Pourquoi je vivrais bien à Montréal…

…en deux mots: Marché Jean-Talon, …et en quelques photos :

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Je fréquente ce magnifique assemblage de fruits et légumes et d’ethnies montréalaises de façon assidue depuis que mon ancien étudiant, devenu collègue, Claude Marois, géographe à l’université de Montréal me l’a fait découvrir il y a 35 ans. À tous les deux, dans le cadre d’un cours  » Géographie de la population », moi et mes étudiants venions passer une fin de semaine à sillonner les rues et ruelles de la métropole à la recherche de cet autre Québec que l’on ne voit pas ou si peu de Québec et des régions et que Claude, Pierre Anctil, feu Georges Anglade, décédé lors du séisme à Port-au-Prince, André Carpentier et d’autres hommes de terrain ont bien voulu nous montrer et nous faire comprendre. Quartier chinois, secteurs des Grecs et des Portugais, la Saint-Urbaine de Mordecai Richler et de sa création Duddy Kravitz, les nouveaux quartiers juifs à l’Ouest et le Montréal-Nord des Haïtiens…pour ne nommer que ceux-là.

Pour les étudiants de Québec, venir à Montréal, c’était comme faire un voyage à l’étranger! Et au cœur—toujours au cœur des ces explorations—le Marché Jean-Talon autour duquel s’était développé la Petite Italie avec des institutions comme la Casa d’Italia, construite en 1930 pour desservir la communauté en devenir et la paroisse Notre-Dame-de-la-Défense (Chiesa della Madonna della Difesa), situé au 6800 avenue Henri-Julien, dont l’ombre le matin tombe sur le marché et dont le plafond est orné d’une fresque du grand Benito Mussolini en sellel.

À l’époque, j’avais du mal à comprendre pourquoi le jeune Marois s’était senti si dépaysé et si malheureux à Québec pendant les années qu’il faisait sa scolarité de doctorat à Laval.

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Claude Marois, géographe, Université de Montréal

Aujourd’hui, je comprends mieux. Québec n’est pas Montréal! Heureusement, diraient les inconditionnels de la Vieille Capitale!


Une prise de parole ce soir au Marché Bonsecours, Montréal

Vagabondage savant à travers la Franco-Amérique

Dean Louder

Congrès sur l’Amérique française (séance d’ouverture)

Montréal, 20 mai 2011

Au moment de la Crise d’octobre 1970, je mettais les pieds, pour la première fois, au Québec, île principale de l’Archipel franco d’Amérique. Je n’ai pas eu peur, au contraire! Il s’agissait d’une occasion rêvée pour me plonger dans un nouveau milieu, pour apprivoiser une culture originale et dynamique et pour faire mienne une histoire passionnante qui se poursuit. J’ai choisi d’explorer la dimension continentale des Québécois…et, par ricochet, celle des Acadiens!

Le but de ma courte intervention aujourd’hui est de raconter et de décortiquer cette quête qui s’inspire de la tradition canadienne d’errance telle que manifestée dans les travaux amorcés par le géographe Christian Morissonneau et illustrée dans les œuvres littéraires de Jack Kerouac, de Gabrielle Roy, de Jacques Poulin, de Deni Y. Béchard et, tout récemment, de Michel Tremblay.

La géographie de la Franco-Amérique (Fig. 1)

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Fig. 1

Pour découvrir, comprendre et apprécier la Franco-Amérique, il faut se mettre dans la peau de ceux qui l’ont parcourue, qui en ont jeté les bases : voyageurs, coureurs de bois, missionnaires et gens du peuple. Ils se sont établis au cœur des grands bassins versants du continent, c’est-à-dire le long des fleuves et ensuite le long des axes ferroviaires qui suivaient les voies fluviales et qui privilégiaient l’occupation des basses terres : les vallées du Saint-Laurent, du Mississippi et de là rivière Rouge, en l’occurrence, mais aussi la côte est, la côte ouest et celle du golfe du Mexique.

La Franco-Amérique des recensements

Le point de départ de cette quête est la carte des franco d’Amérique, autant celle de ceux qui parlent français que celle de ceux qui se réclament d’origine française sans nécessairement parler la langue. Dans leur expression la plus récente, ces cartes s’expriment ainsi : (Fig. 2)

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Fig.. 2 (gauche): communauté historique

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Fig. 2 (droite): communauté vitale

Celle à droite dépeint une « communauté vitale », aux prises, sur une base quotidienne et à divers degrés, avec le maintien de la langue. Celle à gauche, cerne une « communauté historique » ne parlant pas toujours français, mais possédant souvent un sentiment viscéral d’identité franco rattaché à une mémoire collective remarquable. Leur lutte est d’un ordre différent, moins linguistique qu’identitaire.

