L’homme de la Saskatchewan, histoire simple et simpliste, mais combien épatante

Il y a un quart de siècle, Jacques Poulin nous a séduits en publiant Volkswagen Blues. Avec son dernier né, L’homme de la Saskatchewan, il nous laisse pantois. On est habitué à mieux de Poulin. Le protagoniste de ces récits, Jack Waterman, vieillit mal. Par contre, La Grande Sauterelle reste toujours aussi jeune, ravissante et mystérieuse qu’en 1984. Entre temps, Poulin nous a fait connaître, dans Le Liseur (voir ma chronique du 8 mai 2009), Francis, Petite Sœur, Marine et Limoilou. Ces derniers reviennent tous dans ce nouveau récit, accompagnés de Gary Bettman, commissaire de la Ligue nationale de hockey et de son acolyte chauve à la barbe noire qui ressemble étrangement à Maurice « Mad Dog » Vachon. À cet éventail de personnages, plutôt loufoques, s’ajoute Isidore Dumont, gardien recrue du Grand Club (Le Canadien de Montréal) dont le grand oncle, Gabriel Dumont, héros métis, aurait pu, en 1885, diriger la victoire des Métis sur l’armée du Général Middleton à Batoche… si Riel avait bien voulu l’écouter!

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La question du français tient Isidore, né à Batoche, beaucoup à cœur. Il veut—comme tous les Québécois, comme tous les Franco-Canadiens sans doute—que le Grand Club soit composé principalement de joueurs francophones. Las d’avoir été traité de « frog » et d’avoir été obligé de toujours fonctionner en anglais (langue du hockey), Isidore se raconte à Jack, de manière très militante, sur des cassettes que le Grand Sauterelle lui apporte de Saskatchewan pour qu’il en fasse un livre reprochant à la Ligue nationale de hockey son manque de respect.

—Vous êtes combien de joueurs francophones? demanda Jack.

—Si vous parlez du Grand Club, on est seulement trois. En plus, nos partisans nous encouragent en anglais. Ils crient : « Go Habs Go! » Ça m’enrage! Est-ce qu’on n’est pas dans la plus grande ville française en Amérique du Nord?

—…dites-moi en deux mots ce que vous avez sur le cœur.

La réponse m’étonna par sa vigueur. Le gardien de but déclara que le hockey devait être aussi français à Montréal qu’il était anglais à Toronto où à Vancouver; que l’hymne national devait être chanté en français seulement; que la majorité des joueurs et des membres de la direction devaient être des francophones.

Or, Waterman, toujours obsédé par la rédaction de son grand roman sur l’odyssée des Français en Amérique qui n’avance pas s’en remet à Francis qui, quand il n’est pas en train de faire l’œil à la Grande Sauterelle, cette belle fille aux jambes si longues, qu’il voudrait au plus haut point emmener au lit, travaille à la rédaction de ce rapport incendiaire sur l’insensibilité de la Ligue nationale à l’endroit de l’une des langues officielles du Canada et de la seule langue officielle du Québec. D’où la présence de Gary et « Mad Dog » à Québec où ils enlèvent Jack et sillonnent le quartier Saint-Jean-Baptiste à la recherche du document honni, sans doute pour le dissimuler.

Malgré la simplicité du livre, il est d’une lecture fort agréable. Seulement 121 pages, il se lit en une soirée. Il tombe particulièrement bien dans le contexte d’un retour prochain des Nordiques à Québec et rappelle la belle époque où ces derniers s’enrobaient dans le drapeau bleu fleurdelisé du Québec pour affronter leurs éternels rivaux du Grand Club, tout de rouge vêtu.

En évoquant la bataille de Batoche et les paroles du Premier ministre du Canada de l’époque, sir John A. MacDonald, Poulin sert-il un avertissement sur l’éventuel retour d’une équipe à Québec qui pourrait déranger l’ordre établi de la Grande Ligue :

« Quand bien même tous les chiens du Québec japperaient ensemble, Riel sera pendu! »

À l’image de MacDonald, le petit malin et puissant Américain, Bettman, qui n’a pas réussi son pari d’établir notre sport national là où il ne pourra jamais être profitable, ne pourrait-il crier :

« Quand bien même tous les chiens du Québec japperaient ensemble, il n’y aura plus de hockey de la Ligue nationale à Québec! »

*

Et pauvre Francis :

J’avais compris une chose importante : la Grande Sauterelle m’aimait presque autant que je l’aimais, toutefois

c’était la route qu’elle aimait le plus.

