Se perdre pendant 50 ans et refaire surface

Au moment des retrouvailles du mois dernier en Utah, alors que je rencontrais de nombreux amis et de nombreuses amies d’autrefois que je n’avais pas vus depuis 20, 30, 40 ou parfois 50 ans, une question était sur le bout de toutes les lèvres : « Comment, batinse, se fait-il que tu sois rendu au Québec ? » [traduction libre]. Hummmmm, comme si un homme n’avait pas le droit de changer de pays, de langue et de culture!

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Ma réponse ne tarda jamais à venir : « Ce serait un peu long à expliquer; lis la bio qui se trouve sur le CD que tu viens de recevoir. La mienne est là avec les 124 autres! »

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Peut-être y a-t-il d’autres qui se posent cette même question à mon sujet, mais qui n’ont pas accès au CD. Pour eux, voici le court texte soumis à l’occasion du conventum des 50 ans de la promotion de 1961.

What ever became of Dean Louder?

In Mr. Dean Rigby’s eighth grade English class at Lincoln Junior High School, somethinghappened which changed my life. A seed of passion was sown which, when germinated, would lead me away from my roots, my homeland, and on a life-long journey among the French speaking peoples of the world, in general, and of the North American continent, in particular. I was deeply touched by Henry Wadsworth Longfellow’s epic poem, Évangeline, which Mr. Rigby made us read aloud in class. This classic from American literature celebrates the mythical Acadian lovers, Gabriel and Évangeline, separated by the vicissitudes of war and the cruelty of the British who inflicted upon their people in 1755 an overt form of ethnic cleansing by scattering them to the four winds, like slaves, aboard vessels hired for that purpose. Two and one-half years spent in France (1962-1964) provided me with the opportunity to master the language of Molière, which eventually led me to that spoken by Gilles Vigneault (Québec’s poet laureate)—which is in reality the same language sung with a different accent—to that spoken by Herménégilde Chiasson (Acadian film maker, cultural broker and heir to Acadie ’s Évangeline)—which is also the same idiom spoken differently—to those of Zachary Richard (Louisiana troubadour) and Clifton Chenier (king of zydeco) whose Cajun and Creole sounds have enriched the North American music scene for generations.

After schooling at Brigham Young University and University of Washington, I accepted, in 1971, a position as professor of geography* at Université Laval, located on the banks of the St. Lawrence in far away Quebec City (150 miles downriver from Montréal). This is where we reared eight children (four boys/four girls), usually speaking English at home but nearly always French everywhere else. Today, these children and their children are spread across Canada, with a couple of daughters residing in the United States—in the capital city of Idaho which bears the lovely French name “boisé” meaning forest, wood or grove.

I feel a profound respect for my origins and harbor in my heart and head the fondest ofmemories of you all, but after forty years in la belle province, Québec is my home!

*You may ask, “what is a geographer?” I reply, “a wonderful profession which allowed me to earn a decent living doing what I love.” Here is how it happened. As a tiny tot, I loved geography. When I was 6 or 7, my parents gave me an atlas and gazetteer. I wore it out turning the pages, fingering the plates, rubbing the maps, memorizing the place names. On the other hand, I have never been a fan of National Geographic Magazine which skews the study of geography.

Until I returned from France, however, I didn’t know you could major in geography and become a geographer. I happened on to it quite by accident. Arriving home from France in September 1964, I entered BYU that fall a couple of weeks late and needed courses to start filling general education requirements. I wanted a history course being offered in the Heber J. Grant building. When I arrived, the course was closed. Frustrated, I stuck my nose in the room next door where there were plenty of seats available. Asking what it was, one of the students said « geography ». That was enough for me! I sat down, enjoyed the first lecture, the rest of the course and the rest of my life as a geographer. After the B.A. at BYU (1967), I attended University of Washington for the M.A. and Ph.D. (1967-1971), then headed for Québec.

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En tant que géographe, je m’intéresse à la question de la mobilité géographique des êtres humains. Voyons voir ce phénomène tel que vécu par les hommes et les femmes de ma cohorte.