Sur les traces des Franco d’Amérique

Notre exploration de la Franco-Amérique est divisée en deux parties. Pendant un quart de siècle (1977-2002), l’Université Laval a servi de tremplin pour redécouvrir une réalité cachée depuis au moins une génération, celle d’un Québec plus grand que celui visible sur la carte, d’un Québec connu des aînés et oublié ou mis au rancart par les plus jeunes. Depuis 2003, ma quête des franco d’Amérique, de toute origine, continue de plus belle dans la plupart des coins et recoins du continent.

La quête par l’enseignement (Fig, 3)

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Fig. 3

C’est dans le cadre d’un cours, Le Québec et l’Amérique française, offert au Département de géographie de l’Université Laval que les premières « expéditions » eurent lieu. Le cours s’est donné pour la première fois en 1979, sans excursion…et sans succès. Nous avons appris qu’il ne s’agissait pas là d’une matière qui puisse s’enseigner exclusivement dans une salle de cours. Il fallait faire comme les voyageurs : voyager, se rendre en ce que l’on appelle communément aujourd’hui le « milieu minoritaire », les fruits de la Révolution tranquille ayant décrété que le Québec constitue désormais un « milieu majoritaire ». À partir du deuxième cours, un déplacement sur le terrain s’imposa. De 1980 à 2002, à tous les mois d’octobre, pendant la semaine de lecture (de relâche), nous partions trois jours, cinq jours, huit jours—selon le lieu visité—sur le terrain afin de rencontrer chez eux Acadiens, Franco-Ontariens, Franco-Américains, Franco-Albertains, Franco-Terreneuviens, Floribécois, Haïtiens, Créoles ou Cadiens. Nous avons vécu des rencontres sous le signe de l’amitié et de la fraternité en Nouvelle-Angleterre, des confrontations épiques comme au soir du Référendum du 30 octobre 1995 à Sudbury, des manifestions de joie débridée lors de la première levée du nouveau drapeau franco-terreneuvien à Cap-Saint-Georges. Par la même occasion, nous avons été fiers de hisser le 24 juin le drapeau fleurdelisé du Québec sur les hauteurs surplombant Grand’terre. À l’île à la Crosse, dans le nord de la Saskatchewan, les Québécois et les Métis ont trouvé très difficile à se parler et non pas qu’en raison de la différence linguistique. À Edmonton et à Toronto, nous avons été témoins du désarroi des nouveaux immigrants francophones d’Afrique devant les difficultés d’intégrer les communautés franco-albertain et franco-ontarien. La froideur de nos relations avec les hyper capitalistes Québécois en Floride nous a surpris et choqués. Par contre, la chaleur de nos rapports avec les Haïtiens démunis habitant à proximité, mais ayant peu de contact avec les Floribécois, nous a épatés. En Acadie, nous avons connu l’émerveillement devant le coopératisme chez les Acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard et la créativité des artistes au Centre Aberdeen de Moncton. En Louisiane, nous avons appris que les Cadiens ne sont pas que des Acadiens du Sud et que les Créoles de couleur y sont bien enracinés depuis deux siècles.

Tant d’images! Tant de souvenirs! À la suite de ces expéditions à l’extérieur de la vallée du Saint-Laurent, comme les coureurs de bois d’autrefois, nous revenions à la maison la tête pleine d’idées, les journaux de bord remplis à craquer d’informations et de réflexions et les mallettes et sacs à dos débordant de documents.

La quête en solitaire (Fig. 4)


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Fig. 4: le transport

À partir du 1er septembre 2003, n’ayant plus d’attaches à l’Université Laval, j’ai modifié la nature de ma démarche. À la manière de Jack Waterman, parti de Gaspé pour San Francisco à la recherche de son frère errant, Théo, dans le roman Volkswagen Blues de Jacques Poulin, je me suis installé dans mon Safari Condo (Waterman dans son Volkswagen Westphalia) et j’ai pris la route afin renouer avec les Franco égarés à travers l’Amérique. Trois grands voyages en deux ans, 65 000 km parcourus en 240 jours ! Les observations furent dûment consignées au site Internet du défunt Conseil de la vie française en Amérique (CVFA).

