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De la valeur et de l’effort

Un texte paru il y a quelques semaines dans le magazine culturel de Québec BAZZART, printemps 2015.

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Bazzart

 

Rien ne m’horripile plus qu’une remarque maladroite sur le prix d’un livre. Je pourrais aussi parler du prix d’un billet de théâtre, de cinéma, ou encore d’un album de musique. Mais je connais mieux le domaine du livre, j’y œuvre depuis plus de quinze ans aux éditions du Septentrion.

Il est toujours malaisant de donner un prix à un acte de création. En même temps, tous les acteurs du milieu culturel sont conscients d’œuvrer aussi dans le domaine commercial. Il faut bien vivre et, surtout, faire vivre nos auteurs ! Comme bien d’autres, je me sens comme un extra-terrestre dans notre société qui met l’individualisme sur un piédestal et semble prête à tout sacrifier sur l’autel de l’économie. Une économie du chacun pour soi. Une société qui parle de plus en plus de divertissement et de moins en moins de culture.

« L’art de vous divertir » annonce fièrement Archambault. Pourtant, ce n’est pas l’empire Québecor qui menace aujourd’hui directement l’activité éditoriale indépendante, mais bien Renaud-Bray, en affichant une attitude commerciale agressive*. Le plus désolant n’est pas l’arrogance de son dirigeant, qui après tout est simplement fidèle à ses principes, aussi mauvais soient-ils, mais bien le manque de solidarité du milieu du livre. Chacun est aux abois et, portés par le discours ambiant et la « moraustérité » contaminante, les réflexes de survie prennent le pas sur l’espace social.

Faut-il pour autant jeter le gant ? Certainement pas. Les librairies regorgent de livres magnifiques, de perles littéraires venues des quatre coins du globe et, mieux encore, de notre pays. Jamais les essais politiques n’auront autant eu la cote, stimulés par le cynisme citoyen et, il faut bien le dire, une certaine médiocratie de plus en plus flagrante. Les bibliothèques publiques font peau neuve et deviennent de véritables agoras, où il fait bon non seulement de s’abreuver de mots, mais aussi d’idées, de rencontres ou encore d’actualités. Que ceux qui ne sont pas encore allés visiter la bibliothèque Monique-Corriveau sur la rue de l’Église à Sainte-Foy se précipitent !

Il faudra aussi faire un examen de conscience. Se questionner, chacun, sur nos pratiques culturelles. À mesure que l’espace médiatique réservé à la culture rétrécit comme peau de chagrin, il est plus que nécessaire de s’ouvrir à toutes les formes d’art. Devenir des résistants numériques. Non pas refuser les changements technologiques, mais ne pas les laisser nous envahir. Reprendre le contrôle sur des algorithmes qui, bien souvent avec notre consentement, nous poussent à la paresse.

L’effort nécessaire pour redresser la nation en faillite n’est pas d’ordre financier. Il faut cultiver la curiosité, dépasser nos habitudes, oser sortir des sentiers battus. La culture et l’éducation demandent un investissement personnel important. C’est sur cette forme d’individualisme que repose le futur de notre société.

* Un litige opposait alors notre distributeur, Dimedia, à la chaîne Renaud-Bray. Une entente hors-cours a été signée le 22 mai 2015.