« Madame, vous n’êtes pas une personne ! »

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En 2012, la Première ministre du Québec, Pauline Marois (première et seule), a dévoilé sur le terrain de l’Assemblée nationale un monument rendant hommage à trois femmes d’exception : Idola Saint-Jean (1880-1945), Thérèse Forget Casgrain (1896-1981) et Claire Kirkland-Casgrain (1924-2016). La première fonde en 1922 le comité provincial et en 1927 l’Alliance canadienne pour le vote des femmes. De 1928 à 1942, la seconde est présidente de la Ligue pour les droits de la femme. La troisième a eu 16 ans l’année où les efforts des deux autres ont porté fruit, les femmes au Québec obtenant enfin, en 1940, le droit de vote. Par la suite, Kirkland-Casgrain devient la première femme à siéger à l’Assemblée législative du Québec, la première femme membre du Conseil des ministres et la première femme pour qui, au moment de son décès récent, l’État organisera des funérailles nationales.

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Hier, en me promenant au centre-ville de Calgary, tout à côté de la Plazza olympique, en face de l’hôtel de ville, j’ai découvert un autre monument du même genre et le groupe du « Famous Five », cinq femmes fortes ayant lutté d’abord en Alberta, puis à Ottawa, pour que la femme soit reconnue comme « personne ».

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Le 18 octobre 1999 fut érigé sur ce site par la ville de Calgary cette sculpture réalisée par Barbara Paterson afin de commémorer le 70e anniversaire du cas « personne » et de souligner les réalisations du « Famous Five ».

D’abord, un peu de contexte : une question d’égalité. Est-ce que le mot « personne » à l’article 24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 désigne aussi les femmes ? Celui-ci traite de la nomination des sénateurs.

C’est qu’en 1916 l’autorité d’Emily Murphy, depuis peu nommée magistrate de police de l’Empire britannique fut mise à l’épreuve car, d’après l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, le mot « personne » désignait toujours des hommes et seulement, à l’occasion, des femmes. Par la suite, Madame Murphy voulut devenir la première sénatrice au Canada. Trois premiers ministres consécutifs refusèrent de la nommer puisqu’elle n’était pas considérée comme une « personne ». Enfin, en 1927, Emily invite quatre Albertaines bien connues chez elle à Edmonton pour trouver les moyens de corriger cette injustice. Les « Célébres 5 » :

Emily Murphy (1868-1933) : première juge féminine de l’Empire britannique.

Irene Marryat Parlby (1868-1965) : leader des fermières, activiste politique et première femme à faire partie du Conseil des ministres en Alberta.

Nellie Mooney McClung (1873-1951) : suffragette, membre du parlement de l’Alberta de 1921 à 1926.

Louise Crummey McKinley (1868-1931) : première femme à avoir été élue à une assemblé législative au Canada ou dans le reste de l’Empire britannique.

Henrietta Muir Edwards (1849-1931) : avocate des femmes au travail, auteure et membre fondatrice de l’Ordre victorien des infirmières.

Le groupe réussit à convaincre le gouvernement du Canada à faire opposition au Conseil Privé de la Grande-Bretagne, la plus haute cour d’appel du pays. Le 18 octobre 1929, celui-ci déclara que « …le mot ¨personne¨ à l’article 24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique décrit à la fois les hommes et les femmes ». Cela constitue une victoire historique en matière constitutionnelle au Canada. Ce triomphe devint un symbole de l’égalité entre les sexes.

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En lisant la notice biographie de chacune de ces femmes et en examinant leur statue, je ne pouvais m’empêcher de me poser des questions en ce qui concerne les liens qu’elles auraient pu avoir avec les Québécoises honorées devant l’Assemblée nationale en raison des luttes similaires poursuivies à la même époque, celles de faire des femmes des personnes !


Centre du patrimoine de la GRC, que d’histoire glorieuse

C’est ici, à Régina, à l’école de la GRC, Division Dépôt, que tous les membres de la police montée reçoivent leur formation de base. Cette force policière existe depuis sa création en 1873, par un acte parlementaire, signé de la main du Premier ministre John A. MacDonald dont le but avoué était d’administrer pacifiquement le vaste territoire de la terre de Rupert que la Compagnie de la Baie d’Hudson venait de céder au nouveau pays, le Canada. Il s’agissait, en principe, d’une tentative de réduire les frictions entre les commerçants de fourrures et des peuples autochtones. Tout aussi important, cependant, la formation de cette police, modelée sur la Royal Irish Constabulary, que MacDonald connaissait bien, visait à assurer l’emprise d’Ottawa sur les Territoires du Nord-Ouest et celui d’outre Rocheuses, la future Colombie britannique, convoités par les États-Unis d’Amérique toujours en expansion. La formation de la Police montée du Nord-Ouest et sa grande marche de 1874, pavèrent la voie aussi pour l’éventuelle construction du chemin de fer.