La route et la liberté


Des Américains à Paris au XIXe siècle

Pour les friands de l’histoire française, de l’histoire américaine et de l’histoire de l’art, quel meilleur livre que The Great Journey : Americans in Paris, de l’auteur états-unien bien connu David McCullough dont la plume a déjà produit des œuvres immenses telles John Adams, Truman, The Path Between the Seas et The Johnstown Flood? Cette fois-ci, McCullough fait la démonstration d’être beaucoup plus qu’un historien doué et un vulgarisateur hors pair. Il s’agit aussi d’un fin connaisseur de l’art, d’un aficionado de la peinture et de la sculpture!

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En 1831, au solde du roi Louis-Philippe de la Monarchie de Juillet, Alexis de Tocqueville voyage en Amérique afin d’étudier le système pénitencier. Il voit beaucoup plus grand observant, analysant et commentant la démocratie telle qu’elle existe en Amérique. De Tocqueville deviendra célèbre à la fois en Europe et en Amérique pour son œuvre en plusieurs tomes, De la démocratie en Amérique.

Cela, on le sait bien! Ce que l’on sait moins, c’est qu’à pareille époque de nombreux citoyens de la nouvelle république traversaient l’Atlantique dans le sans contraire afin de se ressourcer à Paris dans les domaines de l’art, de la médecine, de la littérature et de l’architecture. Pour la plupart, ces gens n’avaient jamais quitté leur pays. Ils ne connaissaient en1830 que les États du littoral de l’Atlantique : Maine, Massachusetts, New York, Pennsylvanie, Virginie… L’aventure parisienne ne comportait aucune garantie de succès, au contraire! Or, McCullough démontre qu’à partir de 1830 et tout au long du XiXe siècle, ces « pionniers » (car « Not all pioneers went west », dit-il) ont rapporté de Paris des connaissances, des techniques et une vision qui ont altéré le cours de l’histoire du pays neuf.

La liste des noms d’Américains séjournant à Paris et s’inspirant de sa beauté, de sa majesté et de son environnement intellectuel, scientifique et artistique se lit comme un Who’s Who de la culture américaine : Samuel F.B. Morse (peintre, mais ensuite inventeur du système télégraphique qui a facilité le développement de l’Ouest du continent américain et l’essor de la communication à l’échelle de la planète); James Fenimore Cooper (auteur de Last of the Mohicans, The Prairie et combien d’autres classiques de la littérature américaine), ainsi que Ralph Waldo Emerson, Mark Twain, Nathanial Hawthorne et Henry James, tous des figures de proue. Le célèbre portraitiste George P. A. Healy et le sculpteur au nom français, à cause de son père immigrant à New York, Augustus Saint-Gaudens, ont tiré profit des longues années passées à Paris pour parfaire leurs talents. L’une des seules, sinon la seule, impressionnistes américaines, Mary Cassart a pu bénéficier de son association avec Monnet, Renoir, Velasquez et Dega. Johnson Singer Sargent en est un autre qui s’épanouit à Paris.

À l’époque, rien aux États-Unis ne pouvait se comparer à l’École de médecine de Paris. On y trouvait aussi l’Hôpital des enfants malades, l’Hôpital de la charité, l’Hôtel Dieu. Elizabeth Blackwell, première femme médecin aux États-Unis vint étudier ici. Wendell Holmes se rappellerait, des années plus tard, les étudiants qui s’empilaient en arrière du chef chirurgien Baron Guillaume Dupuytren afin de le voir opérer. De tous les enseignants et praticiens des arts médicaux à Paris, au milieu du XIXe siècle, aucun ne jouissait d’autant d’estime que Pierre-Charles-Alexandre Louis. Pendant 20 ans, son influence jaillissait sur les jeunes Américains sous sa tutelle. Les Américains éduqués en médecine à Paris, Mason Warren en tête, surent mettre en application à la Harvard Medical School les leçons apprises à Paris.