Plus récemment, de mai 2008 à septembre 2010, aux intervalles irréguliers, quatre autres voyages permirent de retraverser les Pays d’en haut, l’Ouest canadien et l’Ouest états-unien. Ces traversées donnèrent lieu à d’autres rencontres fortuites et insoupçonnées. La malheureuse fermeture du CVFA en septembre 2007 a nécessité le transfert des anciens et nouveaux récits de voyage—à l’heure actuelle au nombre de 256—au site internet des Éditions du Septentrion (www.septentrion.qc.ca), sous la rubrique « Blogues des auteurs »).

Que retenir de cette quête amorcée il y a bientôt 30 ans? Beaucoup de choses : des émotions fortes, de l’hospitalité sans borne, des perceptions et des sentiments de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui pourrait être, si les forces vives de la Franco-Amérique pouvaient un jour se consolider. Sur les plans géographique et identitaire, la démarche mène à la conclusion qu’il existe aujourd’hui une hiérarchie de manifestations du fait français en Amérique : des lieux d’histoire, de mémoire et de vie.

Hiérarchie de la francité

Lieux d’histoire

D’est en ouest, du nord au sud, il y a les régions et les lieux où la francité se limite à un fait d’histoire, inscrit uniquement sur des plaques commémoratives, sur des affiches publicitaires ou dans les livres. Quel meilleur exemple que l’île Sainte-Croix! (Fig. 5) À peine dix kilomètres au nord-ouest de St. Andrews by the Sea (Nouveau-Brunswick), au milieu de la baie de Passamaquoddy, se situe cette île, si petite en superficie, si grande en portée historique! En 1604, Pierre du Gua, sieur de Monts, gentilhomme et courtisan français, accompagné de Samuel de Champlain, y établit un avant-poste. Cet établissement constitue la première tentative de colonisation permanente réalisée par les Français sur le territoire qu’ils appellent La Cadie ou l’Acadie. Cette expérience leur fait acquérir les connaissances nécessaires pour s’adapter au milieu et pour créer des liens avec les peuples autochtones. Celles-ci serviront de base à l’établissement d’une présence française permanente dans le nord-est de l’Amérique et, par la suite, dans la région des Grands lacs et plus loin encore. Un deuxième exemple d’un lieu d’histoire est celui de Gallipolis (Ohio), (Fig. 6) ville des Gaules, fondée en 1790 par 500 membres de la bourgeoisie française fuyant la révolution dans leur pays. Moins de 20 ans plus tard, victimes de l’arnaque immobilière de la part des promoteurs de la compagnie Scioto, ils étaient déjà partis sans laisser de traces, mais celles-ci ont réapparu symboliquement 200 ans plus tard. Enfin, troisième exemple, French Gulch (Californie). (Fig. 7) En 1848, Pierson Reading a découvert de l’or dans la gorge de la Trinité, à mi-chemin entre Eureka et Redding. La nouvelle s’est vite répandue. L’année suivante, les Canadiens français de l’Orégon fondèrent cette localité située au creux d’un vaste ravin au cœur des montagnes et, en 1856, y bâtirent l’église Sainte-Rose, totalement détruite par le feu en 1998. Aujourd’hui, du français, il ne reste que le nom!


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Fig. 5: Île-Sainte-Croix

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Fig. 6 Gallipolis, Ohio

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Fig. 7: French Gulch, Californie