Distribution géographique en 2011 des membres de la promotion de 1961

Orem High School (n=267)

Monde

États-Unis                        265

Canada/Québec                  1

Australie                        1

États-Unis

Alabama (1), Alaska (1), Arizona (9), Californie (15), Colorado (9), Illinois (1), Indiana (1), Kansas (1), Kentucky (1), Maryland (1), Massachusetts (1), Missouri (4), Montana (1), Nevada (4), New Mexico (1), Caroline du Nord (2), Orégon (5), Pennsylvanie (2), Caroline du Sud (1), Tennessee (1), Utah (194), Washington (5), Virginie occidentale (1), Wyoming (3).

Sommaire : 73% des finissants de 1961 habitent l’Utah, 89% les onze 11 États de l’Ouest.

Utah

Comtés : Box Elder (1), Cache (3), Davis (6), Emery (1), Iron (1), Juab (2), Millard (1), Salt Lake (38), Sanpete (7), Sevier (1), Summit (1), Tooele (1), Uintah (1), Utah (115), Wasatch (1), Washington (6), Weber (8).

Sommaire : 43% des finissants de 1961 habitent le comté d’Utah; 59% de ceux qui habitent l’État de l’Utah habitent le comté d’ Utah.

Comté d’Utah

Villes : American Fork (5), Benjamin (2), Eagle Mountain (1), Elberta (1), Genola (1), Highland (2), Lehi (4), Lindon (7), Mapleton (2), Orem (52), Payson (5), Pleasant Grove (8(, Provo (11), Salem (2), Springville (7), Spanish Fork (5).

Sommaire : Un finissant sur 5 de 1961 habite encore Orem, 50 ans plus tard. 45% de ceux qui habitent le comté d’Utah habitent Orem.


Montrer sa ville aux gens du désert

Pour les gens du désert, une visite automnale à Québec est salutaire. Peu habitués aux couleurs vives du feuillage, ni à la verdure de l’herbe, ni à l’abondance de liquide dans les cours d’eau, ils restent bouche bée devant la beauté de Québec en octobre.

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Avec un copain, Rémy Tremblay, et son chauffeur attitré, j’ai eu l’occasion vendredi dernier de faire visiter la ville à une dizaine de croisiéristes de l’Utah et deux autres de l’Arizona, tous liés par le sang ou par l’amitié. Il s’agissait de six couples :

Jay et Randy Cornaby, de Spanish Fork, UT

Carl Ray et Wanda Collett, de Vernal, UT

Terell et Sheryl Collett, de Vernal, UT

Guy et Dee Collett, de Vernal, UT

Kenny et Julie Stewart, de Vernal, UT

Travis et Susan Collett, de Tucson, AZ

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Les gens du désert devant la fresque des Québécois, Place Royale

À la gare du Palais s’est ajouté au groupe, un septième couple, Uschi et Harald Cüppers, de Mönchengladbach, en Allemagne. Uschi et Harald cherchaient l’autobus no 800 du Réseau de transport de la Capitale pour se faire transporter à la chute Montmorency. Puisque, nous nous y rendions, je les ai invités à monter à bord et à passer ce qui restait de la journée avec nous, y compris l’avant dernier arrêt de l’excursion, au Jardin Jeanne d’Arc qui revêt un style bien particulier. De forme rectangulaire et légèrement en contrebas, il allie le style classique français aux plates-bandes mixtes à l’anglaise. Pour les Européens habitués à de tels jardins, c’était joli, sans plus, mais pour les gens du désert, c’était ravissant !

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Le groupe, moins Harald, au Jardin Jeanne d’Arc

Ce qui a le plus plu à tous les participants, sans exception, fut l’arrêt à la chute Montmorency, située à l’embouchure de la rivière portant le même nom. Ils ont pu observer cette colossale cataracte, haute de 83 mètres (30 de plus que celles de Niagara) sous tous les angles, que ce soit de la passerelle enjambant la rivière au-dessus de la chute, soit du sentier menant au pied de la chute, soit de différents niveaux du grand escalier qui compte 483 marches et relie pour le piéton le haut au bas.