Certains Américains vivent l’histoire pénible de la Guerre de sécession dans la Ville lumière. Harriet Beecher Stowe, auteure de Uncle Tom’s Cabin, livre anti-esclavagiste qui a enflammé sa nation, a trouvé une certaine paix dans l’âme à Paris. D’autres, fuyant la période tumultueuse des années 1870 (la Guerre franco-prussienne et l’épisode de la Commune), rapportent chez eux des histoires sordides des communards qui, selon McCullough, n’avaient rien à voir avec le communisme. Une exception majeure, l’Ambassadeur des États-Unis à Paris, Elihu Washburne, que McCullough monte en héros pour sa volonté de rester en poste, de rendre service et de ne pas porter jugement sur cette pénible période. Né dans le comté d’Androscoggin, près de Lewiston, dans le Maine, le jeune Washburne a tôt pris la route de l’Ouest, s’établissant et faisant fortune à Galena, en Illinois. Il représenterait sa région au Congrès des États-Unis, avant d’être nommé Ambassadeur à Paris, largement à cause de sa femme, Adèle Gratiot Washburne qui, née de parents français à Galena et éduquée par les sœurs à Saint-Louis, parlait couramment français.

Enfin, le traitement que réserve McCullough à l’égard de la construction des deux mégastructures de la fin du siècle et du lien qui existait entre elles et entre leurs concepteurs porte à la réflexion. Il s’agit bien sûr de la tour Eiffel et de la Statue de la liberté dont la France ferait cadeau aux Etats-Unis.

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Le terrain de l’Exposition universelle de 1889.

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La Statue de la liberté qui se lève au-dessus de Paris (peinture de Victor Dargaud)

Ces deux images relevées de The Great Journey ne sont qu’un petit échantillon d’une cinquantaine de reproductions d’œuvres d’art qui embellissent les pages de ce livre et en rendent la lecture si agréable.


Beatrice et Virgil à Oxford, MS

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Il est fort possible que Oxford, ville de Faulkner, Hannah, Morris et Grisham, soit la capitale littéraire du Sud. Il s’agit d’une petite ville de 15 000 habitant comptant une demi-douzaine de librairies indépendantes dont trois au cœur de la ville, au Oxford Square, dominé par le palais de justice du comté de Lafayette.

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La première est la vénérable Square Books où se prennent, selon la légende, toutes les décisions importantes concernant la ville, son aménagement et son avenir, ainsi que celles, plus personnelles, prises à tous les jours par la gent littéraire d’Oxford. Square Books est donc beaucoup plus qu’une simple bouquinerie, il s’agit d’une institution de premier ordre, ancrée dans le tissu social et culturel de la ville.

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La seconde, Off Square Books, dépend de la première, mais présente un autre genre. Elle est moins chargée de livres, plus spacieuse. Il est facile de la transformer en salle de conférence pour accueillir des auteurs qui passent pour les séances de signature et la mise en marché de leurs œuvres.

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La troisième, Square Books Jr., se consacre uniquement à la littérature pour enfants. Ensemble, les trois offrent l’embarras du choix aux lecteurs de langue anglaise.

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De passage ces jours-ci, à Oxford, à Greenwood et probablement ailleurs, l’auteur canadien Yann Martel dont le livre à succès, Life of Pi, a assuré sa réputation. Il est en tournée pour faire la promotion de Beatrice and Virgil qui se veut, selon lui, une allégorie à l’Holocauste. Comme dans son premier roman, Martel se sert, de la même manière que Orwell dans Animal Farm, des animaux comme astuce littéraire pour « aller là où les historiens ne peuvent aller ». La puissance de l’allégorie est de simplifier, de comprimer sans toutefois perdre le fil de l’histoire.

Si j’attribue à Yann Martel l’étiquette d’« auteur canadien », ce qui pourrait lui déplaire parce que son vécu est international et son œuvre universelle, c’est qu’il demeure à Saskatoon et se dit un produit de la transformation de l’ordre symbolique canadien qui nous a donnés la loi sur les langues officielles. Aussi, n’a-t-il fait aucune allusion, lors de sa prestation, à ses liens avec le Québec, même si ses parents, qui sont, de surcroît, ses traducteurs de l’anglais au français, habitent Montréal.