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En 2007, le Centre du patrimoine de la GRC ouvrit ses portes afin de présenter l’histoire de cette force policière. La bâtisse est caverneuse, divisée en six rayons thématiques chacun interprétant un aspect « glorieux» des Tuniques rouge (Red Coats) :

  1. Créer la police montée
  2. Maintenir la loi et de l’ordre dans l’Ouest
  3. Protéger le Grand Nord
  4. Servir tout le Canada
  5. Préserver la tradition
  6. Résoudre le crime

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Pendant la saison estivale, pour faire revivre l’histoire locale, se tient devant le Centre, deux fois par jour, une pièce de théâtre d’une durée de 40 minutes mettant en évidence la rencontre entre Major Walsh de la Northwest Mounted Police, Sitting Bull, chef des Sioux, Léo Léveille (Métis), quelques Cris et trois chevaux. Un peu simpliste, mais divertissant… Pour mieux plonger dans cette réalité, je préfère les écrits romanesques de Guy Vanderhaeghe (The Englishman’s Boy, The Crossing, A Good Man).

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Comble de malheur en ce qui me concerne ! Dans cet immense Centre du patrimoine de la GRC, ne se trouve aucune trace de Louis Riel. Pourtant c’est ici même que s’est produit un événement majeur de l’histoire canadienne, une parodie de justice qui a secoué le Canada tout entier, ainsi que certaines communautés canadiennes-françaises de la Nouvelle-Angleterre : la pendaison le 16 novembre 1885 du père du Manitoba,  personnage emblématique et légendaire de la Franco-Amérique.

À ma question « Why is there nothing here about Riel ? » (Pourquoi n’y a-t-il rien ici  sur Riel ?), la préposée répond : « Ah, for that, best go to Batoche » (Pour cela, il vaut mieux aller à Batoche ! »)

Évidemment, l’aboutissement au bout d’une corde de Louis Riel détonne de l’histoire « héroïque » de la Gendarmerie royale du Canada. Cela relève davantage de son histoire « honteuse » !


Autre arrêt au Red Top

J’ai deux petits-fils qui se marient en Alberta, le premier, Spencer, le 15 juillet, le deuxième, Karl-Éric, le 6 août. Le 5 juillet, donc, nous avons entamé un voyage rapide de 3 800 km afin d’assister aux deux. Les deux premiers jours, nous avons parcouru plus 800 km chacun. La première nuitée à North Bay, en Ontario, la deuxième à Marquette, au Michigan.

Saviez-vous que le chemin le plus court entre Québec et Calgary passe par les États-Unis ? On y entre à Sault-Sainte-Marie. Pour retourner au Canada, après avoir traversé le Michigan, le Wisconsin et le Minnesota, le choix est illimité.

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Évidemment, il faut quand même prendre le temps de manger. Nous avons arrêté, une fois de plus, au Red Top Motor Inn, à Iron Bridge, en Ontario, où le voyageur peut consommer la meilleure bouffe disponbile sur la Trans-Canada, entre Montréal et Winnipeg. Je vous en ai parlé il y a deux ans :

https://blogue.septentrion.qc.ca/dean-louder/2014/07/26/retrouvailles-en-algoma/

Cette fois-ci, j’ai pris le « whitefish du lac Huron » et je n’ai pas regretté. De nouveau, miam, miam ?

Greg, l’un des rares Anglo-Canadiens à avoir étudié en géographie à l’Université Laval, est encore là à servir les tables, tandis que son ami, s’occupe de la cuisine. Ils tiennent boutique de mai en octobre. Puis, ils ferment et partent pour l’Asie faire du vélo.

La vie est belle !


Chiniquy: une promenade dans le cimetière de Sainte-Anne (Illinois)

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Charles Chiniquy, figure légendaire du Québec des années 1840, est né en 1809. À la suite des études réalisées au Petit Séminaire de Nicolet, il fut ordonné prêtre en 1833. Aujourd’hui, qui se souvient de ce fils de Kamouraska qui a tant brassé la société canadienne-française de l’époque, ainsi que ses supérieurs ecclésistiques, au point où Monseigneur Ignace Bourget l’a banni aux lointaines colonies canadiennes-françaises du Midwest américain ?

À Saint-Anne, en Illinois, à 100 km au sud de Chicago, on s’en souvient, on le vénère. Une des rues principales qui passe à côté de l’église, érigée quinze ans après sa suspension et son éventuelle excommunication par son évêque, Anthony O’Regan, porte son nom.

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Oui, Chiniquy a laissé sa marque partout où il est passé. Son conflit avec la hiérarchie irlandaise dans la défense des droits des Canadians français lui a valu une poursuite par l’Église, par l’intermédiaire d’un paroissien puissant, Peter Spink. Pour se défendre, Chiniquy eut recours à un jeune avocat du nom d’Abraham Lincoln. En 1858, Charles quitte l’Église romane pour de bon et passe le reste de sa vie à essayer de convaincre les autres Catholiques à faire de même. Avant de mourir à Montréal en 1899, à l’âge vénérable de 90 ans, il publiera en 1885 ses mémoires : Cinquante ans dans l’Église de Rome.