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L’eau tombe dans un bassin d’une profondeur de 17 mètres avant de couler vers le Saint-Laurent, le rejoignant à proximité du Pont de l’île d’Orléans, construit en 1935.

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Au loin, la silhouette de la ville.

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Avant de ramener les touristes/croisiéristes du désert à leur bateau dont il y en avait cinq en port ce jour-là, ils ont goûté à l’unique hospitalité et la sympathique ambiance de Chez temporel, au cœur du Vieux-Québec, mais à l’écart des sentiers empruntés par les « troupeaux » de touristes.

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Josette LeMire, témoin vivant de la diaspora québécoise

Josette LeMire s’est mariée il y a 44 ans avec Brent Nay, un de mes amis d’enfance.

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Brent Nay, 17 ans

Le couple habite Pleasant View, en Utah, dans une grande maison sur une petite parcelle de terre où, en plus de cultiver des pêches, de la vigne et un potager, ils ont élevé leurs sept enfants.

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Brent et Josette aujourd’hui

C’est au conventum des 9 et 10 septembre derniers, alors que nous célébrions les 50 ans de la promotion de 1961, que j’ai fait la connaissance de Josette. Tout de suite, en apprenant son prénom—et surtout son nom—je savais que nous avions des atomes crochus. Le Québec est la mère patrie de Josette LeMire Nay. Il s’agit d’une arrière-petite-fille de la Mauricie dont les racines sont à la fois canadienne (LeMire, Dufresne, Rivard, Blondin…surtout de la rive nord) et acadienne (Comeau, de Saint-Grégoire-de-Nicolet).

Ce serait le grand-père de Josette, Élie LeMire, charpentier, né en 1861, qui aurait décidé de tenter sa chance aux États-Unis, probablement autour de 1880, car il s’est marié en 1884 à Marie Josephine Philamine LaBore (Labord ?) à White Bear Lake, au Minnesota, à proximité du village de Little Canada, les deux endroits situés aujourd’hui en banlieue de Saint-Paul, capitale de l’État et autrefois centre névralgique de l’activité commerciale pour les Métis et Canadiens de l’Ouest.

Avant de mourir en 1922, Eli (transformation de son nom d’origine), avec Philamine, eut neuf enfants dont le sixième, Joseph Charles, né en 1896 et père de Josette, née en 1946 à Seattle, à la suite d’un séjour de son père en Alaska, et avant le retour en 1948 au Minnesota. Pour Joseph Charles, 50 ans, il s’agissait de la seule enfant de son deuxième mariage, les deux ayant été des mariages exogames, l’un avec une femme d’origine ethnique allemande et l’autre suédoise.

Josette se souvient d’avoir, jeune fille, entendu des bribes de conversation en français entre son père, déjà assez âgé, et ses copains canadiens de White Bear Lake et de Little Canada, mais le français ne se parlait pas à la maison, avec le résultat que la fille à Joseph Charles ne l’a appris que sur le tard à l’université, en Utah, où elle a rencontré Brent. Étudiante universitaire, elle avait passé un trimestre à Grenoble dans le but d’apprivoiser cette langue fuyante.

Bien qu’elle le voudrait, Josette n’a jamais mis les pieds au Québec. « Un jour », dit-elle. En attendant, nous essayons de l’encourager en l’alimentant en photos et en paroles. Par exemple, ces quelques images de la cathédrale de Trois-Rivières et de la paroisse de l’Immaculée conception, lieu privilégié des baptêmes et mariages des ancêtres à Josette Lemire Nay, autre témoin de la diaspora québécoise en Amérique !