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À la question que je lui ai posée sur la possible écriture éventuelle d’un roman ou d’un essai en français, il n’a pas démontré d’enthousiasme expliquant que même si sa « langue natale » (son terme) est le français, la langue de son éducation à différents endroits à travers le monde, est l’anglais. Intéressant quand même que lors d’un séjour prolongé à Paris, au début des années 1970, Yann a fréquenté la « British School »! Pour Martel, ce qui est important, c’est de pouvoir communiquer, peu importe la langue : « Quand j’écris en français, j’écris en français, quand j’écris en anglais, j’écris! J’aime autant ne pas devoir m’occuper des accents, des accords et tout cela!» (Ma traduction). Et l’assistance a rigolé.


Les livres savants sur la francophonie canadienne se multiplient

Chez Septentrion, Territoires francophones : études géographique sur la vitalité des communautés francophones du Canada, réalisé sous la direction du géographe, Anne Gilbert, vient de paraître—un autre gros livre de plus de 400 pages consacré à la francophonie canadienne. Bientôt, je livrerai mon opinion à son sujet.

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Ce qui suit est une recension d’un autre livre du genre publié en 2008 chez Fides, rédigée par moi-même, et parue dans les Cahiers de géographie du Québec, 53:150, 2009, pp. 470-472.

THÉRIAULT, Joseph-Yvon, GILBERT, Anne et CARDINAL, Linda (dir.)

L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations

Il y a un quart de siècle, en publiant Du continent perdu à l’archipel retrouvé: le Québec et l‘Amérique française, nous nous sentions bien seuls. Des collègues chercheurs nous mettaient en garde contre les écueils sur lesquels échoueraient nos carrières en battant un cheval mort! « L’Amérique française ? C’est fini cette histoire-là », chuchotaient les uns. « Mettez-vous à la fine pointe des recherches en études canadiennes et québécoises », marmonnaient les autres. Pourtant, nous avons persévéré et croyons avoir pavé la voie vers un nouveau champ d’études valable, contribuant à l’émergence d’un réseau de recherche original, celui de la recherche en francophonie canadienne, centré partiellement, mais pas exclusivement sur le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) à l’Université d’Ottawa et l’Institut canadien de recherche sur les langues officielles (ICMRL) à l’Université de Moncton. D’ailleurs, ce sont ces deux institutions du haut savoir en francophonie canadienne, avec l’appui du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, qui se sont concertés pour assurer la parution de L’Espace francophone en milieu minoritaire au Canada.


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Le sous-titre de cette brique de 562 pages, contenant 13 articles, écrits par 19 auteurs, séparés en trois sections (Populations, communautés et représentations de soi; Institutions, espaces et mobilisations; Politique, droit et autonomie) exprime bien son objectif : faire le point sur les enjeux et les mobilisations des minorités francophones du Canada depuis la parution dix ans plus tôt (1999) d’un autre ouvrage d’envergure, Francophonies minoritaires au Canada : état des lieux.

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Mis en parallèle, les titres de ces deux anthologies pourraient faire croire que les enjeux et les mobilisations consécutifs à l’adoption en 1982 de la Charte canadienne des droits et libertés ont transformé la réalité franco-canadienne. Des lieux—francophonies au pluriel—on serait passé à un espace—francophonie au singulier. Or, tel est loin d’être le cas. La plupart des textes ici en témoignent et les déplacements sur le terrain le démontrent. Il n’y a pas de retour vers une identité pancanadienne. D’abord, est-ce qu’il y en a déjà eu? Les Acadiens, par exemple, n’ont jamais été des Canayens ni des Canadiens français.

À des fins de cette recension, deux chapitres du livre sont particulièrement pertinents, celui des géographes Anne Gilbert et Marie Lefebvre et celui du politicologue Anne-Andrée Denault. En faisant appel à la notion de vitalité linguistique en milieu minoritaire, Gilbert et Lefebvre évoquent l’existence d’un « espace sous tension ». Pour en faire l’analyse, elles définissent et opérationnalisent le concept. Elles découvrent des milieux de vie extrêmement fragiles et remarquent une situation paradoxale où les jeunes s’anglicisent de plus en plus tout en faisant preuve d’une grande confiance dans l’avenir. Pour ces deux chercheures, deux thèses s’affrontent en ce qui a trait aux communautés francophones du Canada, l’une davantage pessimiste, l’autre légèrement optimiste. Elles croient prématuré de privilégier l’une ou l’autre.