Lieux de mémoire

Il y a ces lieux où la francité est un fait de mémoire qui s’exprime à travers des sociétés historique et généalogique et par une multitude de gestes isolés, centrés sur ce que les gens appellent leur « héritage ». Cette volonté fragmentaire de remémorer est particulièrement répandue dans le Midwest américain, ainsi que sur la côte ouest. (Fig, 8) Au Missouri, au pied des Montagnes aux arcs (Ozarks), à la Vieille Mine, sous l’égide de la Old Mines Area Historic Society (OMAHS), s’organise deux fois l’an, au printemps et à l’automne, un festival patrimonial, l’un savant, l’autre populaire. Dans la vallée de la rivière Rouge (Fig 9) que partagent les États du Dakota du Nord et du Minnesota, une association culturelle, IF-Midwest (Initiatives en français Midwest), vise une meilleure compréhension du fait français dans la région. Son premier champ d’action est la collecte d’informations auprès des centaines de personnes ayant des connaissances approfondies des communautés se trouvant de part et d’autre de la rivière et étant, à l’origine, entièrement ou partiellement de langue française. Du 24 juillet au 5 août 2009 s’effectua le premier voyage patrimonial des Franco-Américains du Midwest—de la Grande fourche, au Dakota du Nord (Grand Forks) jusqu’à Québec en passant par Duluth, Sault-Sainte-Marie, Sudbury, Ottawa, Vaudreuil, Montréal et Trois-Rivières. En 1827, à French Prairie, en Orégon (Fig. 10), les Canadiens français, voyageurs et trappeurs travaillant pour le compte de la Compagnie de la baie d’Hudson, s’installent dans la vallée de la Willamette. Ici, dans ce « milieu édénique », ils prennent femmes parmi les Kalapuyans. Dix ans plus tard, ils seront entre 60 et 70 familles habitant cinq villages : Butteville, Champoeg, Saint-Paul, Saint-Louis et Gervais. Champoeg fut deux fois détruite par les inondations de 1861 et de 1891, mais son site existe aujourd’hui en tant que parc historique. Les autres villages demeurent et comptent parmi leurs citoyens de nombreux descendants des premiers habitants. À l’arrivée des Américains via le Oregon Trail, ces Canayens étaient déjà là depuis une génération. Devant la pression démographique, culturelle et politique de ces nouveaux immigrés, les Franco-Métis fondèrent d’autres communautés ailleurs sur le territoire qui deviendra, après partition, celui de Washington.

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Fig. 8: Pashia = Pagé, Osia = Auger, Degonia = Desgagnés, Courtway = Courtois

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Fig. 9: Voyage patrimonal : 3 femmes Savard du Dakota chez Yvette Savard à Loretteville, QC

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Fig. 10: Frenchtown, Washington, près de Walla Walla

Lieux de vie, de société

Enfin, il y a de ces lieux où la francité est un fait de vie. Ils sont surtout au Canada, mais se trouvent également, jusqu’à un certain point, ici et là, en Louisiane et en Nouvelle-Angleterre. Dans ces lieux de vie, la modernité est de mise. Toutefois, l’éventail des réalités est vaste, allant de situations où il est surtout question de conserver une gamme réduite d’acquis au niveau institutionnel, comme en Nouvelle-Écosse et en Louisiane, à celle où l’État même et la vie de tous les jours—la vie de société—s’expriment en français.

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Fig. 11: Assemblée nationale à Québec

D’abord, le Québec (Fig. 11), seul État francophone en Amérique—le français étant sa langue officielle—se caractérise par un nationalisme civique, manifeste une culture d’ouverture et de convergence et peut prétendre être la mère patrie d’une population deux fois et demie plus grande que la sienne. Il est indiscutablement la plaque tournante de la Franco-Amérique. Puis, île Madame, (Fig. 12) à peine 15 km de long et 8 km de large, située dans le détroit de Canso, à la porte de l’île-du-Cap-Breton, abrite une population de 4 000 habitants, à majorité acadienne. Lors du Congrès mondial des Acadiens en 2004, l’île a accueilli 1 300 Boudreau et presque autant de Samson, de David et de Fougère. Les symboles acadiens sautent aux yeux dans chacun des village et hameaux aux noms pittoresques : Arichat, Petit de Gras, D’Escousse et Petite Anse. Près du drapeau acadien qui flotte au-dessus de l’école Beau-Port est affiché un poème de Paul D. Gallant :

Mon chez nous, c’est l’Acadie

Ma famille, mon village

Merveilleux héritage

Acadie que j’aime tant.

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Fig. 12: Île Madame, Nouvelle-Écosse

Finalement, en Louisiane (Fig. 13), l’action du Conseil pour le développement du français en Louisiane, fondé en 1968 dans le but de préserver l’héritage français de cet État et de faire revivre le français par sa réimplantation dans certaines écoles, s’inscrit dans la modernité. Les toujours aussi populaires traditions, telle que « courir mardi gras » dans les campagnes du Sud-Ouest, témoignent de la ténacité et de la viabilité de la culture sinon de la langue.

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Fig. 13

Conclusion

Des Franco se trouvent aux quatre coins de l’Amérique du Nord. Lorsqu’il ne s’agit pas de communautés, il s’agit d’individus obéissant aujourd’hui, comme hier, à l’appel du continent, rencontrés dans les airs, près des mers ou dans les déserts! Dans mon carnet sont consignés les récits de rencontres avec Donald J. Bouchard, chevalier de Colombe de Lewiston (Maine), mon voisin de siège dans un avion de Northwest Airlines, nous transportant de Détroit à Salt Lake City, avec Mike Papineau d’Iowa, en camping à Matagorda Bay, au Texas, à la recherche de son ancêtre Papineau parti du Québec lors de la Rébellion des patriotes, avec Jennifer Michaud de Winslow, dans le Maine, transplantée en Arizona pour ses études et son travail de coordonnatrice de programmes à l’université Arizona State, avec les sœurs Poulin et Charrette, deux jeunes Québécoises prêchant la bonne nouvelle de leur religion en Utah, et avec Ronald Burrell, autrefois de Grand-Sault, au Nouveau-Brunswick, qui a fait carrière dans de le nord de l’île de Vancouver, en vacances à Wickenburg, en Arizona.