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Pour qu’elle apprécie à sa juste valeur son héritage franco, j’ai dû lui expliquer au téléphone ce matin la différence entre « French Canadian » et « Acadian » et lui révéler l’existence au Québec de collectivités acadiennes établies à l’époque de la Déportation de 1755 dont elle n’avait jamais entendu parler—des endroits tels que Saint-Grégoire-de-Nicolet, Saint-Jacques-de-l’Achigan, Natashquan, Bonvaventure et les Îles-de-la-Madeleine….pour ne nommer que ceux-là.


La chapelle Turgeon à Saint-Léonard-de-Portneuf

Me rendant à Rivière à Pierre pour pique-niquer aux chutes de la Marmite, accompagné de Gilles Tremblay, j’aperçois au loin, à l’ouest de la route 367, perchée sur le flanc de la montagne, surplombant le village de Saint-Léonard, une belle petite chapelle. Au retour, on s’y rendra!

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Les chutes marquent la fin du pavé. Les chasseurs et pêcheurs se baladant en véhicule à quatre roues motrices peuvent continuer beaucoup plus loin sur un chemin en gravier parsemé de trous et de fissures à dimension variable. Mais en VW Coccinelle? Pas question!

Les chutes ne sont pas hautes, mais elles sont belles. Couvrant une assez vaste superficie, elles coulent et chantent. Elles invitent à la promenade. Il s’agit de la marche à pied facile dans une forêt enchanteresse saupoudrée de roches massives et de champignons délicats.

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En 30 minutes, le tour est fait!

Du haut de sa colline, la chapelle Turgeon témoigne de la grande dévotion des citoyens d’autrefois et surtout de celle de la famille Turgeon à qui en revint la construction en 1919 et l’entretien jusqu’à nos jours.

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Vu de l’entrée—débarrée en tout temps paraît-il—l’autel richement orné fait contraste avec la simplicité du mobilier, des chaises droites en bois. Les fenêtres sur les des deux côtés de l’édifice permettent une ample pénétration de lumière à toute heure de la journée.

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Vers l’avant à droite se trouve le « coin du Sacré-cœur » et à gauche le « coin de la Madone ».

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Vers l’arrière, près de l’entrée, dans le troisième coin, un vieil orgue à pédales (harmonium) sur lequel se repose un livret pour que signe chaque visiteur. Un regard jeté rapidement sur le livret révèle que les visiteurs ne sont pas si nombreux et qu’ils ne viennent pas de très loin. La petite enceinte est dominée en avant et sur le côté gauche par deux grands tableaux.

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Le quatrième coin porte à confusion. À prime abord, je croyais y trouver le confessionnal. Mais non, ce n’est pas cela! En tirant le rideau, j’y vois balai, vadrouille et porte poussière! Pas très inspirant, mais il faut quand même garder les lieux propres!


Les chaises de la Gare du Palais

Sauf pour la pénurie de trains qui y passent, la Gare du Palais à Québec n’a rien à envier aux gares ferroviaires des villes de province en France. Entourée de jardins ponctués depuis quelques années d’un magnifique jet d’eau, la gare renaît depuis qu’elle est jumelée avec la gare routière.

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Hormis le jet, ce qui fait le charme de l’espace vert s’étalant devant la gare, c’est ses chaises, mais pas n’importe lesquelles. Il s’agit de l’œuvre de l’artiste Michel Goulet offerte par la ville de Montréal aux citoyens de la ville de Québec à l’occasion du 400e anniversaire de sa fondation.

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Rattache deux chaises, une maquette du Saint-Laurent, avec en amont l’espace montréalais et en aval l’agglomération de Québec. Entre les deux, se démarquent Trois-Rivières et le lac Saint-Pierre

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Pour souligner le thème de son œuvre, « Rêver le Nouveau Monde », Goulet met en évidence sur chaque chaise une idée (un vers) de l’un des grands rêveurs d’ici. Nous en retenons ici quatre : Émile Nelligan, Hector de Saint-Denys Garneau, Gérald Godin et Leonard Cohen, ce qui ne constitue qu’un dixième de l’exposition.

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Que les Québécois se rendent à la Gare du Palais s’asseoir et se faire un festin des paroles de leurs plus grands poètes!