[0] Introduction [1] Glossaire [2] Le prix [3] L’agrégateur
[Les lecteurs pressés peuvent se rendre à la conclusion.]
Concrètement, qu’est-ce qu’on fait au Québec ? Depuis plusieurs années, le livre numérique est une préoccupation. De nombreuses études ont été réalisées, on regarde ce qui se passe aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France. On s’en reparle, on regarde ce qui se dit sur Internet, on essaie les différentes liseuses, on se re-re-parle…
Pendant ce temps, Numilog crée en France son catalogue de livre numérique pour être ensuite racheté par Hachette. Amazon lance le Kindle. Apple lance le iPhone. Amazon lance son Kindle 2.0. Indigo Books lance Short Covers, une plate-forme canadienne de vente de livres numériques. Shortcovers lance son application pour iPhone. Amazon lance son application Kindle pour iPhone. Stanza lance son application pour iPhone, offrant à la fois des livres du domaine public mais aussi des livres payants.
À travers tout ça, le géant Google qui numérise à tour de bras les rayonnages des bibliothèques lance Google Books puis annonce vouloir vendre les livres numérisés. Cela finit par un projet de règlement entre auteurs, éditeurs américains et Google, règlement contesté dans le monde entier. Mais ça, j’y reviendrai dans un billet consacré à Google.
Bref, ça bouge vite et ça bouge fort. La question n’est plus de ne pas manquer le train mais plutôt d’arriver à sauter dans le wagon déjà en marche, sans se casser la figure.
La tentation est forte de se coller aux initiatives déjà existantes. Pourquoi ne pas rejoindre Numilog pour le marché francophone ? Pourquoi ne pas laisser Amazon s’occuper de la vente de nos livres ? De toute façon, si on ne fait rien, c’est ce qui va arriver. C’est ce qui risque encore d’arriver.
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En janvier 2008, l’Association Nationale des Éditeurs de Livres (ANEL) publie le rapport de Guylaine Beaudry, Les Enjeux de l’édition numérique dans le monde numérique. 16 recommandations sont alors émises. Les trois premières sont préliminaires à toute action :
- Implications juridiques liées au numérique : la question des contrats. L’éditeur est-il oui ou non détenteur des droits numériques sur les oeuvres publiées ? Cette question ne peut pas être tranchée d’un coup, chaque éditeur doit vérifier ses contrats et éventuellement en discuter avec ses auteurs. La question des droits territoriaux et des traductions vient compliquer tout cela. Un terreau fertile pour les avocats.
- Production des fichiers numériques : évidemment, si les fichiers numériques n’existent pas, la question ne se pose même pas. Encore aujourd’hui, peu d’éditeurs ont entrepris un programme de conversion de leur fonds. Manque de moyen, manque de temps, manque d’information… et puis quel format faut-il produire ?
- Programme de formation des éditeurs : On en parle, on en reparle et on en re-re-parle. Et je dirais même plus : on en parle même pas assez !
Suit une autre série de recommandations jusqu’à la douzième :
- Créer un agrégateur réunissant différents genres pour constituer des collections » profilées » pour les bibliothèques universitaires, collégiales, secondaires et publiques, de même que pour la vente aux individus sous forme d’achat ou d’abonnement.
Agrégateur, le mot est lancé. Encore faut-il s’entendre sur ce que c’est, comment le mettre en place et l’opérer.
Durant l’été 2008, le comité numérique de l’ANEL décide d’aller de l’avant et de créer un agrégateur québécois de livres numériques en partenariat avec une entreprise privée de Québec, De Marque (DM). Si DM sera responsable de la mise en place et de l’opération, l’ANEL conseillera et donnera les orientations pour le développement de la plateforme :
- Les éditeurs doivent avoir le plein contrôle sur leurs livres et sur leur exploitation numérique
- Les éditeurs doivent pouvoir fixer les prix de vente et contrôler leurs revenus
- Les éditeurs sont les seuls à être détenteurs des droits d’auteur des oeuvres versées dans l’entrepôt
- Les fichiers numériques doivent être hébergés au Québec.
Reprenons ces orientations une par une.
1) L’éditeur doit garder le contrôle sur leurs livres numériques, en toutes circonstances. Tout est instantané ou presque dans Internet. Il ne peut y avoir d’intermédiaire qui freinerait ou empêcherait un éditeur de gérer ses livres. Cela veut dire refuser tant que possible de transférer les fichiers à une tierce partie mais plutôt d’y donner accès à travers un tuyau dont la vanne est du côté de l’éditeur. L’éditeur est responsable de l’exploitation de l’oeuvre qui lui a été confiée par l’auteur.
2) L’éditeur doit pouvoir fixer le prix de détail suggéré. C’est ce prix qui servira à calculer les différentes remises à chacun des intermédiaires. Ce qui n’empêcherait pas un détaillant de baisser le prix de revente, en empiétant sur sa marge. D’ailleurs, Amazon vend à perte lorsqu’il offre des livres à 9.99$US. De cette manière, l’éditeur s’assure de pouvoir contrôler ses revenus.
3) L’auteur confie son oeuvre à l’éditeur, que ce soit par cession de droits ou par licence. En aucun cas le commerce de livres numériques n’inclut un partage ou une cession de droits. On vend des livres, pas des droits.
4) Il est important que les fichiers soient hébergés au Québec. En cas de litige, se défendre en pays étranger est difficile et coûteux. De plus, les livres dont l’éditeur ne détient les droits que pour le territoire canadien doivent être hébergés au Canada. De même, en cas de conflit, il est plus facile de s’entendre avec une compagnie proche de nous.
Il existe déjà des agrégateurs, tels Gibson et Netlibrary, ainsi que Numilog. Néanmoins aucun de ceux-ci ne peut garantir l’entièreté de ces orientations, ne serait-ce que pour l’hébergement.