Tous font partie de la Franco-Amérique et auraient une histoire à raconter qui devrait nous concerner. En 1974, Clark Blaise, écrivain de grande renommé habitant à présent San Francisco et dont le père, Léo Blais, de Lac-Mégantic, avait fui il y a 80 ans la misère, la pauvreté et la répression de sa famille et de son milieu, à la faveur de l’aventure continentale, d’abord à Manchester (NH), puis un peu partout ailleurs en Amérique, écrivait dans une nouvelle intitulée Tribal Justice, publiée en 1975—donc, dans une œuvre de fiction—ce qui suit (Fig. 14) :

My father told it to me over beers in a bar in Manchester (N.H.) as though he were giving me an inheritance. One of my uncles, the one who’d gone to California had taken the easy northern route across Ontario and the prairies, then down the west coast lumber trails without missing a single French messe along the way. All America is riddled like Swiss cheese with pockets of French. (C. Blaise, Tribal Justice, 1975)

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Fig. 14: La Franco-Amérique est comme un gruyère

Oui, l’Amérique est criblée de pochettes de français! Cré-moé, cré-moé pas, elle n’est pas fictive !

Références :

C. Blaise, I Had a Father : a Post-Modern Autobiography (Toronto : Pearson Higher Education and Professional Group, 1994).

D. Louder et E. Waddell, Du continent perdu à l’archipel retrouvé : le Québec et l’Amérique française (Québec : Presses de l’université Laval, 1983, réimpression en 2007).

D. Louder, J. Morisset et E. Waddell, Vision et Visages de la Franco-Amérique (Québec : Éditions du Septentrion, 2001).

D. Louder et E. Waddell, Franco-Amérique, (Québec : Éditions du Septenrion, 2007).

D. Louder, Carnet de voyage (blogue) : septentrion-blogue.dev.ixmedia.com/wp-content/uploads/archives/deanlouder/.

J. Poulin, Volkswagen Blues (Montréal : Québec/Amérique, 1984).


Francophonie et économie

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Le jeudi 12 mai, dans le cadre du 79e congrès de l’ACFAS (anciennement L’Association canadienne pour l’avancement des sciences devenue ces dernières années L’Association francophone pour le savoir), tenu à Sherbrooke, j’ai eu le plaisir d’animer une table ronde organisée par le Centre de la Francophonie des Amériques, sur le thème « La francophonie dans les Amériques : un levier économique pour le développement global des communautés » dont les objectifs furent les suivants : (1) Sensibiliser à la Franco-Amérique et à son importance; (2) Engager une réflexion originale et novatrice sur le lien culture/économie dans le contexte des communautés franco d’Amérique; (3) Démontrer le potentiel de développement économique (et communautaire) en français dans les Amériques.

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D’entrée de jeu, l’animateur cita Zachary Richard qui décrivait la situation des Franco d’Amérique en ces mots : « Notre isolement est plus fort que notre fraternité! » Succinct, mais combien profond et précis! Il renchérit par une deuxième citation, celle d’un Franco-Albertain, Michel Bouchard, qui a réussi à rompre son isolement et à voir plus grand grâce à sa découverte de la Franco-Amérique et à son intégration : « Nous sommes désemparés devant notre histoire. Elle est comme un rêve que l’on oublie en se réveillant le matin, mais qui nous tracasse. Nous sommes incapables de nous en souvenir. Je sais que ma communauté francophone (Rivière-la-Paix, AB) dépasse les frontières de mon village, ma province et même mon pays. Je revendique l’Amérique toute entière comme patrie. Je fais appel à mon histoire—histoire que je crée pour justifier mon appartenance à ce continent »

La table, consistant en quatre membres, visait donc à appuyer l’hypothèse que le fait français en Amérique peut être un levier économique pour le développement des communautés. Là où plusieurs n’y voient qu’une entrave!

