona faire ses études, Jennifer choisit d’y rester.

« Vous êtes donc un bel exemple moderne de la diaspora canadienne-français », lui dis-je..

« I guess », balbutiait-elle.

En m’apprêtant à lui demander la permission de prendre sa photo pour alimenter ce blogue, je me trouve pris au dépourvu. Habillé en cycliste, culotte courte sans poches ni ceinture, je n’avais pas sur moi mon ‘appareil de photo!

Donc, cette fois-ci, il faut prendre ma parole. Pas de photo pour appuyer mon propos!


Retrouvailles à Tempe, AZ, grandes et petites !

En juin 1961, à Orem, en Utah, deux jeunes hommes de 18 ans terminaient leurs cours secondaire. L’un était président de tous les étudiants de l’école (Orem High School). L’autre était président de sa classe, c’est-à-dire de la promotion de 1961. Le 5 février dernier (hier), ils se sont retrouvés 48 ans plus tard, au pub irlandais et à la sellerie Rula Bula, commerce situé sur l’avenue Mill, à Tempe, en Arizona, aux abords du campus de l’Arizona State University. Retournons dans le temps. Une fois leur cours universitaire terminé à Provo, les deux jeunes issus du même milieu culturel connurent des parcours passablement différents. Le premier devint agent du Federal Bureau of Investigation (FBI). Pendant vingt-cinq ans, Bryce Christensen poursuivait sa carrière de law enforcement officer à divers endroits aux États-Unis au sein de l’une des organisations judiciaires les plus connues, les mieux cotées et, peut-être, les plus controversées de la planète. Une deuxième carrière d’une durée de neuf ans l’a vu travailler à Salt Lake City dans l’équivalent mormon de la garde suisse pontificale. Ses fonctions l’ont emmené à voyager à travers le monde et à approfondir les cultures musulmanes. Aujourd’hui, Bryce et son épouse, Elizabeth, partagent leur temps entre la petite ville de Lyman, au Wyoming, État qu’ils ont apprivoisé et appris à aimer, et Maricopa, ville de villégiature située à proximité de Phoenix. Leurs cinq enfants sont parsemés à travers les États-Unis.

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Le deuxième, votre humble serviteur, a choisi de s’installer à l’abri de la juridiction du FBI, lui préférant celle de la GRC et de la Sûreté du Québec!! Celui-ci devint professeur à l’université Laval et vous connaissez le reste de l’histoire.

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Difficile à décrire ce que nous avons ressenti hier, Bryce et moi, en tombant dans les bras l’un de l’autre–oui. littéralement et sans honte aucune–en pleine rue de Tempe. Les liens d’amitié forgés lors de l’enfance et de l’adolescence sont comme une bonne chaîne, les maillons résistant à la patine du temps jusqu’au jour où elle peut de nouveau servir. J’en ai eu la preuve hier. Voilà, pour ce qui est des « grandes » retrouvailles.

Les « petites retrouvailles »? En octobre dernier, je racontais sur ce blogue mon passage à Phoenix comme conférencier. À cette occasion, j’avais promis à la professeure Hélène Ossipov que si je revenais ici en hiver, j’accepterais volontiers de passer une heure avec elle et ses étudiants afin de leur parler du Québec et de la Franco-Amérique. Promesse faite, promesse tenue. Hier, après avoir rencontré Bryce, je me suis rendu par beau temps au Durham Language and Literature Building rencontrer Mme Ossipov, une fervente du Québec qui le fréquente depuis une vingtaine d’années, et ses neuf étudiants.

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J’ai commencé ma présentation–qui fut très informelle soit dit en passant–par une dédicace. Je l’ai dédiée à ce grand anthropologue des petites choses et mon collègue à Laval, Bernard Arcand, qui venait tout juste de s’éteindre. Cela nous a permis d’aborder plusieurs sujets: hiver, grâce à son livre Abolissons l’hiver; cinéma, par le biais de ses deux frères, Denys (directeur) et Gabriel (comédien) et littérature (Les Plouffe, création de Roger Lemelin dans laquelle Gabriel joue le rôle d’Ovide). Ensuite, je leur ai demandé pourquoi qu’il existait des organisations telles l’American Council for Québec Studies ou l’Association internationale d’études québécoises. Comment justifier cela alors qu’il n’existe pas d’American Association of Alberta Studies ou Ontario Studies et qu’il n’existe pas non plus d’Association internationale d’études virginiennes, l’État de Virginie comptant le même nombre d’habitants que le Québec? Plusieurs réponses ont surgi: sa différence, sa persistance, sa persévérance, sa détermination, son potentiel de redéfinir la carte politique de l’Amérique du Nord… Enfin, je leur ai dit : « à bien vous écouter, je dirais que le Québec, tel qu’il est, est un miracle ». Tous convenaient que j’avais raison et nous avons ensemble essayé d’expliquer ce « miracle », ce qui n’est pas évident en 30 minutes!

Ce qu’il faut retenir de ces petites retrouvailles, c’est que très loin du Québec, il y a un certain intérêt–je dirais même un intérêt certain–pour ce qui s’y passe. Une passion pour leur lieu d’origine existe chez les Québécois que j’ai rencontrés ici en octobre qui ont choisi de vivre ici en permanence ou en attendant le retour au pays. Sans pouvoir parler de passion chez les étudiants, il persiste néanmoins chez Ashley King de Phoenix (AZ), David Lowrimore de Dallas (TX), Elise Legge de Phoenix (AZ), Ashley Coogan de Baltimore (MD), Patrick Kunnemund de Phoenix (AZ), Brian McLoughlin de Herndon (VA), Meghan Wells de Kansas City (MO) et Jane Evans de Smithville (TN), tous inscrits au cours FRE-472, Franco-Canadian Civilization à ASU, une curiosité à toute épreuve.

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En prenant congé d’Hélène et de ses étudiants, j’ai couru le long de l’avenue Collège afin de monter à bord du nouveau métro de surface qui dessert depuis le 28 janvier Phoenix et sa région (La Vallée du soleil). Après avoir évoqué en classe quelques minutes plus tôt les grandes entreprises multinationales québécoises telles que Softimage, CGI, Desjardins, Cirque du Soleil et Bombardier, j’avais hâte de voir si les rames du nouveau métro avaient été fabriquées à la Pocatière. Hélas, non. Il s’agit de technologie japonaise appliquée par la compagnie Kinkisharyo.

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