Le 17 août dernier, à l’Auberge Marie Blanc, située sur les rives du lac Témiscouata, à la demande des sœurs Sirois, propriétaires de la maison, j’ai prononcé, dans le cadre de la programmation du Congrès Mondial Acadien, une conférence sur mes aventures en Franco-Amérique.
Parmi la douzaine de personnes présentes se trouvaient deux amis venus de loin, Mike et Angela LeBlanc, de Lafayette, en Louisiane. Je les avais connus, jeunes mariés, en 1978. Mike faisait partie de l’équipe du Projet Louisiane (voir billet précédent). Nous lui avons affecté à Port Neches, petite ville voisine de Beaumont, première grande ville à pénétrer au Texas, en roulant sur le I-10, après avoir traversé la rivière Sabine, frontière entre la Louisiane et le deuxième plus grand État américain. Pour son mémoire de maîtrise, Mike avait réalisé des entrevues dans un petit quartier portant le nom de Ti-béville. Toutefois, c’était plus qu’un travail de recherche. Il s’agissait aussi d’une plongée profonde dans le passé de sa famille—son passé, car au cours des années 20 et 30, toute la Louisiane française et, en particulier, son village natal, Abbeville, subissait une hémorragie démographique importante. Les hommes partaient pour le Grand Texas « chercher l’ouvrage dans les champs d’huile » (find work in the oil fields/obtenir du travail dans l’industrie pétrolière). Le père à Mike en faisait partie, s’installant, avec bien d’autres travailleurs d’Abbeville, à Port Neches, d’où le nom du secteur, Ti-béville.
À ce moment-là, Mike et Angela ne le savaient pas, mais à peine dix ans après ses travaux de maîtrise, Mike s’engagerait lui-même, afin de gagner sa vie, dans la rude industrie pétrolière, pas au Grand Texas, mais off-shore, sur les puits de forage au large de la côte du Golfe du Mexique. Il y découvrit des talents insoupçonnés, des habilités très pratiques, qui complétaient bien sa formation universitaire d’anthropologue et firent de lui un digne candidat au poste d’urbaniste à la ville de Lafayette, fonction qu’il occupe depuis une quinzaine d’années.
C’était donc avec joie qu’au Congrès Mondial Acadien, j’ai retrouvé le couple LeBlanc à Notre-Dame-du-Lac, certes, mais aussi le lendemain, à Grand Sault, au Nouveau-Brunswick, à l’occasion de la journée louisianaise.
En novembre, sachant que je passerais bientôt par Lafayette, j’ai repris contact avec eux. Bien sûr, ils m’ont offert le gîte. Puisque leur résidence se situe au centre d’un labyrinthe dans un de ces quartiers aménagés par et pour les « Amaricains » (nom que donnent les Cadiens aux anglo-Américains—largement « Texien »–venus dans leur ville au moment du boum du pétrole), donc difficile d’accès pour le visiteur occasionnel, nous nous sommes donnés rendez-vous un dimanche après-midi au Parc Girard, sur le terrain de pétanque.
C’est ici que Mike organise régulièrement des compétitions qui réunissent des francophones, leur offrant l’occasion de fraterniser et de parler français dans un contexte décontracté et ludique. Depuis cinq ans, il s’occupe également de la coordination d’une « table française » qui rassemble le vendredi après-midi, dans un restaurant, des Franco-Louisianais désireux de conserver leur héritage linguistique.
Ce dimanche après-midi-là, Michael Vincent s’était déplacé de Bâton Rouge jouer. Je l’avais rencontré précédemment au Canada lors d’une des nombreuses activités mises sur pied par le Centre de la Francophonie des Amériques dans le but de promouvoir et de mettre en valeur une francophonie continentale porteuse d’avenir. Michael vient tout juste de terminer son doctorat en chimie à Louisiana State University et fait partie de la jeune relève que je n’aurais pas pensé possible il y a bientôt 40 ans lorsque j’ai commencé à rouler ma bosse en Louisiane.
Ce soir-là, chez Mike, rue Fernhill, en tablée, nous avons jasé jusqu’aux petites heures de l’avenir du français en Louisiane et surtout de la possibilité pour les jeunes de la nouvelle génération de Franco-Louisianais de se servir de cette langue dans leur vie de tous les jours. Il y a longtemps (1916), le français fut banni des cours d’école en Louisiane. Comme punition d’avoir contrevenu à la règle, les élèves devaient écrire 100 fois (au moins) au tableau noir « Je ne parlerai plus français à l’école ». Ce n’est que récemment que l’on lui ait fait une petite place dans le système scolaire !
Sauver le français en Louisiane n’est pas une mince tâche ! Chapeau à tous ces Mike LeBlanc et Michael Vincent qui travaillent à l’ombre à le faire.