D’abord, Dominique Sarny, directeur du Centre canadien de recherche sur les francophonies en milieu minoritaire (CRFM) de l’Institut français de l’Université de Regina, en Saskatchewan, prit la parole pour décrire les défis auxquels font face les communautés fransaskoises, largement rurales : exode rural, industrialisation de l’économie agricole, disparition de fermes familiales, assimilation linguistique, vieillissement, marginalisation… Au lieu de s’apitoyer sur leur sort, certains Fransaskois innovateurs ont imaginé des actions à entreprendre en collaboration avec d’autres populations partageant les mêmes préoccupations. Un projet pilote dans la région de Batoche fut établi dans le but, non de remplacer la production du blé ou l’élevage, activités au cœur de l’économie traditionnelle saskatchewannaise, mais de trouver une alternative ou une valeur ajoutée pouvant séduire, réunir et convertir les habitants et leur donner une marque de commerce. Ils se sont tournés vers l’Aubrac, petite région située dans le sud de la France, où se créèrent des associations regroupant des meilleurs producteurs et artisans du terroir. L’enthousiasme à son comble, les Fransaskois—et leur voisins métis—se mirent à explorer les possibilités qu’offrait le terroir basées sur leurs propres traditions certes, mais aussi sur de nouvelles demandes émanant des nouveaux marchés créés par l’exploitation à proximité des gisements (sables bitumineux, diamants, uranium…) qui eut pour résultat la montée en flèche de la population de la province par le biais de l’immigration de l’est du Canada ou du retour en Saskatchewan des anciens partis vers l’Alberta ou la Colombie-Britannique. Pour le moment, trois types d’activité semblent destinées à s’inscrire dans la mouvance globale de « consommation locale » et de « slow food ». Il s’agit de la mise en marché de produits de bison, de l’apiculture et de la mise en conserve de petits fruits des prairies.

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Sarny a fait sourire l’assistance par sa mise en garde contre le terme « terroir » que les Anglos de l’Ouest confondent avec « terror ». Par conséquent, les Fransaskois et les Métis qui sont à l’avant-garde de ces initiatives en matière de produits du terroir sont des « terroristes ». Pas très populaire de nos jours!

Les Louisianais ont le don d’épater! Charles Larroque ne fait pas exception. Faisant allusion à tous les malheurs qui frappent le sud de la Louisiane depuis cinq ou six ans (Katrina, la nappe d’« huile » BP, les inondations de cette semaine), Larroque exclame : « Les gens restent, mais le pays est déporté! »

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Lors de son intervention intitulée « Réflexions sur un bayou : l’incubation d’une économie culturelle franco-louisianaise », le Cadien prétend que pour le bien-être social et le développement économique en Louisiane, il faudra « réveiller » le français. Pour devenir une force majeure en Louisiane, des priorités s’imposent, chacune soutenue par un objectif précis :

Priorité 1 : Développer une main d’œuvre francophone


Objectif : Privilégier un volet vocationnel à l’enseignement du français en Louisiane afin d’engendrer une autonomie économique au sein de la communauté franco-louisianaise.

Priorité 2 : Soutenir la population franco-louisianaise existante.

Objectif : Tendre la main aux Cadiens, Créoles et aux Indiens francophones pour les aider à reconnaître le potentiel de leur langue d’héritage quant aux possibilités économiques.

Priorité 3 : Étendre les marchés pour la culture franco-louisianaise

Objectif : Collaborer avec des partenaires afin d‘identifier et de multiplier les produits et services provenant de la Louisiane francophone.

Pour illustrer son propos, Larroque prit l’exemple de la communauté créole de Promised Land, située sur le Têche, à mi-chemin entre Pont-Breaux et Saint-Martinville. Ici, le niveau de revenu des gens est faible, mais le sens de communauté est fort. Le développement socio-économique pourrait s’insérer dans une logique d’écotourisme visant des solutions locales, appuyées par les instances internationales de la Francophonie.

Enfin, six moyens pour donner du poids à une « franconomie » en Louisiane : revendiquer, éduquer, « créoliser », s’organiser, collaborer, créer.

Par une communication intitulée « Le EMBA de l’Université de Sherbrooke, un outil de développement endémique », Alain Tremblay et Sébastien Reyt, respectivement directeur adjoint et correspondant à l’international du Centre Laurent-Beaudoin de l’Université de Sherbrooke, présentèrent un projet de coopération répondant aux exigences d’une demande formulée par la partie antillaise aux prises avec une situation politique et sociale inacceptable résultant des rapports avec la France métropolitaine. Le projet vise à donner une formation nord-américaine aux cadres et à réorienter des liens économiques de manière à se rapprocher du Québec et de la Franco-Amérique.