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Je ne vous ai toujours pas dit ce que ça mange en hiver un agrégateur. J’y arrive.
L’agrégateur est une plateforme composée d’un entrepôt numérique et de services de promotion et de commercialisation des livres numériques qui y sont déposés par les éditeurs.
Schéma : Clément Laberge
L’entrepôt numérique est ce qu’il annonce : l’éditeur y verse ses fichiers numériques, au format pdf ou epub, y associe un ISBN et un prix de détail suggéré. C’est tout. Si le fichier numérique est bien fait (c’est-à-dire avec un auteur, un titre, une couverture et une table des matières), l’entrepôt extrait automatiquement les données et associe le livre au compte de l’éditeur. Ce dernier peut alors gérer ses publications, contrôler les accès, les vendeurs etc. Voir même enlever le livre si nécessaire. L’éditeur est facturé pour chaque fichier déposé et ensuite doit aussi payer un montant annuel pour assurer le maintien du livre dans l’agrégateur. Ce qui amènera peut-être les éditeurs à faire un choix de ce qu’ils rendront disponible en numérique plutôt que de mettre leur fond au complet.
Le premier service de promotion mis en place est assez spectaculaire. Il s’agit du feuilletage en ligne d’un ouvrage offert sous forme de webservice à installer sur un site Internet. Livres québécois, Pantoute, Renaud-Bray et, bien entendu, les éditeurs ont pu ainsi facilement installer ce gadget. Il s’agit d’un formidable outil de promotion du livre, que ce soit sa version papier ou numérique. De plus, le lecteur peut être facilement partagé et intégré à des blogues.
L’éditeur décide du nombre de pages disponibles. Il pourrait tout aussi bien le rendre feuilletable en entier. Il est d’ailleurs étonnant qu’Archambault n’ait pas utilisé ce gadget sur son site jelis.ca. Un oubli ?
Pour le volet commercialisation, l’agrégateur met à la disposition des détaillants l’ensemble des services nécessaires à la vente ou à la consultation des livres numériques : téléchargement, sécurité, cryptage, feuilletage… service clé en main ! Néanmoins, il faut bien comprendre que l’agrégateur n’est pas une vocation commerciale directe : s’il offre tous les services, aucune vente finale n’y est réalisée. Il faut pour cela un vendeur.
Ce vendeur sera un libraire ou l’éditeur en ce qui a trait à la vente au publique, et un intermédiaire en ce qui regarde la vente aux bibliothèques. Là aussi je développerai dans un autre billet en ce qui concerne les bibliothèques. De Marque offre déjà ses services comme représentant commercial, mais il n’y a aucune exclusivité et d’autres joueurs pourraient se manifester.
L’agrégateur hébergeant les fichiers, offrant les services de transfert, le codage et le cryptage ainsi que des gadgets de promotion, un petit pourcentage lui sera versé sur chaque vente réalisée. Il devient en somme le distributeur numérique. Mais pas tout à fait, car il reste l’épineuse question de la facturation.
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La facturation est en effet l’une des tâches qui incombe traditionnellement au distributeur. Il faut pouvoir suivre les ventes effectuées par un détaillant, lui facturer au juste prix et ensuite le collecter. Éventuellement assumer les pertes financières résultant d’une mauvaise créance. Le suivi rigoureux des ventes est aussi à la base du calcul des droits qui seront ensuite versés aux auteurs.
Si on se place un instant du point de vue du détaillant, pour vendre les livres d’un éditeur il doit avoir un compte ouvert chez son distributeur. Pour couvrir l’ensemble du marché, moins d’une dizaine de distributeurs sont à contacter. Si, pour le numérique, le détaillant devait contacter individuellement chaque éditeur pour obtenir le droit de vendre son fond, cela deviendrait vite très lourd. De même, si l’éditeur devait du jour au lendemain devoir faire le suivi des ventes de dizaines voir de centaines de détaillants, il serait rapidement découragé.
C’est un problème qui n’est pas encore réglé. Aujourd’hui, il y a peu de détaillants, donc les éditeurs peuvent encore assumer le suivi des ventes. Mais, si le marché se développe, ils devront trouver une autre avenue. L’opérateur de l’agrégateur, De Marque, est en bonne position pour offrir un service de facturation. Mais les distributeurs de livre papier pourraient aussi jouer ce rôle, après tout ils connaissent déjà les détaillants, il serait aisé pour eux de simplement ajouter la vente des livres numériques à leurs activités, l’agrégateur fournissant des rapports mensuels des ventes réalisées par chaque détaillant.
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Que faut-il retenir de tout ceci ?
- L’agrégateur 1.0 est pleinement opérationnel depuis mars 2009, développé grâce au soutien de la SODEC et de Patrimoine Canada.
- Les éditeurs québécois ont le plein contrôle de leur fichier et de leur exploitation.
- Les fichiers sont hébergés au Québec.
- Tous les services sont fournis par l’agrégateur : hébergement, transfert du fichier, cryptage et protection. Sauf la facturation. En échange, il y a un coût au dépôt d’un fichier et un coût annuel de maintien.
- Aucune exclusivité n’est accordée, tous les détaillants sont invités à proposer leurs services, que ce soit pour la vente en ligne, la vente sur plancher et, pourquoi pas, la location ou le feuilletage. Et ce, partout dans le monde ! Une occasion unique de faire la promotion de notre littérature.
- De la même façon, les bibliothèques pourront se brancher aux contenus selon des modalités encore à définir.
Grâce à l’agrégateur, il est maintenant possible de développer un ou plusieurs modèles, tandis que les éditeurs continueront à convertir leurs livres et à verser les fichiers dans l’agrégateur.