Pour sa part, Denault se penche sur l’épineuse question des rapports entre les Québécois et les Francophones hors Québec (comme on le disait aux années 1970 et 1980). Elle examine les positions tenues par les divers gouvernements du Québec de 1970 à 2007 à l’égard des minorités francophones. Au cours de son analyse, elle cherche à vérifier l’affirmation suivante tant véhiculée depuis les États généraux du Canada français de 1967 : le Québec a abandonné les francophones des autres provinces! Denault prétend que toutes les formations politiques du Québec, peu importe leur couleur, ont eu un souci immuable à l’endroit des francophones de l’extérieur du Québec. L’État québécois, à travers le temps et par le biais de son Secrétariat des affaires intergouvernementales canadiennes, a tenté d’encourager et de faciliter la collaboration avec les communautés franco-canadiennes et acadienne. Cette évolution a abouti, selon Denault, à l’inauguration à Québec le 17 octobre 2008 du Centre de la Francophonie des Amériques dont la mission est « de contribuer à la promotion et à la mise en valeur d’une francophonie porteuse d’avenir pour la langue française par le renforcement et l’enrichissement des relations entre francophones et francophiles ». Son texte fait toutefois abstraction du Secrétariat permanent des peuples francophones (SPPF), établi sous le patronage du Parti Québécois en 1978 et démantelé par les Libéraux en 1992. Bien qu’à vocation internationale, le nouveau Centre des Amériques fait la plus grande place à la francophonie canadienne.

Si le titre d’un livre contient le mot « espace », les lecteurs—et surtout les géographes—peuvent s’attendre à y voir des cartes. Or, dans cet ample ouvrage, il n’y en a qu’une. Vers la fin du livre (page 521), Johanne Poirier de l’Université libre de Bruxelles, dans un article portant le lourd titre « Au-delà des droits linguistiques et du fédéralisme classique : favoriser l’autonomie institutionnelle des francophonies minoritaires du Canada », essaie d’illustrer son propos à l’aide d’une carte quasi illisible intitulée « Proportion des communautés de langue officielle en situation minoritaire par première langue officielle parlée (PLOB) ». Fiouf! Cette lacune cartographique explique partiellement l’absence d’une liste des figures qui aurait pu se justifier compte de la présence d’une douzaine de photographies saupoudrées à travers les pages. Comparé à son parent, Francophonies minoritaires au Canada : état des lieux, richement illustré, Espace francophone au Canada fait pitié. Autre carence, un index, instrument fort utile dans un très long ouvrage de référence. Par contre, chacun des 13 articles est abondamment documenté par une bibliographie la plus à jour possible.

Si au début des années 1980, les chercheurs chevronnés en sciences sociales au Québec se moquaient de ceux qui tentaient de « déterrer des vieilles histoires du Canada français », tel n’est plus le cas. Ce livre, marqué par une grande participation de jeunes chercheurs de la nouvelle génération, en est la preuve. Les recherches en francophonie canadienne vont bon train, mais il s’agit là d’un champ tronqué—partiel. Les francophones des États-Unis sont deux fois plus nombreux que ceux du Canada à l’extérieur du Québec. Ceux de ce pays qui se disent d’origine ethnique française, canadienne-française ou acadienne sont deux fois plus nombreux que ceux du Canada, y compris le Québec. Force est de s’en rendre compte, d’engager un dialogue avec des chercheurs poursuivant des études sur les autres collectivités franco des Amériques et d’élaborer un champ d’études véritablement franco-amériquaines. Aujourd’hui, cette mission s’inscrit explicitement au programme d’action du Centre de la recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) à l’université d’Ottawa.


Héritages francophones, enquêtes interculturelles : enseigner la Francophonie [aux États-Unis]

Aux presses de l’université Yale, on publie des livres en français. La preuve, ce nouveau manuel scolaire intitulé Héritages francophones: enquêtes interculturelles, mené à terme en 2010 par Jean-Claude Redonnet, angliciste émérite à la Sorbonne, sa conjointe, Julianna Nielsen, éditrice à Sloane Intercultural, Ronald St. Onge, professeur de français au Collège de William and Mary et Susan St. Onge, professeur de français à l’université Christopher Newport.

