Dans un précédent billet, je vous disais que deux livres publiés cet automne au Septentrion me touchaient particulièrement. Après Blessures de guerre de Gilbert Lavoie, voici que sort aujourd’hui en librairie L’Affaire Michaud. Chronique d’une exécution parlementaire de Gaston Deschênes.
Je suis arrivé officiellement au Québec en 1998. Cela prend des années avant de s’imprégner d’une culture étrangère. Au début, les choses les plus simples de la vie peuvent ressembler à un parcours épique. Je ne me suis pas encore tout à fait remis du choc vécu le jour où j’ai réalisé qu’il n’y avait pas « d’allée chocolat » dans les épiceries (non les barres Mars, ça ne compte pas). Alors pour comprendre la scène politique…
Autant dire que, lorsqu’en décembre 2000, les députés de l’Assemblée nationale votaient à l’unanimité une motion de blâme à l’encontre d’Yves Michaud, je ne réalisais pas l’ampleur de ce geste malheureux. Il est facile de crier à l’injustice, à l’atteinte aux libertés. D’ailleurs, à Québec, le mot « Libertéï » a pris une connotation péjorative, plus associé aux autocollants sur les vitres arrières de Honda Civic qu’au fameux poème de Paul Éluard.
Lorsque Gaston Deschênes nous a présenté son projet de livre sur l’affaire Michaud, j’ai eu le même réflexe que bien des gens à qui j’en ai parlé depuis. « L’Affaire Michaud ? Ah oui… c’est quoi déjà ? »
C’est à la lecture du manuscrit que j’ai pleinement pris conscience de toute la malice dont peuvent être capables des politiciens, aidés en cela par des journalistes complaisants et la mère de tous les maux, l’ignorance. Je me permets à ce propos de citer Guy Rocher qui signe un texte en guise de préface :
Je suis un vieux professeur. J’enseigne depuis 50 ans. Cela explique que j’ai depuis longtemps acquis un grand respect pour l’ignorance. Elle m’a fait vivre, elle a fait vivre ma famille. L’ignorance des autres, celle des étudiants, celle de mes collègues, et surtout la mienne ! La maladie fait vivre le médecin et la chicane, l’avocat. Dans mon cas, ce fut l’ignorance. Mais je respecte l’ignorance qui se reconnaît et qui s’efforce de déchirer le voile qui l’enveloppe, de repousser ses frontières. Pas n’importe quelle ignorance !
Le 14 décembre 2000, l’Assemblée nationale a agi dans l’ignorance. Elle a condamné Yves Michaud sur la foi de renseignements partiels et partiaux, sans vérifier ses sources d’information et, comble d’incorrection, sans entendre l’intéressé. Si elle ne se corrige pas, si elle s’enfonce dans son erreur, l’Assemblée nationale passera de l’honnête ignorance à l’ignorance crasse, que le dictionnaire définit comme étant « grossière et dans laquelle on se complaît ». Ce ne sont pas seulement les chefs des trois partis qui sont en cause et qui portent une responsabilité particulière. C’est la députation toute entière, au complet, sans une seule dissidence, qui a agi dans l’ignorance et s’est rendue coupable de l’injustice commise.
En traitant depuis longtemps avec l’ignorance, j’ai aussi appris qu’il faut savoir distinguer la vraie ignorance de la fausse ignorance, l’honnête ignorance de l’ignorance hypocrite. Sous le couvert de l’ignorance, le geste de l’Assemblée nationale du 14 décembre 2000 n’était peut-être pas exempt d’hypocrisie. Toute allégeance confondue, sous le couvert de la vertu, on barrait joyeusement la route à un député virtuel appréhendé, trop remuant et trop encombrant pour siéger dans l’enceinte nationale. La faute n’en est qu’encore plus grave, parce que l’institution démocratique de l’État s’est comportée d’une manière anti-démocratique. Je ne m’attends pas à ce que l’Assemblée nationale reconnaisse son hypocrisie. Mais je lui demande au moins de réparer l’injustice engendrée par sa prétendue ignorance.
Lorsque j’eus fini de lire le dernier mot de Gaston Deschênes, j’étais enragé. Enragé devant tant d’ignominie, d’hypocrisie et, surtout, de bêtise. Comment peut-on tolérer que nos députés votent, utilisent le droit de représentation que nous leurs avons confié, sans même prendre connaissance du texte sur lequel ils votent. Doit-on en conclure qu’ils agissent de la sorte constamment ? Quelle crédibilité peut-on encore accorder à cette noble institution que devrait être l’Assemblée nationale ?
L’Affaire MIchaud se lit comme un polar, dixit Éric Simard. La lecture se finit d’ailleurs par la liste des coupables, ces 109 députés qui ont servilement appuyé une motion de blâme condamnant les propos d’un simple citoyen.
Mettons qu’en ces temps où l’on doute, pour toutes sortes de raison, de la qualité et de la probité de nos représentants élus, cette lecture ne redore en rien leur blason. À moins que, dans un geste de grande lucidité, ils ne décident finalement de se racheter ?
FEUILLETEZ CE LIVRE
La lecture de «They Dare to Speak Out» de l’ex-congressman américain Paul Findley permettrait peut-être de commencer à comprendre ce qui s’est vtraiment passé dans «l’affaire Michaud».