 

 

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Une fois libéré du joug du Catholicisme, Chiniquy essaya tant bien que mal d’attirer des adeptes vers lui et sa nouvelle forme de protestantisme. À juger des noms qui figurent sur les pierres tombales au cimetière catholique Sainte-Anne, sa tentative fut plutôt vaine. En voici un petit échantillon qui témoigne, une fois de plus, de la dimension continentale de la civilisation canadienne française. Ce sont des gens dont le foyer ancestral est la Vallée du Saint-Laurent, avec bien sûr et toujours un brin d’Acadien.

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Saint-Joseph et les Robidoux

Vous rappelez-vous la belle série d’émissions animées autrefois à Radio-Canada par Serge Bouchard, Les remarquables oubliés ? L’une de mes préférées portait sur la famille Robidoux. Joseph Robidoux II est né à La Prairie en 1722. Son premier fils, Joseph III, dont la mère était Marie-Anne LeBlanc est né à Saint-Louis en 1749. Ce dernier Joseph fut élevé à Saint-Louis où il s’est marié avec une fille de la ville, Catherine Rollet. Ensemble, ils eurent six fils qui ont survécu : Joseph IV, François, Pierre, Antoine, Louis et Michel. Très tôt, le père les a initiés à la traite des fourrures. Des six frères, ce sont Joseph et Antoine les plus connus—mais quand même méconnus dans l’historiographie québécoise de nos jours.

Né en 1783, Joseph effectue, vers 1800, en tant que trappeur, son premier voyage sur le Missouri. Pendant une quarantaine d’années il roule sa bosse sur ce fleuve établissant, en 1809, un poste de traite, près de ce qui est aujourd’hui Omaha, au Nebraska. En 1822, il l’a vendu à l’American Fur Company. Pendant cette période, il se marie deux fois, d’abord à Eugénie Delisle qui meurt en couches, puis à Angélique Vaudry. Il sera engagé par l’American Fur Company pour établir un poste de traite à proximités des terres appartenant aux Amérindiens, près de l’actuelle ville de Saint-Joseph dont il deviendra, grâce à ses négociations pas toujours très catholiques avec les tribus locales, le fondateur et premier résident.

Aujourd’hui, en traversant le Missouri pour arriver à Saint-Joseph, on aperçoit une statue qui n’a rien à voir avec Joseph Robidoux. Il s’agit plutôt d’une statue impressionnante qui souligne la fonction qu’a tenue Saint-Joseph pendant la ruée vers l’or en Californie et au cours des années subséquentes.

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À partir de 1848, cent mille « héroïques Américains » (oui, c’est ce qui est écrit) sont passés par ici en route vers l’Ouest en quête de richesse et d’une meilleure vie. C’est ici qu’ils se sont équipés avant de se faire transporter par traversier de l’autre côté pour entamer leur voyager contribuant ainsi à faire leur part dans la transformation des États-Unis en « empire » (oui, c’est encore ce qui est écrit !). Un groupe brille par son absence, les miséreux Mormons évacués par la force de Nauvoo, leur forteresse sur le Mississippi vers la Vallée du Grand Lac salé en 1846. Ils furent rejoints tout au cours des 1850 par des convertis européens largement arrivés aux États-Unis à la Nouvelle-Orléans par ensuite atteindre par voie fluviale Saint-Louis et, éventuellement, Saint-Joseph où ils s’approvisionnaient  avant poursuive leur chemin. Aucune mention.

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En face de la statue, l’autre côté de la rue, les panneaux indiquent la direction vers divers points d’intérêt de la ville, y compris le musée du Pony Express, car d’est de Saint-Joseph que partait le cavalier au galop pour livrer le précieux courrier aux habitant de l’Ouest, la maison du fameux bandit, Jesse James, qui a terrorisé l’État du Missouri tout au cours des années 1860 et 1870 et la « rangée Robidoux, autrefois le poste de traite de Joseph IV autour duquel la ville de Saint-Joseph s’est bâtie. Aujourd’hui, classée monument historique, elle loge la société historique.

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Afin de ne pas faire de jaloux dans la famille Robidoux, il faut mentionner Antoine, le cadet de Joseph, lui beaucoup plus nomade que son frère dont le rayonnement était moindre. Dans le but de promouvoir l’entreprise familiale, celui-ci s’est aventuré vers le sud-ouest s’établissant à Santa Fe, au Nouveau-Mexique, où il a pris la citoyenneté mexicaine et s’est marié avec Carmen Benevides, fille du gouverneur. Les deux choses aidant, Antoine obtenait une licence quasi exclusive pour commercer sur de vastes territoires comprenant la moitié des États de l’Utah (est) et du Colorado (ouest). En 1828, il construit le Fort Uncompahgre, situé à la confluence de la Gunnison et de la Uncompahgre.

Une ville fascinante à visiter, Saint-Joseph, au Missouri, qui évoque deux vies exceptionnelles:

Joseph Robidoux IV (1783-1868)

Antoine Robidoux (1794-1860)