Leméac vs Costco : de l’importance du regroupement

La nouvelle tombait hier comme un pavé dans la mare, Costco use de chantage contre Leméac : vous nous livrez le dernier Michel Tremblay en même temps que les librairies (contrairement aux quelques semaines habituelles de délai), ou nous vous annulons notre commande (on parle de plusieurs milliers de livres). La réponse de l’éditrice Lise Bergevin, appuyée par son auteur à succès, est immédiate et courageuse : des noix !

Ils perdent donc l’importante commande du grossiste-entrepôt, alors que les livres sont probablement imprimés. En ces temps difficiles, c’est un coup dur dans les finances. Leméac fait donc appel aux libraires pour faire connaître leur position mais surtout pour leur demander de les accompagner dans leur pari : vendre (presque) autant de livres en se passant de Costco. On a déjà hâte de connaître les résultats.

Cette autre affaire qui vient brasser le milieu du livre est intéressante à plusieurs égards.

Tout d’abord, après tous les débordements qui ont suivi le mini-scandale « Marie Laberge », il est heureux de voir un écrivain réputé, Michel Tremblay, l’autre emblème de la littérature québécoise, se porter à la défense des libraires tout en faisant preuve de solidarité avec son éditeur.

C’est aussi une brillante démonstration de ce que prédisent les partisans de la réglementation du prix du livre au Québec. Le marché se durcit, les gros joueurs prennent de la place et commencent à imposer leurs diktats. Aujourd’hui la date de livraison, demain les conditions et après-demain la couleur de la couverture, le nombre de pages et quoi encore ? Ce n’est plus une vision catastrophiste, c’est déjà la réalité du monde anglo-saxon. Après avoir livré une contre-performance en commission parlementaire, Costco montre une nouvelle fois les dérives probables d’un marché du livre dirigé par quelques multinationales, ce qu’on appelle un oligopole.

Le combat de Leméac contre Costco permet aussi de mettre en lumière le rôle essentiel d’un acteur méconnu, mais ô combien important, de la chaîne du livre : le diffuseur-distributeur.

Dans le mémoire présenté à la commission parlementaire sur la réglementation du prix du livre, j’insistais déjà sur la force de négociation qu’amenait le regroupement de plusieurs éditeurs. En choisissant de faire eux-mêmes la diffusion de leurs livres auprès des grandes surfaces, Leméac prêtait le flanc aux attaques, surtout dans le marasme actuel qui nous fragilise économiquement.

Lors de la même commission, le ministre de la Culture, M. Maka Kotto, nous demandait si l’auto-régulation pouvait être une solution. Et j’étais bien forcé de lui avouer notre échec collectif à imposer, comme cela peut se faire dans d’autres pays, des conditions saines et équitables dans le marché du livre. La faute en revient à certains éditeurs qui, justement, traitent directement avec les grossistes et négocient dans le secret des ententes particulières. C’est évidemment leur droit le plus strict, mais est-ce pour autant faire preuve de la solidarité dont le milieu du livre à besoin aujourd’hui ?

L’association des distributeurs exclusifs de livres en langue française (ADELF) devrait peut-être devenir l’association des diffuseurs exclusifs de livres…

L’appel lancé au gouvernement pour une réglementation du livre et souligné en gras ces derniers jours par le mouvement Sauvons les livres ! est en fait un cri de détresse : « aidez-nous, car nous ne sommes pas capables de le faire nous-mêmes. »

 

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