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Il s’agit d’un trésor d’informations sur la Francophonie ventilées sous l’angle de la francophonie états-unienne. L’originalité de l’ouvrage réside dans sa tentative de présenter en profondeur et de manière succincte, pour les étudiants de niveau universitaire aux États-Unis, un aperçu de la multiplicité de cultures francophones présentes sur leur propre territoire national. Ce livre reflète la préoccupation grandissante, dans les départements de langues des universités américaines, d’un enseignement du français comme langue internationale parlée à travers le monde et non plus comme manifestation de la langue, de la littérature et de l’histoire de la France. Ce souci de diversité et d’inter culturalité répond aux besoins d’une pédagogie multiculturelle devenue essentielle pour apprécier à sa juste valeur la société américaine contemporaine et pour contribuer à la compréhension, voire à la résolution de conflits partout. Si Héritages francophones satisfait aux objectifs de ses concepteurs, ce n’est toutefois pas un livre qui contribue à saisir la Franco-Amérique telle que nous l’avons conçue dans trois ouvrages publiés ces dernières années :

Du continent perdu à l’archipel retrouvé : le Québec et l’Amérique française (Québec : Presses de l’université Laval, 1983 et 2007);

Vision et visages de la Franco-Amérique (Québec, Éditions du Septentrion, 2001);

Franco-Amérique (Québec : Éditions du Septentrion, 2008).

D’ailleurs, les auteurs de ce beau livre de 320 pages, illustré abondamment de photos en couleur, de graphiques, de cartes, de tableaux chronologiques et d’encarts, n’en font aucune mention bibliographique! Bien que le regard porte sur les États-Unis, l’approche est davantage « hexagonale » que nord-amércaine. Contrairement aux trois foyers nord-américains sur lesquels nous rebattons depuis tant d’années (Laurentie, Acadie et Louisiane), ici la France serait foyer de la francité aux États-Unis.

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Trois foyers de la Franco-Amérique, d’après Louder et Waddell

Même si les auteurs d’Héritages francophones prétendent (p. 8) qu’il n’est pas aisé, ni réaliste de localiser une présence francophone aux États-Unis, nous avons quand même essayé de le faire.

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De leur côté, ils nous présentent une carte avec flèches en trois couleurs, qui résume des flux migratoires internationaux en trois temps. Elle se veut une « représentation d’une dynamique francophone » vers les États-Unis. Elle complète joliment notre conceptualisation de la Franco-Amérique, surtout en ce qui a trait à la migration internationale.

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Conceptualisation de la Franco-Amérique, d’après Louder et Waddell

Héritages francophones est divisé en sept chapitres ou enquêtes :

1.    Acadiens et Cadiens : cousins du sud et du nord

2.    Les Franco-Américains : Des champs aux usines

3.    Haïtiens, nos voisins, nos frères en liberté

4.    Les Vietnamiens, une Francophonie asiatique éprouvée par les guerres

5.    Les Francophones du Machrek et du Maghreb : le dialogue des cultures

6.    Les Francophones africains : la présence noire

7.    Les Français : la permanence d’une présence

Chacun s’organise au tour de quatre points : (1) le « patrimoine » où est contenu l’essentiel des informations sur la région et sur des thèmes abordés; (2) les « liens francophones » qui sortent l’étudiant de la région à l’étude et l’emmènent vers le monde Francophone d’où proviennent les Franco-États-Uniens dont il est question; (3) les « activités d’expansion » qui permettent d’évaluer le niveau de compréhension et de creuser plus profondément la matière; (4) les « pistes de recherche » qui invitent l’étudiant à aller plus loin en lui suggérant des lectures, des sites internet et des problématiques à explorer.

Le chapitre 1 comporte deux aspects agaçants. D’abord, l’emphase mise sur le mythe d’Évangeline qui implique que les Cadiens sont tout bonnement des Acadiens, victimes de la Déportation de 1755, qui se sont transportés en pays chaud où ils ont su s’adapter et créer un nouveau genre de vie, ce qui n’est que partiellement vrai, car tout en s’adaptant, ils ont pu intégrer dans leur collectivité des Allemands, des Hispaniques, des autochtones, des Canadiens, des Français, voire des Américains! Le phénomène de métissage et la présence de francophones de couleur sont effleurés à peine. Ensuite, la simplification de l’étiquetage de la population du nord du Maine en tant qu’Acadien. Oui, « Acadian » est d’usage, mais pas dans le même sens qu’ailleurs, car la population du Grand Madawaska est quand même un amalgame de populations d’origines acadienne et québécoise. L’emploi du qualificatif « Acadian », dans la Vallée du Haut Saint-Jean, constitue davantage une tentative des habitants de se distinguer de la multitude d’immigrants canadiens-français qui se ruaient à l’époque vers les centres urbains du sud du Maine, tels Lewiston-Auburn, Biddeford-Saco, Rumford, Waterville…