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Jusqu’ici, les retombées du projet s’avèrent favorables pour les deux parties. Grâce à cette antenne à Guadeloupe, le Centre Laurent-Beaudoin est en bonne posture pour étendre son action à la Martinique, à Saint-Martin et en Guyane. Dans les Antilles, il semble y avoir préjugé favorable envers le système d’éducations québécois. Plusieurs étudiants antillais y trouvent leur compte en réalisant des études post secondaires à Sherbrooke. Le nombre de bons candidats dépasse de loin le nombre de places disponibles et personne, à ce jour, ne semble souffrir de dépaysement.

Par contre, tout n’est pas rose. Plusieurs obstacles surgirent en cours de route dont l’approche du financement de la formation en France, la résistance aux changements de la part de certains patrons guadeloupéens, les exigences et le rythme des études au Québec, le climat social volatile à Guadeloupe qui donna lieu en février 2009 à une grève de six semaines qui a paralysé le pays et, enfin, le désir éphémère de changement.

À la suite de cette table ronde, les organisateurs lancent une série de questions qui invitent à la réflexion. Évidemment, ceux et celles qui liront ce billet sont priés, si le cœur leur en dit, d’y donner suite.

•Est-ce que l’économie pourrait être le moyen privilégie pour créer des liens entre les Franco d’Amérique?

•Comment l’économie pourrait-elle être stratégique et bénéfique pour le développement et le maintien des communautés?

•Est-ce que le succès économique de quelques entrepreneurs franco garantit la vitalité de leurs communautés?

•Comment faire de l’économie un véritable levier pour assurer l’épanouissement des communautés?

•En faisant du développement économique et communautaire, quelle stratégie envisager pour assurer le couplé identité/économie?

•Grâce aux produits issus du terroir, serait-il possible de s’insérer dans la mouvance de « consommation locale », de « slow food » , de « franco responsabilité » ?

•Comment prévoir les conséquences, positives ou néfastes, des projets de développement économique?

•Comment faire de l’économie un outil pouvant affermir l’identité et renforcer les communautés, au lieu d’un mécanisme contribuant à l’assimilation et à la perte?


Zachary, retour sur les planches réussi au Petit Champlain

(http://www.zacharyrichard.com/francais/home.html)

M’avouant, dans sa loge 15 minutes après la tombée du rideau, être crevé à la suite de deux spectacles en autant de soirs, au cœur du Vieux-Québec, c’est néanmoins avec brio que Zachary Richard, ce formidable troubadour de la Franco-Amérique, a épaté les amateurs et admirateurs qui faisaient salle comble hier soir au Petit-Champlain pour l’écouter.

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Revenant d’un accident cardio-vasculaire qui l’avait foudroyé en octobre dernier, l’artiste a invité l’assistance—non, a incité—, dès la première chanson, à « pagayer ». Et c’est ce que nous avons fait : ramer fort avec lui, du sud au nord, avec crochet rapide et tragique en Afrique.

À Québec, en ce moment, les jonquilles et tulipes essaient de percer. Le printemps tarde! Le paysage est encore défiguré par des bancs de neige (congères, diraient les Français) sales, gris, glacés, durs et dégoutants! Par sa chanson « Au tour du lac Bijou », Zachary nous rappelait qu’il existait bel et bien un printemps…depuis longtemps…en Louisiane! Puis, arrêts en Acadie, au « Cap Enragé » et à la « Petite Codiac ».

Ensuite, clin d’œil à la littérature québécoise, à l’identité québécoise, au roman du terroir, Maria Chapdelaine, la « Balade de François Paradis ». Perdu dans la tempête son grand amour, François, Maria a dû rester son choix sur l’habitant, Eutrope Gagnon, mais pourquoi pas Lorenzo Surprenant qui lui offrait des attraits d’une nouvelle vie parmi les siens en Nouvelle-Angleterre. Le troubadour n’en fait pas mention ce soir. Faudrait chercher ailleurs dans son répertoire la complainte « Massachusetts ».

Moment fort du spectacle, l’apparition surprise sur scène de Florent Vollant. Ensemble, flanqués du guitariste, Sylvain Quesnel, le Cadien et l’Innu ont mis en émoi le public par leur interprétation passionnante et palpitante de la magnifique « Dans le Nord canadien ».