Le déséquilibre entre le chapitre 1 et le chapitre 2 est frappant! Dans le premier, la part consacrée à l’Acadie (liens) dépasse celle consacrée à la Cadie (patrimoine). Dans le deuxième, 30 pages sont consacrées aux Franco-Américains (patrimoine) et cinq à la mère patrie (le Québec). Deux sous-titres bien en évidence sur les cinq pages : « Le Québec et le Canada francophone » et « Le gouvernement fédéral du Canada et le bilinguisme ». Étant donné le rôle du Québec comme plaque tournante de la Franco-Amérique, le lecteur est en droit de poser des questions sur le peu de place qui lui est réservée!

S’il y a un élément qui marque la Franco-Amérique contemporaine, c’est l’émergence de l’axe géographique qui relie Port-au-Prince, Miami, New York et Montréal. Dans le chapitre 3, il n’en est pas question. Ici, il y a peu de différence entre « patrimoine » (la partie consacrée aux Américains d’origine haïtienne) et « liens » (Haïti).

Les chapitres 4, 5 et 6 sont tout aussi intéressants qu’inattendus. Le drame des Vietnamiens, marqués par la colonisation française et les guerres contre le colonisateur et l’envahisseur américain est évoqué et la réussite de ceux se rendant aux États-Unis, après la chute de Saigon, est notée. Depuis le 11 septembre 2001, les Arabes américains, dont beaucoup sont originaires de pays faisant partie de la Francophonie, portent le poids des actes terroristes perpétrés ce jour-là. L’aspect le plus captivant de l’enquête sur les ressortissants d’Afrique, que les auteurs qualifient de « francophonie américaine anonyme », est leur rencontre avec des communautés noires américaines.

Le chapitre 7 pourrait mieux s’intituler « Les Huguenots et les autres ». La présence en sol américain de ces Protestants issus d’une France favorable au catholicisme a coloré la trame culturelle de la côte de l’Atlantique depuis la Virginie jusqu’en Floride en passant par les Carolines. Plus tard, aux XIXe siècle, la France déversait en Amérique un grand nombre de ces idéalistes et anarchistes qui se sont essaimés depuis la Pennsylvanie jusqu’en Iowa, et puis au Texas, en passant par les terres abandonnées des Mormons à Nauvoo, en Illinois.

Dans la mosaïque des francophonies états-uniennes que nous présentent Redonnet, St. Onge, St. Onge et Nielsen, il existe un grand absent. Pourquoi ne pas avoir inclus une enquête sur les Métis, les bois brûlé, la nouvelle nation—les « rois des montagnes et des prairies », autant aux États-Unis qu’au Canada. Sans eux, l’Amérique ne serait pas l’Amérique; sans eux les États-Unis ne seraient peut-être même pas!

Au final, Redonnet et ses collaborateurs s’interrogent sur l’avenir de la Francophonie aux États-Unis, sur l’œuvre des héritiers. En évoquant deux « R », responsabilités et réseaux, les auteurs d’Héritages francophones, sans le savoir, font appel au nouveau Centre de la Francophonie des Amériques qui a pignon sur rue à Québec. Sa mission est justement de faire la promotion et la mise en valeur d’une francophonie porteuse d’avenir dans le contexte de la diversité culturelle. Dans le cadre de ses activités de promotion, de formation et d’enrichissement, le CFA tiendra, du 7 au 17 août 2010, à Moncton, au Nouveau-Brunswick, son deuxième Forum des Jeunes ambassadeurs auquel sont conviés soixante Franco-Amériquains (francophones des Amériques), âgés de 18 à 35 ans. Parmi les conférenciers qui s’adresseront aux Ambassadeurs deux moins jeunes, Jean-Claude Redonnet et l’auteur de ces lignes.