Troquant guitare contre piano, Zachary, par sa composition « Ô Jésus » rappelait la génocide rwandaise dont il avait saisi l’ampleur seul dans la nuit, devant un téléviseur, lors d’un passage à Paris en 1994. Cette chanson, cri du cœur, s’est alors écrite de manière spontanée! Toujours au piano, pour alléger l’atmosphère génocidaire, l’éternel « Travailler, c’est trop dur »!

Virtuose de la polyvalence, il opte ensuite pour l’accordéon cadien et invite les hommes à se décravater et à repousser les tables. Péché! Pas assez de place pour danser au son de Dancing at Double D’s….même si l’envie nous en dit!

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En rappel, le poète ne pouvait ne pas chanter « La balade de Jean Batailleur » qui a pris, dans sa vie et dans celle de ses « fans », ces derniers mois, plus de signification. Et en deuxième rappel, le batailleur offre, comme seul lui puisse le faire « L’arbre est dans ses feuilles ».

Le printemps et l’été s’annoncent chargés pour Zachary Richard, mais moins qu’avant. Des concerts en plus petits nombres. Des honneurs l’attendent à Ottawa; il en cumule pas mal! Du 1er au 3 juillet 2011, à l’occasion de la Fête fransaskoise, Zachary rendra visite pour la première fois, à Batoche, là où les forces fédérales ont mis fin, une fois pour toute, au rêve métis. Il m’a fait part d’un secret : il voudrait trouver la cloche de Batoche!


La nuit du conte à Québec

Honneur et Respect, Messieurs Dames la Société !

C’est par ces mots que Mimi Barthelemy, cette Haïtienne d’origine, ayant vécu en France, en Amérique latine, à Sri Lanka et en Afrique du Nord, a amorcé une soirée mémorable pour les amants de la langue française venus nombreux à la chapelle du Petit Séminaire de Québec se faire raconter des histoires !

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Il s’agissait de la septième d’une série de huit « nuits du conte » organisée par la Délégation générale de l’Alliance française aux États-Unis et le Centre de la francophonie des Amériques pour marquer la Semaine internationale de la francophonie. Les premières prestations eurent lieu à San Francisco les 16 et 18 mars. Le public québécois eut droit à la dernière, le 29 mars. Entre les deux, les conteurs firent plaisir aux auditoires réunis à Atlanta, New York, Washington D.C., Chicago et Montréal.

Malheureusement, à cause d’un malentendu à Chicago avec les autorités d’immigration canadienne, la petite troupe fut amputée d’un de ses membres, Bienvenu Bonkia, acteur, chanteur, poète, danseur et musicien burkinabé, y étant retenu pour manque de visa. Pas question d’entrer au Canada ! Une situation corsée et désagréable, selon le conteur louisianais, Barry Ancelet, qui me confiait que les gardiens de notre sécurité ne pouvaient ou ne voulaient pas entendre raison.

En la chapelle du Petit Séminaire, Ancelet lui-même, originaire de Scott, en Louisiane, et professeur d’études francophone à l’Université de Louisiane à Lafayette, épata la galerie par ses histoires de prêtres. Quel meilleur endroit pour lever le voile sur les secrets de ces hommes saints ?! Ses explications sur les origines louisianaises des pingouins dans l’Arctique firent s’esclaffer les bonnes gens qui anticipent sa prochaine visite pour apprendre comment les pingouins ont réussi le long et pénible voyage du Pôle nord au Pôle sud !

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Quant au troisième membre de l’équipe de conteurs en présence, Myriame El Yamani, exemple parfait du métissage dans un monde moderne et globalisé, que d’éloges ! Née au Maroc d’un père marocain et d’une mère française et d’un grand-père yéménite, elle puise son inspiration dans la mémoire des gens qu’elle côtoie : les secrets de sa grand-mère vendéenne, les couleurs et arabesques du Maghreb et du Yémen, la sagesse africaine et les mystères de la Méditerranée. Plus près de nous, les senteurs salines de l’Acadie, le Montréal multiethnique. Myriame partage avec passion des sons et des images glanés lors de ses nombreuses flâneries à travers des continents à la recherche des cultures et des rêves de toute l’humanité.

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À l’heure de l’internet, de la télévision, du cinéma, le simple conte semble avoir perdu du terrain. Or, mardi soir dernier à Québec, crique craque, ce moyen de communication et de divertissement, vieux comme le monde, a fait de nouveaux adeptes en refaisant ses preuves ! Quelle est belle la langue de Molière, de Senghor, de Glissant, de Vigneault, de Maillet, de Richard… !